Lorsque nous avons prospecté parmi les guitaristes québécois les plus talentueux, bien des noms ont fusé – Rick Haworth, Michel Cusson, Joe Grass… Mais il en est un qui est revenu avec une régularité métronomique, accordant de nombreux pairs : celui de Pierre Côté. « Ça ne se peut pas de jouer de la guitare comme ça », a lancé Simon Godin, musicien habitué des émissions de télé. Rencontre avec un baroudeur du manche qui en impose.

L’habit ne fait pas le moine : derrière ce nom plutôt courant, Pierre Côté, se cache un guitariste peu banal, ayant multiplié collaborations, compositions et enregistrements. Bref, une « bibitte », quelque part entre la pieuvre et le mille-pattes, à laquelle bien des artistes du milieu vouent un respect marqué. Quand il est là, ils se font petits, et « tout le monde se tait », badine Simon Godin.

Mais avant de jouer avec Jim Corcoran, Patrick Norman, Carol Welsman, Alain Caron ou auprès du Cirque du Soleil, pour n’en citer qu’un échantillon, le guitariste s’est forgé une main au fil du temps, style par style, strate par strate.

Après avoir reluqué la guitare de son cousin, il exerce véritablement ses premières gammes à l’âge de 12 ans en empruntant celle de son père, une Giannini brésilienne.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

À 18 ans, le guitariste savait déjà que son avenir serait pavé de cases de guitares.

Je sentais une espèce d’affinité avec l’instrument. Dans ma tête, ça avait beaucoup plus de sens comparativement au clavier.

Pierre Côté

Ses héros sont d’abord issus de la pop et du folk, comme George Harrison ou Neil Young. Il monte des groupes, puis s’intéresse au rock, écoutant Peter Frampton, Mark Knopfler (Dire Straits) ou Jimmy McCulloch (Wings), avant de durcir le ton, s’abreuvant aux tétines de Led Zep, Yes et, surtout, Van Halen. « C’est lui qui m’a vraiment ouvert la voie en matière de technique, ce qui m’a ensuite permis d’approcher le jazz plus facilement », souligne Pierre Côté qui, vers 16 ans, opère une transition pop-fusion (Gino Vannelli et le guitariste Carlos Rios) avant de verser dans le jazz, bercé par Wes Montgomery ou George Benson.

Vers 18 ans, c’est clair : la guitare, ce sera sa vocation. Même s’il devra patienter. « Pour sécuriser mes parents, j’ai étudié en électronique industrielle, un des seuls métiers qu’on enseignait au cégep de Sorel. Pendant ce temps, j’ai continué à avancer dans le jazz », évoque celui qui s’inscrit finalement à McGill pour recevoir une formation musicale, à 21 ans.

Swinguer entre le jazz et le country

Sa carrière pro s’amorce à l’hôtel Le Reine Elizabeth, au gré de spectacles de jazz. « Je me destinais à ce style, mais je devais faire de l’argent, alors j’ai commencé à faire de la pop », dit-il, épaulant alors Véronique Béliveau. Mais c’est le blues-rock qui fera office de rampe de lancement, quand il sera remarqué dans un club par Christian Péloquin, guitariste très sollicité. Ce dernier ayant noté une similitude dans leurs jeux respectifs, il invitera le jeune musicien à le remplacer lors d’une tournée de Roch Voisine. La voie était ouverte. « Après, ça a déboulé, j’ai en fait tellement, je ne me souviens même plus des noms ! », dit-il, citant tout de même Francine Raymond et Marie Denise Pelletier.

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Fender, PRS, Gibson, etc. Sa collection d’instruments n’est pas excessive, comptant une grosse vingtaine de guitares. En revanche, la qualité est au rendez-vous !

Nouvelle bifurcation : il se penche sur la musique country, initié par Bourbon Gauthier et Jean-Guy Grenier, une route qui aboutira sur le seuil de Jim Corcoran. « C’est probablement celui avec qui j’ai joué le plus longtemps, parce qu’il me donnait beaucoup, beaucoup de liberté en tant qu’improvisateur, chose très importante pour moi », explique le guitariste, qui travaille toujours avec le chanteur.

Une autre figure marquante dans son cheminement fut Carol Welsman, pianiste et chanteuse de jazz torontoise, avec qui il a fait des tournées au Japon ou des enregistrements à Los Angeles, puis étoffera ses contacts ; Pierre Côté est même passé à deux doigts de participer à un album de Natalie Cole, qui a malheureusement succombé avant que le projet n’aboutisse. Du côté du Québec, c’est entre autres avec le bassiste de jazz-fusion Alain Caron qu’il a partagé la scène et les studios dans les 10 dernières années.

Éclectisme excellent

Cette avalanche de noms de collaborateurs n’est pourtant qu’une pointe d’iceberg dans la navigation musicale de Pierre Côté ; nous en avons passé beaucoup sous silence. Mais elle en dit déjà long sur l’éclectisme étoffé du musicien, salué par de nombreux congénères.

« Je l’ai vu jouer dans plein de contextes différents : jazz, blues, rock, country... il est tellement complet », confie par exemple la guitariste Paule Magnan, reprenant un refrain entendu dans la bouche de plusieurs homologues. Phrasé fouillé, jeu ultrafluide et expressif, exécution irréprochable...

Si Pierre Côté est excellent (et même « hallucinant », dixit le jazzman François Rioux) dans une large palette de styles, l’est-il dans tous ? « Non, non, non, rassure l’intéressé. Jouer des pièces classiques, c’est vraiment pas mon département ! »

Son côté « homme à tout faire » est également déroutant, puisqu’il a sorti un album solo de jazz en 2011, monté un groupe country – MiRebelle – avec sa conjointe Johanne Provencher, offert des cours au cégep 30 ans durant, officié comme réalisateur, tout en assurant ses collaborations habituelles. Ah oui, il est aussi multi-instrumentiste, tâtant de la basse, de la batterie et des claviers ; même s’il confesse ne pas en avoir poussé l’étude aussi loin que la guitare. Aussi : il chante. Un chausson, avec ça ?

« Toujours sa place »

Après avoir surfé sur plusieurs ères musicales, et avec la popularité de styles comme le hip-hop où la six-cordes ne se taille pas vraiment la part du lion, quel regard porte-t-il sur la place de la guitare aujourd’hui ?

« On voit un déclin depuis longtemps, surtout dans la musique pop. Les solos de guitare, il n’y en a plus ! On dirait que c’est devenu comme un univers parallèle. Cela dit, on trouve quand même des groupes axés sur la guitare un peu partout. Elle aura toujours sa place », observe-t-il, soulignant l’imposante communauté de guitaristes active sur YouTube, et une relève intéressante au Québec, citant Nicolas Ferron et David Rourke.

Alors, si la figure du guitar hero est sérieusement écornée, et si le statut de « meilleur guitariste » du Québec reste illusoire, on va quand même se le dire : Pierre Côté, c’est une sacrée « bibitte à cordes ».

En concert le 15 septembre à Saint-Tite.

S’il ne devait en choisir qu’un ou une

  • Une guitare : Gibson ES-335 semi-acoustique de 1968

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Une guitare : Gibson ES-335 semi-acoustique de 1968

  • Un ampli : DV Mark pour le jazz (ou Dr Z pour le country)

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Un ampli : DV Mark pour le jazz (ou Dr Z pour le country)

  • Une pédale d’effet : Boss Super Overdrive SD1 de 1981

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Une pédale d’effet : Boss Super Overdrive SD1 de 1981

  • Un album : Still Live, de Keith Jarrett (général), El Hombre, de Pat Martino (axé guitare)

    IMAGE FOURNIE PAR ECM

    Un album : Still Live, de Keith Jarrett (général), El Hombre, de Pat Martino (axé guitare)

  • Un bon album découvert récemment : Everything Harmony, de Lemon Twigs

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    Un bon album découvert récemment : Everything Harmony, de Lemon Twigs

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