Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’humoriste Mariana Mazza.

J’adore prendre des vacances. Je déteste ça aussi. L’angoisse me prend toujours à quelques jours du voyage. Pendant que je le booke, je suis en extase. Au moment de faire ma valise, je suis nerveuse. Et quand je suis en route vers l’aéroport, j’ai des regrets. Je laisse mes chiens derrière moi. Ma maison. Mon confort. J’aime la vie que j’ai bâtie. Comme si je n’allais jamais revenir. Que j’allais passer à côté de quelque chose. Une fois rendue à destination, tout tombe. La peur, l’angoisse, les regrets. Je suis heureuse. Et je me déconnecte.

Tout commence au moment où j’achète un billet d’avion.

Je suis avec mon amie Andréanne. Dans ma librairie. Ma pièce de lecture. On rêve d’aller en Sicile. De marcher dans la carte postale. Surtout depuis que j’ai regardé la saison deux de la série The White Lotus. Je veux rencontrer un bel Italien qui me guidera vers le meilleur gelato. Sentir les effluves de la tomate sur les pizzas. Boire un verre de vin sur une montagne.

On clique sur le bouton « Réserver ce vol ». On se regarde en criant un peu.

Ma mère sonne à la porte. Elle vient me rejoindre pour m’accompagner à un tournage. Elle m’appelle de la cage d’escalier. Je lui réponds : « Je suis en haut ! » Elle monte les marches en me demandant à qui appartient la voiture derrière la mienne. « C’est à Andréanne. »

« Ah, salut Andréanne ! »

Ma mère remarque mon sourire mesquin. Accompli. Vif.

« Qu’est-ce que tu caches ?

— On s’en va en Italie ! »

Ma mère regarde Andréanne pour valider la nouvelle. Elle lui sourit. Elle regarde l’écran d’ordinateur. Elle confirme l’achat.

Les yeux de ma mère ne mentent jamais. Elle est prise d’une crise de jalousie. D’envie. Comme si elle se sentait trahie.

« Et moi ? »

— Quoi, toi ? »

Je comprends ce qu’elle veut me dire. Comme une enfant qui ne trouverait pas les mots. Ceux qu’elle a trouvés s’arrêtent à ceux-là.

Ma mère, elle est comme ça. Elle dit les choses, puis se rétracte. Elle ne veut pas me brusquer. Elle veut juste me communiquer ce qu’elle vit.

Certains la trouveraient bébé. Moi, je la trouve touchante. Avoir 63 ans et communiquer ses émotions. Ses envies.

« Moi aussi, je veux aller en Italie. »

Je trouve ça beau. Trop. Intense. Mais vrai. Pourtant, quand j’étais jeune, je ne demandais rien. Ma mère m’avait appris à ne pas donner l’impression que je manquais de quelque chose. Maintenant, les rôles s’inversent. Elle comprend le pouvoir de demander. De prendre un risque.

« En plus, ça va faire 20 ans cet été que je suis mariée. »

— Et tu comptes faire quoi ? »

— Aller en Italie ! »

J’ai regardé mon amie. Elle a souri. J’ai ri. Ma mère lui a demandé, comme on quémande un dollar pour des bonbons : « Andréanne, je peux venir avec François ? Ce serait mon rêve ! »

« Mais bien sûr ! On va être un chiffre pair. »

Ma mère a dévalé les marches. S’est précipitée dans le frigidaire. A pris la bouteille de vin qu’elle avait apportée. S’est emparée de trois coupes à vin. J’ai entendu un bruit sourd de verre se briser sur le plancher. « Fuck ! »

« T’es correcte ? »

— Oui, c’est pas grave. On va en Italie ! »

Une enfant.

Dix minutes plus tard, deux autres billets se sont « bookés ».

J’adore prendre des vacances. Je déteste ça aussi. L’angoisse me prend toujours à quelques jours du voyage. Mais maintenant que ma mère sera là, on dirait que tout prend un autre sens. Elle ne me manquera pas. Elle sera là avec moi.

Même si je sais qu’après deux jours, on va se taper sur les nerfs.

C’est pas grave, l’Italie, c’est grand.

Bon été à toutes et à tous.