Quarante ans de journalisme, dont trente-neuf à Radio-Canada. Au fil des ans, Céline Galipeau a imposé sa manière bien à elle de présenter les nouvelles. Une force tranquille dans un monde où on a souvent tendance à crier, à s’invectiver et à taper du poing.

Au début de sa carrière, Céline Galipeau travaillait la nuit à CJMS. Sa dernière tâche avant de quitter la station de radio : rédiger les nouvelles que lirait l’animateur du matin… un certain Paul Arcand. « Il entrait en studio et jetait ce que j’avais écrit aux poubelles », me raconte-t-elle en riant.

Aujourd’hui, c’est elle qui est en haut de l’affiche, et ce, depuis 2009, alors qu’elle succédait (enfin !) à Bernard Derome après quelques années à animer le Téléjournal week-end.

À l’époque, on avait un peu l’impression qu’on lui arrachait de force la veste kaki qu’elle portait en reportage. On la sentait plus ou moins à l’aise dans son tailleur, sous le feu des projecteurs.

Mais au fil des ans, mine de rien, elle a fait sien ce bulletin de nouvelles de fin de soirée. « J’adore travailler en équipe et m’impliquer dans la fabrication du bulletin, c’est ma partie préférée, me confie-t-elle. Mais j’ai aussi appris à aimer la partie plus visible de mon métier, car c’est mon lien avec le public et je l’apprécie. »

Elle s’est glissée dans un format – le Téléjournal – somme toute assez classique et qui n’a pas beaucoup changé au fil des ans. Mais elle l’a quand même mis à sa main en présentant à l’occasion le Téléjournal sur le terrain. Comme en mars dernier, lorsqu’elle est retournée en Ukraine.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Céline Galipeau en entrevue avec Nathalie Collard

C’était bien de pouvoir faire mon téléjournal à l’extérieur, de prendre du temps d’antenne pour faire le tour d’une question. Je pense que c’est un peu ma marque d’avoir emmené mon expérience à l’étranger dans le bulletin.

Céline Galipeau

Une autre époque

Céline Galipeau mesure à quel point les choses ont changé au fil des ans pour les journalistes qui font du reportage international. « Quand je suis allée en Afghanistan en 2001, on a attrapé des gilets qui traînaient au fond d’une armoire dans notre bureau à Moscou, puis on est partis. À l’époque, il régnait une certaine insouciance. On partait sans trop donner de nos nouvelles. On appelait à Montréal une fois par jour avec un téléphone satellite pour dire : ‟Bon, aujourd’hui, je vais faire ça”. Puis on ne donnait plus de nouvelles avant le soir ou le lendemain. Ça faisait partie du métier. »

« Aujourd’hui, poursuit la journaliste, on a des GPS, les gens nous suivent à la trace, on doit toujours se rapporter. Tout est devenu un peu plus compliqué. »

Autre changement majeur : la fermeture des bureaux de Radio-Canada en Chine et en Russie, qui marque la fin d’une époque, selon Céline Galipeau. « Qu’est-ce que ça dit sur les années qui s’en viennent ? Sur la difficulté de couvrir ce qui se passe sur la planète ? », s’inquiète-t-elle.

« Dans plusieurs pays, on ne peut plus se déplacer sans avoir la sécurité avec nous, ce qui augmente considérablement les coûts de la couverture. Mais ça montre aussi que tout est plus risqué, plus complexe. Même aller au Liban ou en Irak, c’est devenu compliqué. »

Céline Galipeau est consciente du danger qu’elle et ses collègues représentent pour les sources sur le terrain. « C’est plus dangereux aujourd’hui pour certaines personnes de nous parler, me souffle-t-elle. Aujourd’hui, l’information circule tellement vite avec les téléphones mobiles. Les gens peuvent être l’objet de menaces ou de représailles. C’est dramatique pour nous, pour l’information et pour la liberté d’expression. »

Il n’y a pas que dans les endroits chauds du globe où la pratique du journalisme est périlleuse. Même dans les pays occidentaux, ça peut s’avérer dangereux, selon la cheffe d’antenne. « Il y a une montée du scepticisme par rapport aux institutions, note Céline Galipeau, et les journalistes se font plus brasser qu’avant. Aller sur le terrain en tant que journaliste, c’est plus risqué. Ils se font insulter et cracher dessus… Les gens sont en colère, ils ont l’impression qu’ils se font avoir dans toutes sortes de dossiers, dont celui de l’immigration. Le changement fait peur et je peux le comprendre. On essaie plus que jamais de mieux expliquer. »

La passion du monde

Dans un univers de plus en plus complexe et polarisé, Céline Galipeau continue à défendre la formule du Téléjournal. Une formule qui tient le coup, malgré le fait qu’on annonce régulièrement sa disparition. « Ça reste un rendez-vous, croit-elle. Même s’il y a une fatigue qui s’est installée chez les gens. On la sent. Ils sont moins réceptifs. C’est un sujet de discussion à l’interne, on prend ça en considération dans le choix de nos sujets et dans le traitement. »

Elle donne l’exemple d’Haïti.

Il y a tellement un sentiment d’impuissance face à ce qui se passe là-bas. Les gens nous disent : on voit toujours la même chose, la même violence. De notre côté, il arrive qu’on ne sache plus comment en parler, on est conscient qu’il faut l’expliquer différemment, mais je pense qu’il faut quand même en parler. Et la direction nous appuie là-dedans.

Céline Galipeau

Je ne peux pas quitter Céline Galipeau sans lui parler de « l’affaire » Lisa LaFlamme, cette présentatrice de nouvelles renvoyée de CTV entre autres à cause de ses cheveux gris. « Ça a été un choc pour nous dans la salle, lance la journaliste. Je regrette de le dire, mais l’âgisme est encore très présent dans mon métier. Quand je suis allée en Ukraine, je me suis fait dire des choses comme : ‟Mon Dieu, il faut que Radio-Canada soit désespérée pour envoyer un vieux croûton en Ukraine !” Ça me fait prendre conscience que oui, j’ai vieilli et que oui, éventuellement, je ne serais pas toujours là… Je ne pensais pas à ça avant, je travaillais, je poursuivais ma carrière, mais je me rends compte qu’il y a peut-être des gens qui pensent que j’ai fait mon temps… »

Céline Galipeau m’assure qu’elle n’est pas prête à partir. « Je sais qu’il y a une relève extraordinaire, ça ne m’inquiète pas. Mais j’aime encore mon travail et j’espère pouvoir continuer à le faire. Je pense que mes patrons et le public l’apprécient encore… En tout cas, je l’espère. »

Questionnaire sans filtre

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Céline Galipeau en entrevue avec Nathalie Collard

  • Le café et moi : Au moins deux doubles espressos le matin. Après, je prends un allongé. Et je bois du décaféiné après midi. Avant j’en prenais jusqu’au soir, mais maintenant, j’en ai moins besoin. J’adore le café. En Ukraine, j’ai découvert qu’ils avaient des standards très élevés pour le café. Ils ont des machines extraordinaires. Dans n’importe quelle station-service, le café est bon.
  • Les livres sur ma table de chevet : Je n’ai pas beaucoup de temps pour lire durant l’année, alors je lis surtout en vacances. J’ai hâte de lire le livre d’Alexandra Szacka (Je ferai le tour du monde, Boréal). Récemment, j’ai lu Le pays des autres et Regardez-nous danser de Leila Slimani. J’aime les histoires qui me transportent ailleurs. J’ai adoré Les abeilles grises (d’Andreï Kourkov), car j’aime lire le roman d’un pays où je vais en reportage, ça m’aide à mieux comprendre les gens. Enfin, j’ai beaucoup ri en lisant Le syndrome du canal carpien de John Boyne sur l’histoire d’un animateur de la BBC qui fait une gaffe sur les réseaux sociaux.
  • Un reportage que j’aimerais faire : J’aimerais retourner en Afghanistan. J’ai habité presque un an là-bas. Ça a été marquant pour moi. On a donné beaucoup d’espoir à ce peuple-là et ça m’attriste de voir ce qui arrive aujourd’hui, surtout aux filles et aux femmes.
  • Un reportage qui m’a marquée : C’était en Chine, en 2008, avant les Olympiques. C’est un reportage sur la politique de l’enfant unique. Ma mère était vietnamienne et sa grande déception, c’était d’avoir eu trois filles, même si elle nous adorait. Pour elle, c’était tragique. Dans certaines sociétés, les filles ne comptent pas. Je l’avais vu en Afghanistan, au Pakistan et en Inde, mais disons que de le voir en Chine, une société proche du Viêtnam, je l’ai ressenti dans ma chair.

Qui est Céline Galipeau ?

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Céline Galipeau est à la barre du Téléjournal 22 heures depuis 2009.

  • Cheffe d’antenne du Téléjournal 22 heures depuis 2009
  • Ex-correspondante à Paris, Londres, Moscou et Pékin pour Radio-Canada
  • Lauréate de nombreux, prix dont le prix Guy-Mauffette, la plus haute distinction attribuée par le gouvernement du Québec à une personne pour sa contribution remarquable à l’excellence de la radio, de la télévision ou des médias tant numériques que traditionnels, en 2021