Chaque semaine, un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

Dans La tentation écofasciste, Pierre Madelin fait le constat d’une mouvance politique inquiétante, qui allie environnement et nationalisme extrême.

L’environnement est-il soluble dans la droite radicale ? L’un et l’autre peuvent-ils s’alimenter et s’inspirer au point de marcher main dans la main ?

À première vue, peu probable. Des exemples récents tendent d’ailleurs à le confirmer. Donald Trump est un climatosceptique reconnu. Son homologue brésilien, Jair Bolsonaro, a détruit des kilomètres carrés de forêt amazonienne. En Europe, des leaders d’extrême droite ont longtemps minimisé la menace environnementale.

Et pourtant. Dans La tentation écofasciste, le philosophe français Pierre Madelin démontre que ces deux visions apparemment opposées sont devenues compatibles, au point de se muer en véritable mouvance idéologique, avec un nombre croissant d’adeptes.

Pour ces radicaux de droite, l’équation est simple : la lutte environnementale passe par la protection du territoire, laquelle n’est possible que par une politique anti-immigration revendiquée.

En gros, plus les étrangers seront nombreux à s’installer chez nous, plus le désastre environnemental sera grand. Car ils viendront consommer nos ressources, asphyxier notre espace vital et alourdir notre empreinte écologique.

Cette vision n’est pas seulement théorique. Des loups solitaires sont déjà passés à l’acte. Madelin amorce son essai en évoquant les tueries de Christchurch (2019), El Paso (2019), et Buffalo (2022) avec 83 morts au total. Dans leurs manifestes, les trois assassins expliquent leur acte démentiel en évoquant la « conservation de la nature » et « le nationalisme vert ».

Ce sont des cas isolés, mais la toile se tisse. Pierre Madelin explique comment le vert de l’environnement se met progressivement au service du brun fasciste. D’où le terme « écofascisme » qui commence à faire son chemin dans le langage populaire et médiatique.

L’ouvrage, résolument intellectuel, argumente, déconstruit, démontre. L’auteur puise aux racines de cette pensée politique. S’efforce de clarifier le concept, alors que sa définition semble multiple. Justifie l’emploi du mot fascisme, que d’aucuns associeraient plus volontiers à Hitler et à Mussolini. Explique comment l’écofascisme s’est abreuvé à diverses sources, américaines et européennes, pour former un courant bien réel, qui semble s’élargir au gré de la menace climatique. Se succèdent Nouvelle Droite et Front national, colonialisme vert et néomalthusianisme, racisme et ethnodifférentialisme…

La dernière partie du livre, inquiétante, nous mène sur le terrain de la politique-fiction. L’écofascisme reste une mouvance relativement marginale. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que ce concept discriminatoire ne soit récupéré par des régimes politiques, qui brandiront les arguments parfaitement fréquentables du biorégionalisme et de la conservation de l’environnement pour renforcer leurs frontières, quitte à laisser crever des immigrants sur le pas de la porte, une idéologie de l’« exclusion sacrificielle » que l’auteur n’hésite pas dénoncer.

À ce stade, le militant prend le dessus sur l’universitaire. Madelin expose la menace, avertit du danger. À voir maintenant si – ou comment – le mouvement s’amplifiera et quels partis politiques l’exploiteront pour renforcer leurs théories de repli identitaire. Mais on n’a sans doute pas fini d’entendre parler d’écofascisme…

Extrait

« Il me semble raisonnable de penser que plus la crise écologique s’aggravera, plus les options démocratiques et émancipatrices dont nous disposons pour y faire face s’amenuiseront, et plus au contraire des solutions extrêmes, aujourd’hui encore impensables, risqueront de s’imposer. »

Qui est Pierre Madelin ?

Pierre Madelin est philosophe et traducteur spécialisé dans les « humanités environnementales ». Il a déjà publié Après le capitalisme – Essai d’écologie politique (2017) et Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement (2021).

La tentation écofasciste

La tentation écofasciste

Écosociété

258 pages