Le Canada de Justin Trudeau ressemble à une tyrannie et Washington devrait peut-être songer à intervenir pour le « libérer ».

Ne riez pas. Pleurez plutôt. Car ce délire n’est pas issu d’un obscur groupuscule américain d’extrême droite. C’est l’animateur vedette de Fox News, Tucker Carlson, qui prépare un documentaire à ce sujet.

La bande-annonce, qui vient d’être dévoilée, suinte la démagogie et la malhonnêteté1.

Tucker Carlson se demande si Washington devrait « libérer » la population d’un pays voisin si celui-ci était dirigé par un leader autoritaire. Il cite en exemple les opérations militaires des États-Unis en Irak et en Libye.

Il laisse ensuite entendre qu’un voisin, le Canada, s’apparente maintenant à une tyrannie. Il utilise notamment des extraits d’entrevues faites dans la foulée de l’adoption de mesures sanitaires contre la COVID-19 et de l’opération policière ayant mené à la fin du siège à Ottawa en février 2022.

Pendant que Fox News annonçait ce documentaire, Elon Musk, nouveau héros des adeptes de la mouvance trumpiste aux États-Unis, prenait un malin plaisir à dénigrer la CBC.

Le grand patron de Twitter s’est amusé, sur sa plateforme, à ajouter une série d’étiquettes au compte de la CBC. Il était ainsi devenu plus facile pour les détracteurs du réseau canadien – comme le conservateur Pierre Poilievre – de l’accuser d’être outil de « propagande » au service de Justin Trudeau. Elon Musk a mis fin à cette arnaque quelques jours plus tard, sans avertissement.

Ce n’est probablement qu’une coïncidence si ces deux évènements se chevauchent. N’empêche que c’est révélateur de deux tendances lourdes qui doivent nous préoccuper.

Premièrement, le Canada, son gouvernement et, plus largement, l’ensemble des institutions démocratiques de notre pays sont devenus des cibles pour les trumpistes et leurs alliés.

Ce n’est pas la première fois qu’on le remarque. Début 2022, plusieurs ténors de la droite américaine ont affiché publiquement leur soutien aux manifestants qui assiégeaient Ottawa et protestaient ailleurs au pays contre les mesures sanitaires.

Lors de la Conservative Political Action Conference qui avait lieu à Orlando, en Floride, l’entrepreneur Mike Lindell – allié indéfectible de Donald Trump – avait comparé Justin Trudeau à Vladimir Poutine.

À la même époque, Elon Musk (encore lui !) comparait pour sa part le premier ministre canadien à Hitler.

La deuxième tendance, c’est que les forces de la droite radicale parviennent maintenant à se coaliser et à exercer leur influence au-delà des frontières.

C’est exactement ce dont Steve Bannon, l’ancienne éminence grise de Donald Trump, rêvait. En 2018, il avait dit au New York Times qu’il voulait « construire une infrastructure populiste pour le mouvement populiste global ».

L’écrivain et conseiller politique italien Giuliano da Empoli (auteur du livre Le mage du Kremlin) rapporte cette déclaration dans un petit essai éclairant intitulé Les ingénieurs du chaos.

Il raconte que Steve Bannon a alors compris qu’il existait un espace pour créer une « Internationale des nationalistes, une plateforme conçue pour mettre en commun les expériences entre les différents mouvements actifs en Europe et en Amérique ».

Bernard Harcourt, professeur de droit à l’Université Columbia, confirme que le rêve de Steve Bannon s’est réalisé. « Je suis profondément préoccupé par le fait que cette infrastructure, qui est réelle et puissante, est en train de se solidifier », nous a-t-il expliqué.

Dans un livre intitulé Critique & Praxis, il a qualifié ce phénomène d’« Internationale populiste ».

« Le XXe siècle a été marqué par une certaine forme d’internationalisme de gauche, qui a débuté avec la révolution russe, pour se prolonger avec la révolution chinoise et Mao, ainsi que des insurrections à travers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Il y avait un élément de contagion », a souligné le professeur.

Selon lui, ce sont désormais des « autocrates populistes de droite et des mouvements fascistes » qui forment une « internationale », c’est-à-dire qu’ils parviennent à s’inspirer et s’alimenter les uns les autres, faisant fi des frontières.

Ces mouvements ne sont pas homogènes. Leurs revendications et leurs objectifs ne sont pas toujours similaires. Mais il apparaît clair qu’ils représentent, pour la plupart, une menace existentielle pour les démocraties libérales sous leur forme actuelle.

Le rapport du procureur spécial américain Robert Mueller, sur l’ingérence russe, en 2019, avait démontré que le régime de Vladimir Poutine cherchait par-dessus tout à semer la zizanie au sein des démocraties occidentales.

C’est aussi, visiblement, ce que les multiples partenaires de l’internationale des autocrates populistes souhaitent faire. Accentuer les divisions, accroître les clivages, contribuer à la radicalisation et, par conséquent, affaiblir les institutions démocratiques.

Il semble évident, aussi, que leur union fait leur force.

Malgré les défaites de certains de ses plus importants ténors au cours des dernières années, comme Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil, le mouvement demeure dynamique et influent.

L’appel de Tucker Carlson à libérer le Canada peut sembler farfelu, voire risible. Nous aurions cependant tort de sous-estimer – et de ne pas dénoncer – de tels populistes et leurs discours incendiaires.

1. Regardez la bande-annonce