Ce n’est pas tous les jours qu’on fête son quart de siècle. L’incubateur de talents et accélérateur de développement Kino Montréal souffle ce mois-ci ses 25 bougies. Retour sur ces années d’effervescence créative et de défis technologiques avec Christian Laurence, témoin des balbutiements du mouvement collectif, et Annelise Jolly, représentante de la nouvelle garde.

« Pour bien comprendre Kino, il faut se ramener en 1999 », nous dit d’emblée Christian Laurence, membre fondateur de ce qui était à l’époque le résultat d’une incommensurable volonté de créer. À la veille du fameux « bogue » qui n’aura jamais eu lieu se pointe l’idée d’une structure motivante, qui favorise la solidarité entre artistes et qui les force à « se botter le cul » pour tourner leurs projets de courts métrages. Premier objectif : faire un film par mois jusqu’au tournant du siècle. Comme un plan d’entraînement pour se muscler le cinéma.

Avec ses amis Jéricho Jeudy, Stéphane Lafleur et Eza Paventi, ils fondent alors Kino, véritable ovni du monde culturel, une communauté dont les membres s’entraident pour réaliser des œuvres cinématographiques à (très) petit budget, dans un esprit non compétitif, de liberté et de bienveillance. « La première fois, on était 12. La deuxième, on était 27. Et la troisième, on était 49 ! On s’est dit : là, je pense qu’on tient quelque chose », raconte Christian Laurence.

On voyait un peu Kino comme une marque de fabrique qui indique : j’ai fait ce film sans contraintes, dans la liberté la plus totale. En fait, ma seule contrainte, c’est que je n’ai pas une cenne.

Christian Laurence, membre fondateur de Kino

Annelise Jolly qui, elle, célèbre sa première année à la direction de Kino, souhaite plus que tout rester fidèle à l’« esprit punk » à l’origine du phénomène de création spontané. Le fameux slogan « Faites bien avec rien, faites mieux avec peu, faites-le maintenant » tient toujours, par ailleurs. « Je crois qu’il faut revenir aux sources, c’est-à-dire soutenir, accompagner, conseiller la relève et lui offrir un terrain de jeu pour expérimenter, sur lequel il est permis de se tromper », affirme celle qui a aussi l’intention de « professionnaliser complètement l’organisme » et de pouvoir éventuellement rémunérer les artistes.

Expérimentation artistique continuelle

Les 25 ans d’existence de Kino, qui seront célébrés samedi soir dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma, n’ont pas été exempts de grands bouleversements. On se rappelle qu’au début des années 2000, il n’y avait ni Facebook ni YouTube, et que le montage était loin d’être accessible à tous ceux et celles sachant pitonner.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Christian Laurence et Annelise Jolly

Même si ce domaine a depuis évolué, la diffusion des films en salle est encore un des grands attraits du mouvement : les jeunes cinéastes peuvent enfin rencontrer leur public dans un autre cadre que ceux de l’école et des festivals. « Encore aujourd’hui, c’est souvent la première occasion pour eux de diffuser une création sur grand écran et c’est hyper important », soutient Annelise Jolly.

Mais au-delà des projections – qui peuvent d’ailleurs servir de vitrine aux nouveaux talents –, l’essence de Kino réside dans la démarche. L’important, c’est de faire de l’art. « Si le cinéma, c’est d’aller voir une pièce à la Maison symphonique avec un orchestre, dans une salle d’une acoustique extraordinaire, Kino, c’est aller aux Foufs voir un band punk qui joue sur des amplis pourris avec des guitares qu’ils vont éventuellement détruire. Les deux ont une valeur », illustre Christian Laurence.

La « grande pollinisation »

« Il faudrait étudier ça sous un angle d’épidémiologie ! », lance spontanément Christian Laurence lorsqu’on le questionne sur les chemins qu’a empruntés Kino pour s’étendre aussi à l’international. Impossible de savoir combien de cellules du mouvement existent aujourd’hui, parce que chacune d’entre elles est indépendante. Chose certaine, il y a eu une « grande pollinisation ».

Quelqu’un à Paris m’a déjà expliqué ce qu’était Kino de long en large sans savoir qui j’étais. C’est phénoménal de vivre ça.

Christian Laurence, membre fondateur de Kino

Comment expliquer un tel succès ? Ce concept si simple, qui tient dans le creux d’une main et qui « peut être adapté, peu importe l’échelle de la communauté », y est sûrement pour quelque chose. Mais nos interlocuteurs sont unanimes : les gens ont surtout besoin de se rassembler et d’échanger. « Kino, c’est un mouvement d’humanité, d’empathie, d’engagement et d’intégration pis ça, on en aura jamais trop », résume Christian Laurence.

Kino fêtera son 25anniversaire le samedi 24 février dès 19 h dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma à la Cinémathèque québécoise. Au programme : cocktail, retrouvailles, et projections exclusives.

Consultez le site des Rendez-vous Québec Cinéma Consultez le site de Kino

Kino, incubateur de talents

Plusieurs cinéastes dont l’œuvre se distingue aujourd’hui sont un peu, beaucoup ou passionnément, passés par Kino. Voici ce que certains d’entre eux en disent.

Stéphane Lafleur

PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL

Stéphane Lafleur

Kino venait à l’époque répondre à notre désir de garder la forme et que le muscle du cinéma reste actif, d’être dans un contexte de création presque constant. C’était un banc d’essai pour explorer et tenter des choses que je n’aurais pas osé faire ailleurs.

Stéphane Lafleur (Viking, Tu dors Nicole)

Lawrence Côté-Collins

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Lawrence Côté-Collins

Kino a transformé ma vie au complet. […] Les kinoïtes, on est des gens de terrain et des gens débrouillards. Parce qu’on se construit dans l’adversité et toutes les difficultés à surmonter deviennent des tremplins pour la créativité. Ça nous rend redoutablement efficaces.

Lawrence Côté-Collins (Bungalow, Split)

Pascal Plante

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Pascal Plante

C’est avec Kino que j’ai appris à être le gardien de la bonne énergie. Les kinoïtes sont bénévoles, alors c’est tellement important d’avoir du fun. Même à ce jour, même quand je fais des films plus structurés avec de grosses équipes, c’est important que le plaisir reste dans l’équation.

Pascal Plante (Les chambres rouges, Nadia Butterfly)