C’est une charmante comédie romantique, avec de jolis comédiens, ni plus ni moins. Mais pourquoi diable le film The Idea of You (L’idée d’être avec toi), mettant en vedette Anne Hathaway et Nicholas Galitzine, fait-il autant jaser ? Décryptage en cinq temps.

L’histoire

Déposé sur la plateforme Prime la semaine dernière, le film de Michael Showalter raconte une histoire d’amour improbable entre une mère de famille salement divorcée, Solène (Anne Hathaway) et un jeune premier, Hayes (Nicholas Galitzine), chanteur vedette d’un « boys band » populaire. Leur rencontre tient du conte de fées. Solène se voit forcée d’accompagner sa fille de 16 ans (Ella Ruben) dans un spectacle de musique dont elle n’a rien à cirer, parce que le père (son ex) s’est une fois de plus défilé. Respectant tous les codes du genre, voilà qu’en cherchant les toilettes, Solène se retrouve – malgré elle toujours – dans la roulotte de la vedette/fureur de l’heure en question.

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Nicholas Galitzine et Anne Hathaway dans The Idea of You

Coup de théâtre : celui-ci, la jeune vingtaine, ressemble à un jeune et joli dieu tatoué, au regard profond et à la fossette charmeuse. Mieux : il n’est pas exactement insensible aux charmes de cette quadragénaire décalée. Le film suivra donc leur passion naissante fulgurante, drôlement mise à mal par la popularité de monsieur, les remords de madame, et surtout le fatal qu’en-dira-t-on, sans pitié pour ces amoureux particuliers, et surtout cette femme plus âgée.

Le livre, la proposition et Harry Styles

Il faut savoir que le film est adapté d’un roman du même nom, publié en 2017 par l’autrice et actrice Robinne Lee. Le texte a eu l’effet d’une bombe aux États-Unis, effet assurément magnifié par la pandémie, où il a nourri bien des imaginaires de lecteurs (lectrices !) en manque de mieux, avec pas loin de 400 pages de prose inspirante (empowering, comme disent les voisins), et quantité de passages torrides, disparus à l’écran (entre autres choses, nous y viendrons).

L’actrice américaine Gabrielle Union (coproductrice, aux côtés d’Anne Hathaway notamment) a même nommé le livre parmi ses dix préférés de tous les temps, aux côtés de The Color Purple et The Autobiography of Malcolm X, dans Vulture, saluant son aspect à la fois « divertissant et sexy », mais aussi « intelligent et profond ». Il faut savoir que Robinne Lee a aussi signalé s’être inspirée de Harry Styles pour créer son personnage (en plus du prince Harry, de son mari, et d’autres hommes de sa vie), un nom qui n’est sans doute pas étranger au succès du roman.

Sur papier

Or, « ça n’a jamais été censé être un livre à propos de Harry Styles ! » nuance l’autrice depuis, notamment dans une entrevue remarquée dans Vogue, en 2020. Même si son penchant pour les femmes plus âgées est notoire, le récit ne tourne pas autour du chanteur, mais plutôt de Solène, galeriste de 40 ans désirée, mais surtout désirante. « J’ai voulu écrire l’histoire d’une femme à l’aube de la quarantaine qui reprend les rênes de sa sexualité, qui se redécouvre, à ce moment précis où la société, traditionnellement, efface le rôle des femmes en tant qu’êtres désirables, viables et entiers », a-t-elle déclaré.

PHOTO FOURNIE PAR PRIME

Nicholas Galitzine et Anne Hathaway dans The Idea of You

Un propos qui a été interprété comme un coup de gueule bien envoyé contre Hollywood par la journaliste (et ses lectrices), quand on sait qu’à l’écran, les femmes plus âgées ont effectivement tendance à être tassées. Finis les rôles de femmes, amantes ou même d’amies, les voilà désormais campées dans un statut de mère, aux responsabilités et aspirations purement maternelles.

La proposition avortée

Cette proposition « transgressive » sur papier est sans doute ce qui explique tout le bruit autour du film, avance Anne-Sophie Gravel, stagiaire postdoctorale en études féministes et culturelles à l’UQAM. « On nous annonce une proposition qui se veut très transgressive avec une inversion des rôles de pouvoir en termes d’âges, dit-elle, mais en regardant le film, on n’atteint pas la transgression promise ! »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La doctorante Anne-Sophie Gravel

L’analyste voit plutôt ici une « discussion » sur l’acceptation des femmes à l’écran, certes d’actualité, mais qui demeure « en surface ». Ici et là, quelques répliques cinglantes (« les gens haïssent les femmes heureuses ») et un début de réflexion sur les deux poids, deux mesures (si les rôles étaient inversés, « tout le monde s’en foutrait ! »), mais le tout demeure timide. « On ne va pas très loin », dit-elle.

La discussion est d’autant moins convaincante, il faut bien le dire, qu’elle tourne autour d’un personnage interprété par une Anne Hathaway à l’éternelle flamboyance, qui n’a rien d’une femme qu’on s’apprête à mettre à l’index. Tout le contraire. « Elle est renversante de beauté et tout à fait dans les standards ! » Erreur de casting ? Malgré tout le talent de l’actrice (et elle crève effectivement l’écran), plusieurs observateurs se sont posé la question.

La fin modifiée (et autres changements décevants… ou pas !)

Autre sujet de polémique avec un roman apprécié comme celui-ci : tous les menus changements au récit. On reproche entre autres au film depuis sa sortie de gommer la complexité des personnages, et Anne-Sophie Gravel en remet. Le film commence en effet avec une Solène « en déconfiture de son divorce » et se termine plus ou moins « en déconfiture » à nouveau. « Elle ne peut pas trouver le bonheur sans homme. » Les âges des personnages ont été légèrement modifiés (Hayes a 20 ans dans le livre et 24 dans le film) comme pour rendre leur idylle plus acceptable.

Enfin, la fin, sur une note déchirante dans le texte, est ici plus joyeuse. Et si ça déplaît à certains, d’autres saluent au contraire l’ouverture, notamment le Indie Wire. Anne-Sophie Gravel abonde : « C’est intéressant, conclut-elle. La femme âgée n’est pas punie ou reléguée au malheur, elle a droit au happy end ! » Faut-il le rappeler ? C’est une comédie romantique après tout !

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