Petit séisme dans le milieu cinématographique québécois. Le distributeur de films h264, qui compte plus de 2000 sélections dans des festivals depuis sa fondation en 2015, est en difficulté financière. Sa fermeture serait « imminente », a appris La Presse.

Son fondateur et président, Jean-Christophe J. Lamontagne, ne sait même pas s’il pourra se rendre à Los Angeles dans les prochains jours pour accompagner le cinéaste Vincent René-Lortie, dont le court métrage Invincible a été sélectionné aux Oscars. « S’il n’y a pas rapidement un engagement de la part du fédéral pour soutenir nos efforts d’exportation, qui représentent plus de 50 % de nos activités, notre fermeture est imminente », a-t-il indiqué à La Presse.

Selon Jean-Christophe J. Lamontagne, l’aide à l’exportation est quasi inexistante pour les distributeurs de films. Il n’est pas seul à en payer le prix. Sphere Films International avait fermé ses portes l’été dernier, h264 avait d’ailleurs récupéré une partie de son catalogue.

« C’est un cri du cœur qu’on lance, poursuit-il. On est vraiment inquiets pour le rayonnement de nos films à l’international. Tout cela arrive dans un contexte où on s’apprête à aller à aux Oscars [la cérémonie a lieu le 10 mars] et où on vient de vendre les films Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, d’Ariane Louis-Seize, et Les chambres rouges, de Pascal Plante dans 35 pays. Des films qui ont rapporté plus de 650 000 $ US aux producteurs et aux institutions. »

« À l’interne, ça tient avec de la broche »

Selon le président et fondateur de h264, qui compte 11 employés et qui est une des seules boîtes à avoir l’expertise de la vente d’œuvres à l’étranger, « les gens ont l’impression que ça va super bien, qu’on a beaucoup de succès, et c’est vrai qu’on a du succès, mais la réalité, c’est qu’à l’interne, ça tient avec de la broche », détaille-t-il.

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Jean-Christophe J. Lamontagne, fondateur et président de h264

Une fois qu’un film est sélectionné, il y a un programme de Téléfilm Canada pour qu’on puisse faire la promotion de nos œuvres, mais pour en arriver à une sélection, il y a un travail monumental à faire.

Jean-Christophe J. Lamontagne

En gros, lorsqu’un film (court ou long) est lancé dans le circuit des festivals, h264 déploie une équipe pour en faire la promotion et le vendre à l’étranger. S’il s’agit d’un court métrage, il fera affaire avec des télédiffuseurs ou des plateformes ; s’il s’agit d’un long métrage, il négociera avec un autre distributeur, mais tous ces efforts feront en sorte que le film demeurera dans son catalogue.

Pour illustrer l’incohérence de la situation, Jean-Christophe J. Lamontagne donne l’exemple des films québécois ou canadiens projetés à la Berlinale en ce moment. « Ils sont tous représentés par des agents de vente européens. Si on disparaît, plus de 80 % des 40 à 60 nouvelles productions financées par Téléfilm Canada [qui a reçu 100 millions pour les deux prochaines années] vont se retrouver sans vendeur ou représentés par des vendeurs européens. »

Le modèle d’affaires hybride de h264 a pourtant été vanté par de nombreux producteurs et cinéastes québécois au fil des ans.

Philippe Falardeau, qui a publiquement soutenu le film Invincible de Vincent René-Lortie et qui est en discussion avec h264 pour la distribution d’un court métrage qu’il compte produire, n’en revient pas de voir la jeune boîte sur le point de disparaître.

« Ironiquement, c’est par les revenus étrangers que les producteurs et les institutions se remboursent, encore plus que par les recettes locales au box-office. Et pourtant, on n’a pas développé d’expertise en vente internationale, déplore-t-il. Certains l’ont fait, Séville l’a fait. Mais en général, il faut aller voir un agent de vente européen pour vendre ses œuvres à l’international. h264 est l’un des rares à avoir réussi à le faire. »

Philippe Falardeau estime qu’il y a « une défaillance et un esprit à courte vue » de la part des institutions.

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Philippe Falardeau, réalisateur

Moi, j’ai cinq films qui appartiennent à des entreprises étrangères que je ne connais pas. La moitié gauche du frigo est introuvable sur les plateformes, c’est une compagnie étrangère qui en est propriétaire et je ne sais même pas qui appeler si je veux savoir dans quel catalogue il se trouve. Le droit d’exploitation sous toutes ses formes est cédé à un distributeur, qui a un catalogue qu’il peut vendre à qui il veut. C’est ça, la réalité.

Philippe Falardeau

Un enjeu d’importance

Du côté de Téléfilm Canada, Francesca Accinelli, vice-présidente stratégie des programmes et développement de l’industrie, reconnaît que la question de la propriété des licences est un enjeu. « Nous avions un programme d’aide à l’exportation qui a été suspendu au mois d’août dernier parce qu’on recevait trop de demandes, mais il s’adressait aux distributeurs étrangers qui souhaitaient faire la promotion de films canadiens à l’international. »

Mme Accinelli admet qu’il n’existe aucun programme d’aide spécifique visant les agents de vente ou les distributeurs de films québécois ou canadiens. « Nous allons voir s’il n’y a pas moyen d’élargir le programme pour inclure les distributeurs canadiens », fait-elle valoir.

Le producteur Roger Frappier estime que le Québec et le Canada doivent se rendre compte de l’importance de l’enjeu de l’exportation.

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Le producteur Roger Frappier

« Le contexte a changé, commence-t-il par dire. On est passé d’une distribution en salle à une distribution beaucoup plus complexe, qui passe par les plateformes numériques, les câblodistributeurs et les alliances avec d’autres distributeurs. Les distributeurs comme h264 doivent être présents dans les marchés internationaux comme Berlin, Cannes, Toronto, etc. Pas les institutions… Les gouvernements doivent mettre en place des programmes d’aide rapidement pour couvrir les frais de représentation, la publicité, etc., sinon l’exportation de nos films est vouée à l’échec. »

M. Frappier n’ose pas imaginer l’industrie sans h264. « C’est grâce à eux que les films Un 32 août sur terre et Maelström, de Denis Villeneuve, et La grande séduction, de Jean-François Pouliot [tous des films qu’il a produits], sont aujourd’hui disponibles sur les plateformes. C’est également notre partenaire international pour le nouveau film d’Annie St-Pierre, La portraitiste, que Florence Longpré a scénarisé. Leur disparition laisserait un vide énorme. »

Malgré tout, Jean-Christophe J. Lamontagne n’est pas prêt à baisser les bras.

Nous, on croit que notre industrie est forte, qu’on a une expertise locale et que nos films méritent d’être portés à l’international par des acteurs d’ici, non pas par des acteurs étrangers. On pourrait se limiter au marché québécois, mais ce serait dommage.

Jean-Christophe J. Lamontagne

Le fondateur de h264 a passé un coup de fil au cabinet du ministre québécois de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, qui s’est dit sensible à la question. « On a senti un appui de sa part, mais nous sommes en difficulté depuis l’été dernier. Pour nous, il est minuit moins une. » Même son de cloche du côté de Patrimoine canadien, qui a pris connaissance du dossier il y a trois semaines et qui cherche un moyen d’aider le distributeur.

Enfin, du côté de la SODEC, qui finance la production de courts et longs métrages, il existe un programme qui offre une aide à l’exportation des œuvres inscrites au catalogue des distributeurs québécois. L’enveloppe consentie une fois tous les deux ans, dans le cadre de ce programme baptisé Sodexport, sera bonifiée, nous a confirmé Caroline Galipeau, déléguée aux affaires internationales, exportation et mise en marché du cinéma. « Nous sommes conscients de la situation que vivent les distributeurs qui souhaitent exporter leurs films et nous allons mettre de l’avant des solutions qui vont les aider », a-t-elle affirmé.

Qu’est-ce que h264 ?

Distributeur de courts et de longs métrages fondé en 2015 par Jean-Christophe J. Lamontagne.

Le distributeur a recueilli plus de 2000 sélections pour des films qu’il a distribués. À Berlin, Cannes, Venise, Sundance et Clermont-Ferrand, entre autres.

Trois de ses courts métrages ont été sélectionnés aux Oscars : Invincible de Vincent René-Lortie cette année, Marguerite, de Marianne Farley, et Fauve, de Jérémy Comte, en 2019

De nombreux films, courts ou longs métrages ont été vendus à l’étranger et sont notamment accessibles sur des plateformes numériques. C’est le cas d’Un 32 août sur terre, Maelström ou La grande séduction.