Le vénérable cinéaste malien Souleymane Cissé a reçu jeudi un Prix spécial pour l’ensemble de sa carrière de la part de Vues d’Afrique. Il est à Montréal pour accompagner sa fille Fatou, qui présente son documentaire Hommage d’une fille à son père au festival.

Cette distinction précède le Carrosse d’Or qu’il recevra le mois prochain au Festival de Cannes. Depuis quelques années, nombre d’évènements cinématographiques soulignent son apport précieux au septième art. Ils proviennent de différentes régions du monde… mais pas du Mali.

« J’ai fait ce film parce que mon père n’est pas assez reconnu dans son pays, reconnaît Fatou Cissé en entrevue. Il s’est battu pendant plus de 50 ans et ce sont les autres qui le récompensent. »

L’œuvre de Souleymane Cissé demeure importante et significative. En compagnie de son homologue sénégalais Ousmane Sembène (La noire de…, Mooladé), il a permis au cinéma africain d’exister sur le plan international. Il est le premier cinéaste d’Afrique noire primé à Cannes pour un long métrage (son magnifique Yeelen a remporté le Prix du jury en 1987), et des metteurs en scène de la trempe de Martin Scorsese et de Costa-Gavras comptent parmi ses admirateurs.

« Le cinéma a toujours été fondamental dans ma vie, confie d’une voix douce Souleymane Cissé, qui vient de célébrer son 83e anniversaire. Ma première rencontre s’est déroulée vers l’âge de 4 ou 5 ans avec des westerns. J’étais fou ! Quand j’avais 14 ans, j’avais une place réservée au cinéma. Le soir, si je ne voyais pas un film, ça n’allait pas. »

Une bourse d’études lui a permis d’aller apprendre son art pendant sept années à Moscou avant de revenir dans son pays d’origine pour réaliser un premier long métrage qui allait marquer son existence à jamais. En 1975, Den Muso, qui porte sur le destin malheureux d’une fille-mère muette rejetée de tous, subit la censure et son créateur est jeté en prison.

« Ça fait partie du parcours du combattant, expose sans rancune le principal intéressé. Je devais passer par là pour comprendre que le métier que j’ai choisi était formidable et qu’il ne fallait pas le laisser tomber. C’est évidemment un évènement blessant qui laisse des traces. Mais ces traces m’ont aidé à surmonter les difficultés de faire des films dans un pays où rien n’existe… Je me suis battu pendant trois années pour qu’on ne brûle pas les négatifs. Cela m’aurait détruit. Ça m’a donné le courage d’affronter les difficultés à venir. Je crois en l’avenir, que demain l’homme se tiendra debout. »

Transmettre coûte que coûte

Avec des opus comme Baara, Finyè et Yeelen, le cinéaste a développé un style authentique et éminemment reconnaissable, aussi lyrique que poétique, qui s’intéresse à la notion de pouvoir tout en mettant constamment l’être humain au cœur de ses préoccupations et ce, sans misérabilisme. « J’ai assisté à l’avant-première de Waati en 1995 et j’ignorais que c’était un film de mon père, relate en riant Fatou Cissé. Pour moi, c’était un film américain. Sa filmographie n’est pas celle d’un Africain. Elle est différente. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Souleymane Cissé avec sa fille Fatou Cissé

Sa fille plonge avec délectation dans les œuvres de son père jusqu’à devenir directrice de production de ses plus récentes créations (O Ka, Min Yé). Puis elle réalise Hommage d’une fille à son père, un documentaire personnel, sensible et critique qui dresse des parallèles passionnants entre la carrière de son paternel et le septième art malien. Non seulement Souleymane Cissé transmet pour les générations futures, mais il tente aussi de développer des structures afin de développer un cinéma national.

« J’espère que la situation va s’améliorer, lance sur un ton grave la réalisatrice. Pour faire un film, il faut du financement, et jusqu’à présent, il n’y a pas de financement approprié pour le cinéma. Il faut se débrouiller seul pour aller chercher de l’argent… Déjà qu’il n’y a pas de formation en tant que telle au Mali qui est reliée au cinéma. »

Si l’un des cinéastes les plus importants à l’échelle mondiale ne possède pas les moyens pour créer, cela n’augure rien de bon pour la suite des choses.

« Malgré tout ce que mon père a fait pour mettre en valeur le cinéma malien et africain, il n’est toujours pas reconnu dans son propre pays », rappelle sa fille.

« Je pense que Fatou doit être tolérante, relativise son père, qui prépare un documentaire sur Martin Scorsese. Quand on dit que “Nul n’est prophète en son pays”, c’est une vérité. Mais ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est qu’on est arrivé à faire des choses. Les films restent. Il faut se baser sur ça et laisser tomber les histoires… Nous savons que le jour viendra où notre culture prendra forme. »

Vues d’Afrique se déroule jusqu’au 30 avril.

Visitez le site du festival pour la programmation