Les centenaires de constructeurs automobiles se succèdent depuis quelques années. Après Renault (1898), Fiat (1899), Mercedes (1901), Ford (1903), Rolls-Royce (1904) et Lancia (1906), voici que General Motors s'apprête à souffler ses 100 bougies.

1908 à 1923 Les débuts: William Durant

General Motors, une entreprise planétaire, est née dans l'imagination de William Durant (Boston, 1861), homme d'affaires brillant et visionnaire. Ni ingénieur, ni spécialiste de l'automobile, Durant était néanmoins convaincu, en ce début de siècle, du brillant avenir de l'automobile. De fusion en acquisition, Durant a jeté les fondations de GM, qui s'est hissée rapidement au premier rang mondial.

1923 à 1956 L'ère Sloan et la domination mondiale

Diplômé du Massachusetts Institute of Technology, Alfred Sloan était un spécialiste du management. Alors que Durant avait un style fougueux, Sloan a plutôt adopté un mode de gouvernance raisonnée. Il a instauré un système de marketing visant à éviter que les modèles GM n'entrent en concurrence: il a divisé le marché en marques et catégories de prix. C'est ainsi qu'est née la hiérarchie GM: Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et Cadillac, chaque division ayant sa catégorie propre et sa gamme de prix. Cette structure visait aussi à rendre l'acheteur captif des marques GM, avec lesquelles il pouvait évoluer selon l'augmentation de son pouvoir d'achat.

Outre la segmentation du marché, Sloan a aussi inventé le concept «d'obsolescence planifiée», une pratique qui consiste à stimuler la demande en modifiant régulièrement le design des modèles, créant ainsi un besoin artificiel; c'est ainsi qu'a commencé le rituel du «modèle de l'année».

Outre le public, l'obsolescence planifiée a aussi fait des victimes chez les constructeurs indépendants, qui ont dû céder devant le diktat des millésimes. Sans compter que les marques innovatrices comme Hudson, qui construisaient des structures monocoques modernes, ne pouvaient pas changer de look aussi facilement que les marques vouées à la technologie dépassée du châssis à carrosserie séparée. L'ère Sloan s'est donc terminée par la disparition de nombreux plus petits constructeurs, qui ont succombé devant le gigantisme des Trois Grands.

1970 à 1980 La fin du «miracle automobile»

Pratique sans doute géniale du point de vue de GM et de ses actionnaires, l'obsolescence planifiée portait néanmoins en elle une ou deux graines destructrices. En effet, à vouloir faire croire au consommateur que le «nouveau» était meilleur que l'ancien, on a fini par y croire et l'innovation, la vraie, est passée au second plan. Les ingénieurs se sont occupés de confectionner la «nouvelle robe» du prochain modèle, tandis que le «mannequin» ne changeait pratiquement pas. Sur le plan technique, l'automobile américaine a donc cessé d'évoluer, laissant le champ libre aux innovations venues d'ailleurs.

Par ailleurs, l'impératif du changement annuel a éliminé aussi la possibilité de conserver au produit un «air de famille». En effet, rien ne ressemblait moins à une Pontiac 1950 qu'une Pontiac 1960, alors que Mercedes, Volkswagen, BMW et plusieurs autres ont cultivé jalousement le même look pendant des décennies. C'est ce qu'on appelle l'image de la marque.

1980 à 2000 «Il faut faire quelque chose»

Innovations au ralenti, image de marque vacillante, part de marché en baisse «Il faut faire quelque chose», se sont dit les bonzes de Detroit. Et ce quelque chose, ç'a été le camion! En maîtres absolus du marketing, les constructeurs américains qui détenaient presque 100% de ce marché ont décidé de capitaliser sur les goûts du consommateur américain. Ils ont déguisé leurs camions en grosses voitures endimanchées, ont fait croire que «big is beautiful»; que «big», ça protège mieux; que «big», c'est plus robuste; que «big», c'est plus viril, plus Rambo. Il n'en fallait pas plus pour que le camion et son dérivé, l'utilitaire sport, prennent d'assaut les routes d'Amérique.

La mode du camion, qui dure depuis une vingtaine d'années, n'a pas réussi à cacher le fait que l'automobile américaine, elle, a été oubliée, négligée, presque bannie. Mais il a suffi d'une ou deux crises du pétrole pour réveiller le public et, par ricochet, les actionnaires de GM. On a exigé des réponses, proposé des «restructurations», cherché à s'associer à tel ou tel constructeur européen ou asiatique, et fait croire qu'on avait compris. Mais on n'en finissait plus de comptabiliser les pertes.

2008 La crise

En réalité, l'automobile américaine, et GM en tête, est en crise profonde, une crise dont les origines remontent aux années 60 et qui ne sera donc pas facile à résoudre. Ce ne sera toutefois pas impossible, car, malgré la tourmente, il existe quelques exemples de réussite, à commencer par Cadillac. Descendue aux enfers, cette marque autrefois prestigieuse a finalement retrouvé ses origines: la véritable voiture de luxe, innovante et performante. GM aura-t-elle la sagesse et le courage de poursuivre sur cette voie, c'est-à-dire de revenir aux sources et de rationaliser? À Chevrolet, les modèles d'entrée de gamme. À Buick, le milieu de gamme, et à GMC, les camions. Point à la ligne.

«Ce qui est bon pour la General Motors est bon pour les États-Unis», disait-on à une certaine époque. Est-ce encore le cas? L'interminable débandade nous permet d'en douter. Espérons que le premier centenaire de GM ne sera pas aussi son dernier. Le débat est ouvert.