Près d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la création de la voiture de série la plus radicale jamais créée par un constructeur américain. Et l'échec de la nouvelle venue sur le marché a probablement contribué à anéantir à tout jamais les chances de succès d'une véritable petite voiture américaine, une lacune qui se fait sentir amèrement de nos jours.

Domination et uniformité

À la fin des années 50, l'automobile américaine domine le marché. Elle est de conception pratiquement uniforme: grande, propulsée par un gros V8 placé à l'avant et qui anime les roues arrière au moyen d'un essieu rigide, le tout monté sur un châssis de type échelle, surmonté d'une carrosserie amovible et facilement modifiable d'une année à l'autre.

Si la très grande majorité des automobilistes se satisfait de ce «modèle universel» qui fait la fortune des trois grands constructeurs, un nombre grandissant de libres-penseurs s'intéresse à des voitures venues d'ailleurs, que ce soit des modèles sport ou des petites économiques, dont une certaine Volkswagen. Premier à réagir à cette incursion étrangère, General Motors confie à ses ingénieurs le mandat de créer une «meilleure Volkswagen, plus grande, plus puissante, plus séduisante».

C'est ainsi que naît en 1960 la Chevrolet Corvair: une compacte basse, montée sur un châssis monocoque et des suspensions entièrement indépendantes, animée par un six cylindres à plat refroidi à l'air et presque entièrement en aluminium - et ce moteur est placé à l'arrière. Quatre révolutions d'un seul coup: le châssis, les suspensions, le moteur et son emplacement.

Le succès est immédiat et 250 000 Corvair trouvent preneur la première année. Mais des problèmes surgissent bientôt, alimentés par la politique du moindre coût qui prévaut chez GM. La principale victime est la suspension arrière de la Corvair qui souffre, de par sa conception, d'un défaut notable qui rend la voiture difficile à maîtriser à vitesse élevée. Exactement le même mal qui afflige d'autres voitures «tout à l'arrière», notamment la Volkswagen, sa cousine la Porsche 356, la Renault Dauphine, la Fiat 600, etc.

Y a-t-il un remède? Oui : une barre antiroulis qui atténue la tendance au survirage brutal et qui coûte moins de 10$. Décision de GM: on laisse faire! Jusqu'en 1964, date à laquelle on installe sur la suspension arrière un ressort transversal «compensateur de carrossage» qui atténue le comportement néfaste de la suspension à essieu oscillant, le fameux «swing axle».

La bombe Nader

En 1965, la Corvair fait peau neuve tant du point de vue esthétique que technique. La principale amélioration à ce chapitre est l'adoption d'une suspension arrière articulée qui lui assure une tenue de route fort acceptable, ce qui fait d'ailleurs la joie des sportifs, du moins des sportifs avertis. La même année, un jeune avocat du nom de Ralph Nader publie Unsafe at Any Speed (dangereuse à toutes les vitesses), un témoignage percutant sur le manque flagrant de sécurité de l'automobile américaine et plus particulièrement de la Corvair 1960! Le livre fait fureur, un succès alimenté par la maladresse de GM, qui engage des enquêteurs privés dans le but de trouver une «bibitte» quelconque dans la vie privée de Nader afin de le discréditer. À ce désastre de relations publiques viennent s'ajouter de nombreuses poursuites intentées par des «accidentés» de la Corvair. Puis, comble de malheur, arrive sur la scène automobile en 1965 la réplique foudroyante de Ford: la Mustang.

La pauvre Corvair, malgré ses innovations techniques et son style qui fera école, surtout en Europe (NSU Prinz/1000, Hillman/Sunbeam Imp, Simca 1000, Panhard Dyna, Fiat 1500, Lancia Fulvia, VW 1600 L, etc.) ne survit pas à ce déferlement de mauvaises nouvelles. La dernière Corvair sort de l'usine le 14 mai 1969.

Qui a tué la Corvair ?

De nombreux ouvrages ont été écrits sur la Chevrolet Corvair essayant d'expliquer sa mort prématurée, tandis que la Volkswagen, technologiquement identique, a réussi à battre tous les records mondiaux de longévité et de production et que la Porsche 911 (descendante de la 356, issue directement de la Volkswagen) existe encore aujourd'hui avec la même architecture.

Qu'est-ce qui a tué la Corvair, «la voiture la plus controversée du XXe siècle» ? Ralph Nader, diront certains. Mais la réalité est sans doute bien plus complexe. Voici quelques raisons glanées au fil de nos recherches: l'erreur initiale de GM, qui refuse de corriger le problème de suspension arrière dès la première année; l'inexpérience de l'automobiliste américain moyen au volant d'une petite voiture à moteur arrière; l'arrivée de la Ford Falcon et de sa dérivée, la Ford Mustang, plus traditionnelles et moins coûteuses à construire; la Chevrolet Camaro, qui a scellé le sort de la Corvair dans le segment naissant de la voiture sportive (à ne pas confondre avec la voiture sport), et même l'ignorance des mécaniciens, habitués à gonfler également les quatre pneus d'une voiture, alors que la Corvair exigeait 15 livres à l'avant et 26 à l'arrière Enfin, le bouquin de Nader et la maladresse de GM face aux critiques formulées.

Signalons qu'en 1972, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a exonéré la Corvair morte trois ans auparavant. Trop peu, trop tard.

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