L'année dernière, 608 personnes ont trouvé la mort sur nos routes. Le meilleur bilan des 59 dernières années (1948 : 566 décès), mais toujours trop!

Pour un gouvernement minoritaire, les occasions d'annoncer de bonnes nouvelles sont plutôt rares. Il faut donc les saisir quand elles passent. Il y a une semaine, la ministre des Transports du Québec, Julie Boulet, n'a pas hésité à souligner la réussite des pouvoirs publics en matière de sécurité routière. Le contraire aurait été plutôt gênant pour la ministre, signalent avec une pointe de cynisme certains observateurs qui se demandent toujours pourquoi la ministre a convoqué un point de presse avec un bilan aussi incomplet.

On veut bien croire la ministre lorsqu'elle qualifie ce (son) bilan d'historique et qu'elle affirme «que la nouvelle est trop bonne pour être retenue», mais pourquoi pareil empressement sans avoir au préalable colligé toutes les informations pertinentes?

En lieu et place, on se donnait de petites tapes dans le dos à Québec, où plusieurs «invités» tentaient tant bien que mal de se faire une petite place sous les projecteurs. C'était le cas notamment de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qui y voit le résultat des préoccupations qu'elle a contribué à mettre de l'avant dans le cadre de sa participation à la Table de la sécurité routière: «La baisse de 14 % des collisions mortelles observée sur le réseau routier sous la responsabilité de la Sûreté du Québec pourrait s'expliquer par les pressions effectuées par le monde municipal en faveur d'un accroissement du contrôle policier en milieu rural. La FQM se réjouit de ce résultat, d'autant plus qu'elle a toujours réclamé un rôle accru pour les élus municipaux au sein des comités de sécurité publique où siège également la SQ.» Tout le monde a droit à ses deux petites minutes de gloire, non?

Rien n'a changé

La communication prématurée de la ministre met son bilan en doute. Il n'y a pas lieu de créer une polémique, ni de contester les progrès réalisés au cours de la dernière année, mais il reste que le commentaire de la ministre est, pour l'heure, seulement statistique.

Difficile de crier victoire quand on parle de 608 morts et de leurs familles plongées dans la douleur. Mais en ces temps de remise en cause permanente de l'action politique et de son efficacité, la ministre Boulet et ses acolytes ont quelques raisons de se féliciter d'avoir donné un coup de frein à la courbe de la mortalité routière. En fait, qui oserait remettre en question la volonté annoncée par le gouvernement de faire reculer la mortalité sur nos routes?

Et l'alcool? Et les jeunes? L'utilisation - même mains libres - du cellulaire au volant? Et surtout, le port de la ceinture de sécurité? En entrevue à la télévision de Radio-Canada, Jean-Marie De Koninck, président de la Table québécoise sur la sécurité routière (dont le mandat vient d'être renouvelé) soulignait que «65 vies auraient pu être sauvées en 2007 si tous les occupants de voitures avaient bouclé leur ceinture de sécurité».

Plus de contraventions, plus de campagnes de sensibilisation ont aidé et, selon cet expert, les conducteurs modifient leurs habitudes. M. De Koninck en est convaincu : «Les Québécois ont compris qu'il fallait adopter une autre façon de conduire.» Je n'en suis pas si sûr, et je ne crois pas non plus, comme ma collègue du Devoir, Lise Payette, qu'il faut remettre une médaille d'or à l'ensemble des automobilistes québécois et les considérer comme étant «les meilleurs conducteurs du monde».

Rien n'a changé. Le plus difficile reste encore à faire: franchir le cap d'une réelle prise de conscience collective. La baisse du nombre d'accidents fatals, mais aussi des plus légers, montre sans doute que les automobilistes ont levé le pied, mais cette évolution des comportements est encore à mettre sur le compte de la peur de la sanction.

Il n'y a pas de seuil infranchissable en matière de baisse du nombre de personnes tuées et blessées sur les routes et ce bilan, bien qu'encourageant à la surface (attendons de voir le rapport en détail), oblige à rester vigilant. Parmi les principaux facteurs de risques, la vitesse et l'alcool demeureront, on s'en doute, déterminants.

La mise en place inévitable de radars automatisés ramènera les automobilistes - du moins la très grande majorité d'entre eux - à la raison, particulièrement sur les autoroutes urbaines. L'automaticité et la rapidité du coup porté au porte-monnaie seront hélas infiniment plus efficaces que toutes les campagnes de prévention.

C'est regrettable mais c'est ainsi: le conducteur se préoccupe beaucoup plus de son porte-monnaie que des vies qu'il peut mettre en danger par sa vitesse. Il faudra donc encore beaucoup d'autres radars automatiques pour «pacifier» complètement les routes du Québec, et ce, même si nombre d'automobilistes contestent le bien-fondé des radars. Mais ne nous faisons pas d'illusions. La chasse à l'automobiliste est financièrement juteuse et médiatiquement porteuse.

Mais il n'y a pas que ça. Il importe d'améliorer la qualité de notre réseau routier, qui est souvent encore à l'origine d'accidents graves. Cela implique de cibler les objectifs et notamment de réprimer la conduite sous l'emprise de substances illicites et de mettre fin à l'utilisation du cellulaire au volant. Cela suppose enfin une amélioration sérieuse de la formation des jeunes automobilistes.

Cela dit, il est peu probable que les autorités reconnaissent que le prix du pétrole ait été le meilleur allié de ces gourous de la sécurité routière au cours de la dernière année, car aucune autre circonstance extérieure, y compris la vigilance accrue de la Sûreté du Québec, n'explique cette embellie. On modère peut-être nos transports, voilà tout.