Après un hiver long et rude, le printemps semble enfin arriver pour Chrysler. Le dévoilement récent du nouveau Jeep Cherokee est le prélude à une avalanche de nouveaux produits, dont 11 chez Dodge seulement. Le constructeur américain y va aussi d'une offensive marketing sans précédent, comme on a pu le constater il y a 10 jours lors de l'épreuve NASCAR Nationwide présentée au Circuit Gilles-Villeneuve. Chrysler y a non seulement dépêché son numéro un canadien, Reid Bigland, mais également le grand patron de Dodge et responsable du design de Chrysler, le Montréalais d'origine Ralph Gilles. La Presse les a rencontrés.

Q: Associer Dodge à la course automobile de façon aussi étroite fait-il partie d'une stratégie de mise en marché de la marque?

Reid Bigland, président-directeur général de Chrysler Canada: On a une présence significative cette saison en sport automobile. Brad Keselowski est le meneur au classement de la série Nationwide et on a conclu une entente avec le Québécois Andrew Ranger, qui est certainement l'un des pilotes les plus prometteurs, sinon dans le monde et très certainement au Canada.

Dodge et le sport automobile se marient aussi bien que le beurre d'arachide et la confiture. La Dodge Challenger est une icône qui rappelle la nostalgie des «muscle cars», la Charger tire aussi ses racines de la course automobile. La nature sportive de notre catalogue Dodge, en incluant bien sûr la Viper, s'accorde parfaitement avec le monde de la course automobile. C'est pourquoi on est très intéressé de rétablir nos liens avec la course auto. Le caractère compétitif de la course est aussi parfaitement en phase avec la nature et l'image de notre compagnie et de notre marque.

Q: Est-ce que le fait d'accentuer votre présence sur les circuits permet de faire oublier aux consommateurs le fait que Chrysler n'a pas présenté beaucoup de nouveautés au cours des dernières années?

Ralph Gilles, président-directeur général de Dodge et vice-président design du Groupe Chrysler: Je crois que ce que l'on voit est une compagnie qui recommence à faire ce qu'elle a toujours fait. On a été de tout temps présents en course automobile. Nous avons dû prendre un certain recul récemment pour guérir nos plaies, mais nous sommes en train de remettre les commandes en marche. La course est l'un des aspects que nous voulons relancer et c'est une façon de dire au monde: «Eh! Dodge est de retour!» On ne veut pas se cacher derrière des stratégies fuyantes, on veut réaffirmer notre place. Je crois que la course fait partie de notre ADN, on ne veut pas s'en détourner.

Q: Est-il possible de mener à la fois une stratégie reposant sur l'image sportive de la marque tout en essayant de séduire une clientèle qui, surtout ici au Québec, est davantage intéressée par de petites voitures économiques?

RG: La façon dont j'analyse cette approche marketing est que les gens qui suivent la course, aiment la course. La personne qui apprécie les voitures sportives et les «muscle cars» est celle qui s'installe devant la télé pour regarder les courses. C'est un type de mise en marché qui est extrêmement ciblé. Ça ne veut pas dire que cela va favoriser les ventes de mini-fourgonnettes, mais ça nous permet néanmoins de faire la promotion de la marque Dodge. La course n'est donc qu'une seule des multiples avenues développées par Dodge.

Q: Le fameux dicton «Gagner le dimanche, vendre le lundi», ne s'applique donc pas?

RB: Je crois que les gens aiment être associés à des gagnants, peu importe s'ils s'intéressent ou non à la course. Les consommateurs vont vouloir être associés à Dodge car il s'agit d'une marque gagnante. C'est sûr que ça peut avoir un impact positif sur l'ensemble de nos produits.

Q: Qu'en est-il de la Viper? La voiture a cessé d'être produite mais elle roule encore en piste?

RG: En effet. Je veux garder la marque vivante. On a lancé la série Viper Cup cet été avec beaucoup de succès. On appuie aussi le pilote montréalais Kuno Wittmer (en série World Challenge, NDLR), qui est extrêmement talentueux. Les propriétaires de Viper n'ont jamais cessé de faire de la course, alors on veut les appuyer en commanditant ce que l'on appelle les Journées Viper, ce qui est une autre façon de garder la marque vivante, parce qu'on ne sait jamais ce qui pourrait arriver...

Photo: David Boily, La Presse

Andrew Ranger

Q: Certaines de vos voitures, comme la Viper justement, ont réussi avec les années à attirer une clientèle d'irréductibles qui s'identifient fortement à leur bolide. Est-ce simplement dû au hasard?

RG: On appelle ces voitures des icônes. C'est en effet arrivé par accident, mais on si regarde cela avec un peu de recul, on voit que ces modèles sont nés de la passion; des employés passionnés, des designers passionnés et des propriétaires passionnés. Une compagnie éclairée va préserver et entretenir ses icônes.

Q: Croyez-vous que ces icônes peuvent avoir un impact positif sur l'ensemble de la marque?

RG: Bien sûr.

Q: Chrysler a pourtant connu d'importantes difficultés...

RG: Oui, mais la source de ces problèmes est ailleurs. C'est une chose de compter sur des voitures iconiques, mais si les piliers de l'entreprise sont touchés, ça peut faire mal. On s'affaire donc à régler tous les problèmes, à tous les niveaux de nos produits, que ce soit au niveau de la qualité de fabrication que du design. Les modèles qui vont arriver sur le marché prochainement ont été réalisés avec un souci du détail qui frise l'obsession.

Q: Malgré cela, pensez-vous que Chrysler va arriver à se débarrasser de l'image négative qu'elle traîne depuis quelque temps déjà?

RG: Oui. Les récents succès de Dodge au Canada montrent que si on se donne la peine de faire un peu de ménage et que l'on présente nos produits convenablement aux consommateurs, ces derniers vont revenir. La preuve, certains de nos modèles qui sont sur le point d'être renouvelés se vendent toujours bien.

RB: Beaucoup de choses négatives ont été dites à propos de Chrysler en 2009 et cela a certainement affecté nos ventes. On est maintenant en 2010, deux des trois modèles de véhicules vendus au pays sont des Dodge, la Grand Caravan et le Ram. Nos ventes annuelles sont en hausse de 37%, on a gagné 2,8% de parts de marché, soit le double de notre plus proche concurrent, Ford, et tout ça a été réalisé avant l'arrivée massive de nouveaux modèles au cours des six prochains mois. On est donc très optimistes quant à notre avenir.

Photo Dodge Motorsports

La Viper ACR-X que pilote Kuno Wittmer en 2010.

Q: Croyez-vous que les consommateurs vont être en mesure de s'y retrouver devant une telle avalanche de nouveaux modèles?

RG: C'est en effet un aspect qui alimente les débats dans nos bureaux. Mais c'est un beau problème à avoir. On s'aperçoit par ailleurs que les différentes régions du continent ont des besoins qui leur sont propres. On veut donc arriver avec une formule qui va permettre de vendre les voitures en fonction de la demande. Certaines voitures qui se vendent bien dans le sud des États-Unis ont moins de succès dans le Nord-Est; on veut pouvoir être en mesure de faire la promotion de nos véhicules là où ils sont les plus populaires. Même chose au Canada, où les marchés de l'Ouest et de l'Est sont complètement différents.

RB: Aucun doute là-dessus. Le nord du Québec et l'Alberta sont friands de camionnettes robustes, que l'on voit moins à Montréal. Mais nous estimons avoir un éventail de choix qui devrait plaire à tout le monde. Si vous aimez les petites voitures, les nouveaux Jeep Compass et Patriot sont le jour et la nuit par rapport aux modèles qu'ils vont remplacer. Si vous aimez davantage un look sportif et musclé, les nouvelles 300 et Charger sont complètement revampées. Du côté des VUS, nous allons bientôt dévoiler un nouveau multisegment pleine grandeur qui partage sa plateforme avec le Mercedes Classe GL.

Q: Qu'en est-il des véhicules verts? La demande est encore marginale, mais ça demeure une bonne façon de positionner son image de marque?

RB: Certainement, on se doit de proposer des véhicules que les gens veulent acheter. Les voitures hybrides ne représentent que 2% des ventes, ce n'est donc pas un type de véhicule qui rejoint encore un grand public. Mais c'est ici que Fiat va réussir à se positionner. Fiat est le plus faible émetteur de gaz à effet de serre des tous les constructeurs européens et, en plus de la 500, nous prévoyons importer davantage de modèles Fiat au cours des prochaines années.

RG: La Fiat électrique sera mise en marché d'ici deux ans et on compte aussi sur les gens de notre équipe ENVI, qui n'est plus baptisée comme telle mais qui est encore fort active dans le développement des technologies électriques. On a même récemment ajouté des membres à notre équipe électrique.

RB: Un autre secteur qui nous intéresse est le gaz naturel. On développe, en collaboration avec Fiat, un moteur à double-usage qui pourrait utiliser à la fois le gaz naturel que l'essence régulière. À la pression d'un simple bouton, on peut choisir lequel des carburants on veut utiliser. Il en coûtera trois fois moins cher de rouler au gaz naturel qu'avec de l'essence et les émissions de gaz à effet de serre seront significativement réduites.

RG: D'ici là, tous les véhicules que nous allons lancer d'ici 2011 seront plus économiques à la pompe. Par exemple, le nouveau Durango consommera 30% moins d'essence que le modèle qu'il remplacera. Tous les nouveaux modèles Dodge vont compter sur un nouveau V6 extrêmement efficace; on utilisait pas moins de sept V6 dans nos différents modèles, ils seront remplacés par un seul.

Q: Pourquoi ces moteurs n'ont-ils pas été mis en marché plus tôt?

RG: C'est le choix qu'on fait les équipes de direction en place à l'époque... Je crois que cela est derrière nous maintenant. Heureusement, on a commencé à travailler sur ce moteur il y a près de sept ans, il a été soumis à un développement rigoureux. On travaille également avec ardeur à la technologie des transmissions en collaboration avec des partenaires de pointe, si bien que l'on estime être en mesure de devenir à court terme les leaders mondiaux au niveau des groupes motopropulseurs. En plus, Fiat nous arrive avec la technologie MultiAir, qui nous faisait littéralement saliver il y a quelques années. Maintenant qu'on peut en bénéficier, on va explorer la possibilité d'étendre son utilisation à d'autres modèles que la 500, chez Dodge notamment. On veut donc s'améliorer à tous les points de vue, en s'efforçant toutefois de ne pas perdre notre âme et notre caractère.

Photo fournie par Chrysler

Le Jeep Grand Cherokee 2011, pour lequel Chrysler a des attentes très élevées, est le premier véhicule à être mû par le nouveau moteur V6 Pentastar plus économique en essence.

Q: Où se situe Fiat, justement, dans toute cette stratégie?

RG: En fait, Fiat n'a rien à voir avec moi et c'est un peu la beauté de la chose; je peux me concentrer à positionner Dodge comme une marque destinée aux passionnés de l'automobile ainsi qu'aux consommateurs de mini-fourgonnettes.

RB: La marque Fiat sera mise en marché de façon complètement différente des Jeep, Chrysler, Ram ou Dodge. On veut donner à Fiat une image jeune, tendance et amusante. Vous avez mentionné plus tôt que les consommateurs québécois s'intéressaient aux petites voitures; mais ils sont aussi très au fait des nouvelles tendances. C'est pourquoi nous estimons que la Fiat 500 va connaître beaucoup de succès ici.

Q: Elle sera vendue dans les concessionnaires Dodge?

RB: Les concessionnaires Chrylser-Dodge-Jeep intéressés vont pouvoir vendre la Fiat, mais ce devrait être dans une salle de montre indépendante. Ce pourrait être sous un même toit, mais les installations devront être distinctes. La clientèle sera très différente, alors nous voulons que l'expérience soit aussi entièrement différente de ce que l'on retrouve dans nos concessionnaires actuels.

Photo AFP

Fiat 500.