Le silence des chaînes de montage automobile en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Autriche n’est pas qu’un simple exemple de la fragilité des chaînes d’approvisionnement. Ces fermetures pourraient laisser présager une réorganisation fondamentale de l’économie mondiale que l’invasion de l’Ukraine par la Russie va accélérer.

Le conflit a mis en évidence les risques de faire des affaires dans des pays autoritaires – pas seulement en Russie, mais aussi en Chine –, ce qui soulève des questions sur la dépendance croissante de l’industrie automobile à l’égard du marché chinois.

Le soutien de la Chine à la Russie a encore compliqué les relations entre Pékin et les États-Unis et l’Europe, déjà à couteaux tirés en matière de commerce. À Berlin, le conflit a renforcé les membres du nouveau gouvernement de coalition qui affirment que l’Europe, en particulier l’Allemagne et son industrie automobile, est devenue trop dépendante du commerce avec la Chine.

Produire localement

Les constructeurs automobiles, avec leur portée mondiale, leurs chaînes d’approvisionnement complexes et leurs millions d’employés, sont un excellent exemple de la manière dont la guerre en Ukraine pourrait remodeler le commerce international. Selon les analystes, la guerre obligera toutes les entreprises à prendre en compte leur exposition à un climat politique de plus en plus hostile. Après que les guerres commerciales et la pandémie ont mis en évidence la grande vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales, le conflit renforcera la pression à laquelle les entreprises doivent faire face pour produire plus près de chez elles et réduire le risque que des troubles dans une région éloignée ne plongent leurs activités dans le chaos.

Les implications à plus long terme de cette guerre sont que nous assisterons à une démondialisation plus rapide et à un abandon plus fondamental de la doctrine – surtout allemande – selon laquelle les intérêts économiques passent souvent avant les intérêts de la politique étrangère ou de sécurité.

Carsten Brzeski, économiste à la banque néerlandaise ING

« En conséquence, la Chine pourrait devenir moins importante en tant que marché d’exportation pour les constructeurs automobiles européens. », ajoute-t-il dans un courriel.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La Chine devient un marché des plus cruciaux pour les constructeurs automobiles.

La Chine est devenue le plus grand marché automobile du monde et celui qui connaît la croissance la plus rapide, ainsi qu’une source cruciale de profits pour la plupart des grands constructeurs et fournisseurs automobiles, y compris des entreprises américaines comme General Motors et Tesla. Volkswagen vend plus de la moitié des voitures qu’elle construit en Chine, et le pays représente environ un tiers des ventes de BMW et de Mercedes-Benz. La Chine est également devenue une source cruciale de lithium raffiné nécessaire aux batteries des voitures électriques, ainsi qu’un important fabricant de ces batteries.

Les constructeurs automobiles allemands considéraient autrefois la Russie comme un marché de croissance prometteur, elle aussi, membre des vénérés pays BRIC, qui comprennent également le Brésil, l’Inde et la Chine. Mais plus de trois décennies après l’ouverture du marché par la fin de la guerre froide, la Russie représente moins de 2 % des ventes des constructeurs automobiles allemands. (Les deux autres pays du BRIC, le Brésil et l’Inde, n’ont jamais non plus été à la hauteur des espoirs de croissance des constructeurs automobiles occidentaux.)

Les constructeurs automobiles allemands ont pratiquement abandonné la Russie quelques jours après que le président Vladimir Poutine a envoyé ses chars en Ukraine. Ils n’avaient pas grand-chose à perdre sur un marché qui se dirige vers une profonde récession qui aura sûrement une incidence sur les ventes de voitures neuves dans le pays pendant des mois, voire des années.

Volkswagen a arrêté la production dans ses deux usines en Russie et a suspendu les exportations de tous les véhicules vers le pays pour une durée indéterminée, invoquant une « interruption importante des activités commerciales ». Mercedes-Benz et BMW ont pris des mesures similaires, annonçant l’arrêt de leur production en Russie – qui était déjà limitée – et de leurs exportations vers le pays.

Le plus grand constructeur automobile étranger en Russie est l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qui y a vendu plus d’un demi-million de véhicules l’année dernière dans le cadre d’une coentreprise avec le constructeur russe AvtoVAZ. Renault, dont les actions ont reculé de 17 % la semaine dernière, n’a pas répondu à une demande de commentaire sur ses projets pour la Russie.

L’Ukraine, maillon essentiel

Le problème le plus immédiat auquel doivent faire face les constructeurs automobiles européens est de savoir comment ramener la production à la normale après que l’invasion russe a interrompu l’approvisionnement en systèmes de câblage fabriqués en Ukraine occidentale. Les chaînes d’approvisionnement étaient déjà mises à rude épreuve par la pénurie de semi-conducteurs et d’autres pièces.

L’Ukraine était devenue un lieu privilégié pour la fabrication de ces systèmes, qui relient des composants électroniques tels que les feux arrière ou les systèmes de divertissement à l’intérieur des voitures. L’assemblage se fait en grande partie à la main, ce qui nécessite un grand nombre de travailleurs qualifiés. L’Ukraine était attrayante parce que la main-d’œuvre est relativement bon marché et que la population active est bien formée. L’Ukraine est également proche des usines automobiles européennes. L’Ukraine occidentale, où des fournisseurs automobiles comme Leoni sont implantés, se trouve à 12 heures de route des usines BMW en Bavière.

Une leçon troublante de la guerre est que les pays qui semblaient sûrs il y a quelques années ne le sont peut-être plus.

« Normalement, l’Ukraine aurait été considérée comme un lieu d’investissement relativement stable », une démocratie saine ouverte aux investissements étrangers, a déclaré Peter Wells, directeur du Centre de recherche sur l’industrie automobile de l’Université de Cardiff, au pays de Galles.

Lorsque les combats ont interrompu la production chez les fournisseurs automobiles ukrainiens, l’effet a été presque immédiat. Aucune voiture ne peut fonctionner sans systèmes de câblage, qui sont souvent conçus sur mesure pour des véhicules spécifiques.

Les faisceaux de câbles sont parmi les premiers composants installés dans un nouveau véhicule, et leur absence paralyse les chaînes de montage.

Quelques jours après l’entrée des troupes russes en Ukraine, BMW a fermé plusieurs usines en Allemagne, en Autriche et en Grande-Bretagne en raison de la pénurie de pièces. Volkswagen a suspendu la production dans plusieurs installations, y compris dans sa principale usine allemande à Wolfsburg et dans une usine à Zwickau qui produit des véhicules électriques, dont les VUS ID.4, qui sont exportés aux États-Unis. Porsche, une unité de Volkswagen, a mis au ralenti une usine à Leipzig qui construit des véhicules utilitaires sport Cayenne. Mercedes-Benz a déclaré qu’elle avait ajusté les équipes sur certains sites, mais que toutes ses usines fonctionnaient.

La guerre et les sanctions pourraient bientôt réduire l’approvisionnement en matières premières de la Russie dont les constructeurs automobiles ont besoin, a averti l’Association allemande de l’industrie automobile. Il s’agit notamment du palladium, utilisé pour les équipements antipollution des voitures, et du nickel, essentiel pour les batteries des voitures électriques. L’Ukraine est une source importante de néon, un gaz utilisé pour les lasers à haute performance qui, à leur tour, sont nécessaires à la production des rares semi-conducteurs.

Les combats ont également perturbé le fret aérien, ainsi que le trafic ferroviaire sur le Transsibérien, que les constructeurs automobiles allemands utilisent pour approvisionner leurs usines en Chine.

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