(Singapour) Enfant star révélée dans des films indépendants et des séries télévisées grand public, l’actrice singapourienne transgenre Medli Dorothea Loo voit désormais sa carrière entravée dans une cité-État socialement conservatrice.

Même si Singapour abrite une communauté LGBTQ dynamique, les militants dénoncent la stigmatisation des personnes transgenres, la discrimination au travail et le rejet familial.

« Je pense qu’être sur scène en tant que corps trans, en tant que voix trans, est un petit acte de rébellion. C’est comme une sorte de doigt d’honneur envers les valeurs singapouriennes », confie à l’AFP l’actrice de 20 ans qui a fait son coming-out en 2021.  

Les artistes comme Mme Loo sont rares dans la cité-État où des directives strictes limitent la représentation des personnages LGBTQ dans les médias, ce qui la force à se tourner vers la scène théâtrale moins réglementée.

Singapour a abrogé une loi coloniale britannique criminalisant les relations sexuelles entre hommes en 2022. Mais les autorités ont déclaré que les contrôles sur le contenu des médias LGBTQ resteraient en vigueur.

Selon la réglementation, les films et émissions de télévision consacrés aux « sexualités alternatives » et aux identités de genre sont interdits aux moins de 16 ans et ne peuvent pas être diffusés sur les chaînes de télévision gratuites.

Bien que les directives officielles n’imposent aucune restriction aux artistes queer, les militants affirment que les producteurs s’autocensurent, en raison de leurs propres préjugés ou par crainte de réactions négatives du public ou des commanditaires.

« Le peu de représentations que nous voyons […] ce sont des représentations négatives très malheureuses, jouant sur des stéréotypes très blessants selon lesquels les personnes trans seraient soit des criminels, soit des personnes déviantes », déplore Leow Yangfa, directeur exécutif d’Oogachaga, une organisation locale à but non lucratif proposant des services de conseil à la communauté LGBTQ.

Débuts à 7 ans

Après avoir grandi dans une famille catholique, Medli Dorothea Loo a commencé à jouer à l’âge de sept ans, dans un court métrage.

Elle a ensuite enchaîné des apparitions dans des émissions de télévision, des films et des productions sur scène et a obtenu un diplôme de théâtre.

Son plus grand rôle, elle l’a tenu en 2017 dans la série dramatique Lion Mums 2, où elle incarnait un étudiant qui se suicide après avoir été surpris en train de tricher lors d’un tournoi de badminton.

« Le fait de pouvoir exprimer la douleur dans ce rôle m’a aidée à gérer ma propre douleur à ce moment-là », explique-t-elle, évoquant une expérience « cathartique », car elle souffrait de dysphorie de genre et de problèmes de santé mentale.

PHOTO ROSLAN RAHMAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Medli Dorothea Loo

Lorsqu’après des recherches en ligne elle a finalement réalisé qu’elle était une fille piégée dans un corps de garçon, « cela n’a pas été un moment de joie ni de soulagement ».

« J’ai ressenti de la peur et de l’effroi, parce que je savais que si j’étais vraiment qui j’étais, je risquais de perdre toute ma carrière, ma famille et tous mes amis », ajoute-t-elle.

Elle a alors réprimé ses aspirations trans jusqu’à ce qu’une dépression l’oblige à affronter le problème, avant de l’annoncer à ses parents.

Si sa mère a mal pris la nouvelle, son père lui a fourni des formulaires de consentement pour un traitement hormonal substitutif dans une clinique privée.

Mais elle savait que faire son coming-out aurait des répercussions sur sa carrière. « J’avais raison, je n’ai plus travaillé à la télévision depuis mon coming-out », assure-t-elle.

Elle a aussi perdu des centaines d’abonnés sur Instagram et les producteurs avec lesquels elle avait travaillé dans le passé ont cessé d’appeler, même pour des rôles non masculins.

La jeune femme s’est alors concentrée sur les productions scéniques, soumises à des directives officielles moins strictes, apparaissant notamment dans une comédie musicale inspirée de Blanche-Neige en tant que nain non binaire.

Mais malgré ces petites victoires, elle a toujours le sentiment que ses options sont limitées et postule donc désormais dans des écoles de spectacle à l’étranger dans l’espoir d’obtenir des emplois plus enrichissants.

« Je pense que c’est la seule façon pour moi d’être considérée comme une actrice au-delà de mon identité de genre. Ce qui est un peu triste, parce que c’est chez moi », dit-elle.

« Si j’avais le moyen de m’épanouir en tant qu’artiste ici, je resterais », conclut-elle.