Enfant au Québec, adolescent en Ontario, Pascal Justin Boyer s’interroge sur sa propre identité dans Le dernier Canadien français. Son documentaire aborde avec intelligence, sur un ton léger, la fragmentation du Canada francophone et son devenir. Entrevue.

Qu’est-ce qui t’a incité à te lancer dans cette quête ?

Mon déménagement relativement récent à Montréal. Je suis né au Québec, à Sherbrooke, j’ai grandi à Saint-Hyacinthe et j’ai déménagé à Ottawa à 14 ans, à un moment où je cherchais vraiment à trouver ma place dans un groupe. Je voulais appartenir à quelque chose de plus grand que moi et c’est là que j’ai fait la rencontre des Franco-Ontariens, qui m’ont accueilli dans la « Franco-Ontarie », comme j’aime l’appeler. Maintenant, mon permis de conduire dit que je suis québécois. Je le suis et j’en suis fier, mais j’aime aussi beaucoup ce que j’ai vécu en Ontario français. Comment conjuguer ces deux choses ? Est-ce que j’ai besoin de choisir entre les deux ? C’est là que je me suis dit que je pourrais être canadien-français, mais à force d’en parler, je me suis rendu compte que ce gentilé venait avec des connotations pas nécessairement jojo. L’enquête est partie de là.

D’où vient ton attachement au terme « canadien-français » ?

Il n’y a pas vraiment d’attachement, c’est surtout un terme qui, dans ma tête, me permettait de lier les deux identités qui me sont chères. […] Il y a beaucoup de gens qui voient ce gentilé comme quelque chose qui pourrait fédérer les francophones autour du fait français au pays. Il y a aussi une certaine nostalgie dans ce terme, chez certaines personnes. Mais dès qu’on parle à des historiens, ils disent qu’il n’est pas possible de revenir à cette désignation, lourde de signification : elle renvoie au lien avec l’Église catholique, au mythe des deux peuples fondateurs qui refusent jusqu’à un certain point la présence des Premières Nations…

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENTAIRE

Pascal Justin Boyer est allé jusqu’au Yukon pour prendre le pouls du fait français au pays.

Ce terme ne renvoie-t-il pas aussi à un autre mythe, celui du Canada bilingue ?

Tout à fait. Il reste que, à la base, les Canadiens français, ce sont des francophones qui vivent en français partout au pays. Est-ce qu’il est possible de vivre en français uniquement partout ? Absolument pas. […] Ce qui est dommage, à mon sens, c’est que quand on a commencé à se distinguer entre nous, c’est comme si on avait perdu une espèce de front commun.

Qu’est-ce que le Québec et le Canada francophone peuvent apprendre l’un de l’autre ?

Le plus gros point, je pense, c’est que les communautés doivent se parler. Il faut que les Québécois sachent d’abord que les francophones du Canada existent. Il faut défolkloriser le français à l’extérieur du Québec. […] Le Québec s’est souvent mobilisé quand d’autres communautés ont éprouvé des défis. Je pense entre autres à quand le gouvernement Ford a essayé de fermer le projet d’Université de l’Ontario français. L’Assemblée nationale s’est mobilisée unanimement pour condamner ce genre de décision. Sauf qu’on n’est pas juste des francophones de crise. Il faut redevenir des partenaires. Ça commence par une meilleure éducation et une meilleure connaissance du quotidien des francophones partout au pays.

Ton animation et ta narration apportent beaucoup de légèreté et d’humour dans ton propos. Pourquoi ?

C’est mon ton. Je suis moins connu au Québec, mais j’ai 15 ans de carrière devant la caméra comme animateur et comédien, surtout en production jeunesse. J’ai appris au fil du temps à aborder des sujets compliqués et délicats en désamorçant, pour que tout le monde soit à l’aise de parler. L’objectif, à la base, c’est la communication. Si on se parle, ça veut dire qu’on existe, qu’on est vivants et donc on marche tranquillement pas vite vers une solution. […] Je ne voulais pas qu’on se prenne trop au sérieux, on n’est en train de taper sur la tête de personne. Et je pense que c’est important de se regarder dans le miroir une fois de temps en temps et qu’on puisse se dire qu’il y a des choses qu’on pourrait faire mieux. Ensemble.

Sur ICI Télé, samedi, 22 h 30, dans le cadre de Doc humanité