« C’est un projet bien spécial », indique le réalisateur Louis Choquette en s’assoyant pour discuter de Vestiaires, sa nouvelle série télé. Dans tout autre contexte, cette phrase sonnerait creux et semblerait convenue. Mais aujourd’hui, elle paraît sincère. Car Vestiaires rassemble des gens qu’on voit rarement en fiction au Québec : des personnes handicapées.
Tournée au Centre Gadbois, un complexe récréatif situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest, à Montréal, la comédie à sketchs sera diffusée au printemps sur AMI-télé (à compter du 8 avril), et éventuellement, en deuxième fenêtre, à Radio-Canada.
Adaptation d’un format français à succès présenté sur France 2 depuis 2011, Vestiaires brosse le portrait d’un club de nageurs, qui s’entraînent chaque semaine en piscine. La distribution est composée de noms inconnus du grand public, à l’exception de Dominic Sillon, membre du duo comique Dominic et Martin. L’humoriste, qui agit comme producteur au contenu, fait également partie du groupe d’auteurs, dont certains présentent un handicap. Car durant toute l’aventure, la boîte de production de l’émission, Sphère Média (Cerebrum, Transplant), a favorisé l’inclusion de personnes handicapées devant et derrière la caméra (direction artistique, son, montage).
« C’était important pour nous d’avoir leur point de vue, indique Josée Vallée, qui produit la série avec Renaud Chassé. On voulait faire quelque chose de crédible. »
« C’est possible »
La Presse a assisté au tournage d’une scène durant sa visite exclusive du plateau de Vestiaires, la semaine dernière. On pouvait y voir Dominic Sillon en surdose de caféine tenter de tenir une conversation cohérente avec Michel Cordey, sa covedette. Comme la plupart des acteurs de Vestiaires, ce dernier n’avait aucune expérience de jeu avant d’être recruté par Louis Choquette et compagnie.
Monteur en télévision depuis une dizaine d’années et créateur d’une chaîne YouTube (Tutoriel avec Michel) aussi amusante qu’informative, Michel Cordey réalise un rêve qu’il croyait inaccessible en jouant la comédie.
Je trippe ma vie présentement ! Chaque jour, je suis comme un enfant. Je n’en reviens pas d’être en train de vivre ça.
Michel Cordey
En fauteuil roulant en raison d’une affection génétique appelée ostéogenèse imparfaite (maladie des os de verre), l’homme de 38 ans salue l’initiative de Sphère Média et d’AMI-télé, d’avoir engagé des personnes handicapées pour interpréter des personnages handicapés.
« Ce que je trouve le fun, avec Vestiaires, c’est qu’on montre aux personnes handicapées que c’est possible de jouer à la télé, qu’il y a un chemin. Je faisais beaucoup de théâtre quand j’étais jeune, mais rapidement, j’ai fait une croix là-dessus parce qu’il n’y avait pas vraiment d’ouverture, quand je suis entré au cégep, il y a 15-20 ans. »
Représentativité
La télévision québécoise a accompli des progrès significatifs au cours des dernières années en matière de diversité, tant culturelle que sexuelle, notamment avec des séries comme Après le déluge, Lakay Nou, Les petits rois et Sans rendez-vous.
Vestiaires s’inscrit dans cette lignée, estime Louis Choquette. « On sent qu’on est quand même dans une période de changement. Je viens de tourner la troisième saison des Bracelets rouges. Dans les épisodes, il y a des personnages avec des amputations qui ne sont pas joués par de vrais handicapés. Mais on dirait que c’est quelque chose qui change. On se pose de plus en plus de questions là-dessus. Est-ce que ce n’est pas l’occasion d’aller chercher des gens qui vivent vraiment ce genre de situation ? »
Louis Choquette avoue toutefois avoir ressenti « de petits vertiges » en début de projet, étant donné qu’il s’apprêtait à diriger une distribution majoritairement composée d’amateurs. En entrevue, le réalisateur parle de challenge énorme, mais également d’expérience inoubliable et formatrice.
« Dans nos petites vies, Vestiaires, c’est un évènement extraordinaire, mais je pense que sur le plan social, c’est important. Pour l’ouverture d’esprit, la tolérance… On en a tous grandement besoin. »
En maillot !
Autre caractéristique propre à Vestiaires : les scènes sont presque toutes jouées en maillot de bain. La série montrera les corps, les amputations, les prothèses, etc. Du côté des comédiens, on comprend l’importance d’« exposer la différence ».
« Ce sont des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir, souligne Jacques Poulin-Denis, 45 ans, l’un des rares à posséder une expérience de jeu. C’est une grosse victoire d’emblée. »
Animatrice et conférencière, Camille Chai, 34 ans, savait dans quoi elle s’embarquait en passant l’audition. Née sans bras ni jambe gauches, l’actrice en herbe ne s’est « jamais cachée ».
Pour moi, ce n’est pas vulnérabilisant. J’aime aller nager. Ce n’est pas un problème qu’on voie ma prothèse.
Camille Chai
« Ça peut permettre aux téléspectateurs de mieux comprendre notre réalité, ajoute Marie-Christine Ricignuolo. Ça peut aussi leur montrer qu’ils doivent arrêter de percevoir les personnes handicapées comme des victimes. »
Objectif double
Les paroles de Marie-Christine, conférencière et collaboratrice à AMI-télé qui a perdu la vue en 2018 à cause d’un glaucome, traduisent bien l’objectif de l’équipe derrière Vestiaires : on souhaite divertir, mais aussi sensibiliser.
« On veut démystifier le handicap, explique Dominic Sillon, qui porte un œil de verre depuis plusieurs années. Il y a des gens qui sont mal à l’aise en présence de personnes handicapées. Ils ne savent pas trop quoi faire. C’est quelque chose que j’observe quand je signe des autographes, après un spectacle. Les gens hésitent parfois à m’approcher, parce qu’ils ont peur que je voie qu’ils regardent mon handicap. »
Pour Louis Choquette, l’humour contenu dans Vestiaires fera œuvre utile.
« Retrouver à l’écran des gens handicapés qui ont une vie, qui ont quelque chose à dire, qui sont capables de parler d’eux et d’en rire… Tout le monde peut y gagner. »
La première saison de Vestiaires sera diffusée sur AMI-télé dès le 8 avril et ensuite sur ICI Tou.tv