Catherine-Anne Toupin a regardé Désobéir : le choix de Chantale Daigle, la série pour laquelle Éléonore Loiselle pourrait remporter le Gémeaux du meilleur premier rôle dramatique. Elle envie la jeune comédienne d’avoir décroché ce contrat. « D’abord, parce que tu étais parfaite, mais aussi, parce qu’on a toujours raconté l’histoire des hommes. Il serait temps qu’on fasse une place aux femmes importantes. »

Assise aux côtés de Catherine-Anne Toupin, Éléonore Loiselle acquiesce. « Et des fois, ce sont des femmes qu’on a complètement oubliées. »

Calée dans son fauteuil, l’actrice de 22 ans parle en connaissance de cause. Avant d’auditionner pour Désobéir, elle ignorait l’existence de Chantale Daigle, cette Québécoise qui s’est battue jusqu’en Cour suprême pour revendiquer son droit d’avorter en 1989.

« Ça m’avait choquée, raconte-t-elle. J’aurais aimé ça qu’on l’apprenne à l’école. J’aurais aimé ça qu’on discute d’elle. Mes amis ont réagi pareil en voyant la série. Gars ou filles, ils étaient comme : “J’aurais aimé ça qu’on m’en parle avant.” Surtout parce qu’il est question d’avortement, un sujet tellement tabou, encore aujourd’hui. »

« Je pensais que j’étais l’égale des hommes »

Échanger sur Chantale Daigle avec l’actrice qui l’incarne et Catherine-Anne Toupin, une comédienne, dramaturge et scénariste qui carbure aux enjeux de société, donne une entrevue qui déborde évidemment du cadre qu’on s’était fixé au départ. Et c’est tant mieux.

La finaliste au Gémeaux du meilleur premier rôle (comédie) pour Moi non plus !, une série qui traite de clivage gauche-droite sur fond d’idylle entre deux animateurs radio, a beaucoup de choses à dire sur l’œuvre écrite par Isabelle Pelletier et Daniel Thibault, et surtout, sur l’histoire qu’elle exhume.

« J’avais 14-15 ans quand c’est arrivé, se rappelle Catherine-Anne Toupin. J’étais trop jeune pour poser un regard critique. Je pensais que j’étais l’égale des hommes, parce que c’était l’époque à laquelle le monde nous vendait qu’on pouvait avoir une vie similaire : aller à l’université, se marier, faire carrière… You can have it all ! Mais quand tu vieillis un peu, tu réalises que ce n’est pas tout à fait vrai. »

« La violence dont [Chantale Daigle] a été victime m’a frappée, poursuit l’actrice, en regardant Éléonore Loiselle. J’étais comme : “Crisse ! On n’a pas beaucoup avancé !” »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Catherine-Anne Toupin

Aujourd’hui, la violence faite aux femmes est différente. Elle s’est transformée. Parce que devant une misogynie affirmée, c’est sûr qu’on va tous faire : “Ta gueule !” C’est donc rendu plus subtil, plus insidieux et moins frontal.

Catherine-Anne Toupin, comédienne, dramaturge et scénariste

Pour Éléonore Loiselle, la série Désobéir est porteuse d’espoir… bien qu’elle revisite une période peu glorieuse du Québec par rapport aux droits des femmes. « Chantale avait 21 ans, mais elle a changé les choses. Elle s’est fait entendre. »

« Ça veut dire qu’on peut intervenir, qu’on peut faire quelque chose… tant qu’on n’est pas aux États-Unis », ajoute Catherine-Anne Toupin, sourire amer en coin, en référence à l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade, qui protégeait le droit d’avorter chez nos voisins du Sud.

Chapitres marquants

Désobéir : le choix de Chantale Daigle et Moi non plus ! revêtent une signification particulière pour Éléonore Loiselle et Catherine-Anne Toupin. La première, qu’on a découverte en 2019 dans L’échappée, n’avait jamais décroché de premier rôle au petit écran avant d’être sélectionnée pour camper l’antihéroïne du mouvement pro-choix.

Éléonore Loiselle s’est d’ailleurs âprement battue pour apparaître au sommet du générique du drame vécu. Après avoir échoué à sa première audition (« Je portais une petite chemise… J’avais l’air d’un lutin ! »), la comédienne a écrit une lettre au réalisateur, Alexis Durand-Brault, demandant une seconde chance.

« Je trouvais cette femme fabuleuse ! s’exclame-t-elle. Il y avait quelque chose chez elle que j’avais envie d’interpréter. Et j’avais souvent joué des rôles similaires. J’avais envie d’aller ailleurs, d’essayer quelque chose d’autre. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Éléonore Loiselle

Pour Catherine-Anne Toupin, la série Moi non plus ! est venue « cristalliser » ses 25 premières années d’expérience. « Je portais plusieurs chapeaux : c’est moi qui ai trouvé l’idée, c’est moi qui l’ai écrite [avec Karina Goma], c’est moi qui l’ai jouée, c’est moi qui l’ai produite [comme productrice associée]… Ça a été tout un apprentissage. »

« C’est un nouveau plancher que j’atteins, à 48 ans. Un plancher où j’ai envie d’être. Dans mes prochains projets, je vais arriver beaucoup plus armée… et beaucoup plus zen », ajoute-t-elle, émettant au passage un rire qui laisse croire qu’elle met elle-même en doute son potentiel de zénitude.

Envies d’écriture

Le parcours de Catherine-Anne Toupin est assurément une source d’inspiration pour Éléonore Loiselle, qui éprouve des envies d’écriture, mais manque de repères.

« Je suis comme : “Comment ça marche ? Je commence où ?” C’est un blocage. »

« Tu dois commencer toute seule chez toi, avec ton ordinateur. C’est la meilleure façon, répond Catherine-Anne Toupin. Essaie de donner vie à quelque chose. Ça n’a pas besoin d’être quelque chose de complet. Juste une idée. Ça peut être trois pages. »

« J’ai commencé en faisant des courtes pièces, des trucs de 10 minutes, 15 minutes, poursuit l’actrice et autrice. Ensuite, j’ai écrit pour la télé. J’ai commencé avec des émissions jeunesse, des demi-heures. J’ai appris mon métier. J’ai appris à devenir meilleure. »

Catherine-Anne Toupin a toujours su qu’elle voulait écrire. Au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, elle était impatiente de coucher ses idées sur papier.

Je suis arrivée bien naïve comme comédienne en 1999, une époque où on était soit “la blonde de”, soit une pute, soit une danseuse. Rapidement, j’ai voulu imposer ma vision des choses, avoir une parole. J’adore être une interprète et incarner l’univers de quelqu’un d’autre, mais j’aime aussi recréer mon univers. Et j’ai toujours aimé défoncer des portes.

Catherine-Anne Toupin, comédienne, dramaturge et scénariste

Et maintenant…

Moi non plus ! ayant pris fin l’automne dernier après deux saisons sur Noovo, Catherine-Anne Toupin espère maintenant « un beau gros rôle juteux » dans lequel elle pourrait mordre à pleines dents. Le type qui n’émanerait pas d’elle, toutefois.

« J’irais bien dans quelque chose de dramatique. On m’a souvent dit que j’étais intimidante, que j’avais quelque chose de rough. Je pourrais m’en servir pour jouer une femme d’affaires, quelqu’un d’extrêmement strict et désagréable. Une femme mature qui n’a pas froid aux yeux… et désagréable, de préférence. Parce que c’est toujours plus l’fun de jouer des personnages désagréables ! »

En attendant ce mandat rêvé, elle tiendra l’affiche du long métrage La meute, réalisé par Anne Émond. Il s’agit de l’adaptation cinématographique d’une pièce de théâtre qu’elle a écrite, attendue en salle le 14 février.

Quant à Éléonore Loiselle, L’échappée et Désobéir bouclés, elle rêverait d’un rôle physique. Elle cite en exemple les comédiens Denis Lavant et Marc Béland, dont elle admire le travail. « Comme acteur, la parole est intéressante, mais des fois, on oublie le corps. Pour Chantale Daigle, je n’avais jamais marché en talons hauts. J’ai dû suivre des cours de walking parce que je n’étais pas capable. J’ai toujours porté des souliers plats ! Ça m’a donné envie d’explorer davantage l’aspect physique des rôles. »

Les séries Désobéir : le choix de Chantale Daigle et Moi non plus ! sont offertes sur Crave. Noovo diffusera Désobéir : le choix de Chantale Daigle les mercredis à 20 h, à partir du 25 octobre.