(Montréal) C’est la fin d’une époque dans l’histoire de la télévision au Québec. Victime de la guerre entre Bell Média et Vidéotron, mais aussi de la transformation du marché, la chaîne Vrak – jadis le Canal Famille – disparaîtra des ondes cet automne, après avoir été le lieu de rendez-vous de toute une génération de jeunes et un tremplin pour d’innombrables artistes québécois.

Ce qu’il faut savoir

  • Bell Média a annoncé vendredi qu’elle allait mettre fin à l’exploitation de la chaîne spécialisée Vrak à partir du 1er octobre 2023.
  • Cette annonce fait suite à la décision de Vidéotron de ne plus offrir les chaînes Vrak et Z, appartenant à Bell Média, à ses abonnés.
  • Vrak est aussi victime du contexte général des médias au Québec et du changement d’habitudes de consommation des jeunes, qui passent deux fois moins de temps qu’avant devant leur téléviseur.

« Je n’en reviens pas que ça ferme. Que ça ferme, et que ça ne pourra plus être le tremplin pour d’autres », a réagi vendredi l’humoriste Philippe Laprise, qui s’est fait connaître en 2009 dans l’émission Vrak la vie, aux côtés de Pierre Hébert, Marie-Soleil Dion et Marie-Claude St-Laurent. Le quatuor a échangé quelques messages textes, vendredi matin, après l’annonce de Bell Média. « On est un peu flabbergastés, un peu sous le choc et un peu tristes », a confié Philippe Laprise.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe Laprise, en 2012, lorsqu’il dirigeait une revue de l’année humoristique pour les jeunes à Vrak.TV

Il y a eu des succès gigantesques sur Vrak. C’est vraiment un chapitre historique qui se termine.

Philippe Laprise

L’annonce de Bell Média survient deux jours après le retrait des chaînes Vrak et Z des grilles horaires d’Helix et d’illico, dernier développement de la guerre que se livrent Bell et Vidéotron depuis de nombreuses années. On savait bien que quelque chose allait arriver. Au lancement des chaînes spécialisées de Bell Média, mercredi, aucun mot n’avait été prononcé sur l’offre de Vrak.

Le coup aura été fatal pour Vrak, qui a probablement perdu la moitié de ses abonnés en perdant ceux d’Helix et d’illico. À compter de minuit, le 1er octobre, la chaîne cessera carrément d’exister.

Bell Média n’a pas caché le rôle de la décision de Vidéotron dans la mort de Vrak. Cette annonce l’a incitée à « réévaluer l’éventail de la programmation ». Par communiqué, Bell Média a aussi évoqué le contexte actuel, marqué par un environnement en « constante évolution », et qualifié d’« obsolète » le cadre réglementaire auquel les télédiffuseurs doivent se conformer. Les téléspectateurs, par ailleurs, ne sont « plus assez nombreux ».

« Mettre fin aux activités de Vrak n’est pas une décision que nous voulions prendre », a écrit Karine Moses, première vice-présidente au contenu et aux nouvelles de Bell Média. Elle a qualifié la chaîne spécialisée de « rassembleuse, divertissante et actuelle », soulignant qu’elle a laissé sa marque sur plusieurs générations de téléspectateurs québécois. Bell Média n’a pas voulu s’exprimer davantage sur la question.

Le canal d’une génération

Créée en 1988 sous le nom de Canal Famille, la chaîne est devenue Vrak.TV en 2001, puis simplement Vrak en 2014, après que Bell a fait l’acquisition d’Astral Media. La chaîne aura marqué toute une génération de jeunes avec des séries comme Une grenade avec ça ? (de 2002 à 2011), Vrak la vie (de 2009 à 2015), L’appart du 5e (de 2013 à 2016), Le chalet (de 2015 à 2019) et Jérémie (de 2015 à 2019). La liste des artistes qui sont passés par Vrak comprend des noms comme Magalie Lépine-Blondeau, Catherine Proulx-Lemay, Stéphane Bellavance, Yan England, Mariana Mazza, Patrice Bélanger, Ludivine Reding…

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteure-compositrice-interprète Claudia Bouvette

L’auteure-compositrice-interprète Claudia Bouvette a été découverte à l’émission Mixmania, en 2012, et elle a interprété pendant cinq saisons le rôle de Raphaëlle dans Jérémie. « Ça a tellement été important dans ma vie, Vrak », a laissé tomber Claudia Bouvette au téléphone, vendredi. Elle se souvient de la folie entourant Karv, l’anti-gala, diffusé entre 2004 et 2014. C’était à ses yeux le gala québécois le plus excitant et le plus important de l’époque.

Tous les jeunes étaient [à Karv]. C’était le moment où ils pouvaient aller à la rencontre de ceux qui les accompagnaient au quotidien.

Claudia Bouvette

Claudia Bouvette s’est dite secouée par l’annonce, mais pas vraiment étonnée. Elle a assisté de loin au lent déclin de Vrak, qui présentait de moins en moins de productions québécoises et de plus en plus de fictions américaines doublées. « Avec le monde dans lequel on vit, et la façon dont on consomme nos divertissements, je suis plus ou moins surprise », dit-elle.

Joints par La Presse, Maxim et Livia Martin ont aussi subi une forme de choc, vendredi, eux qui ont joué dans la comédie Max et Livia de 2017 à 2019. Livia aussi a grandi avec Vrak. « Il y a une grande transformation. Maintenant, tout passe sur le web, a souligné Maxim Martin. Je pense qu’il y a de la nostalgie, mais pour ma gang. Pour les jeunes, on s’en va ailleurs. »

Livia convient que quelque chose se perd avec la disparition de Vrak, mais elle dit avoir confiance en l’ouverture d’esprit de sa génération, « fière » de sa langue et de sa culture. « Ça va devenir autre chose, ça va devenir du web », dit Livia Martin.

PHOTO FOURNIE PAR LIVIA MARTIN

Maxim et Livia Martin accompagnés de Dominic Paquet. Les trois faisaient partie de la distribution de Max et Livia.

Karelle Tremblay, qui a tenu le rôle-titre dans Jérémie, espère pour sa part que Vrak sera remplacée par autre chose. « Les jeunes ont besoin de modèles, dit Karelle Tremblay. C’est vraiment important. »

Baisse d’audience

Vrak est un symbole pour une génération, et sa fermeture revêt aussi une symbolique forte, estime Arnaud Granata, président de Formations Infopresse. Il voit différents facteurs derrière cette nouvelle. Il y a bien sûr la décision de Vidéotron de ne plus offrir Vrak à ses abonnés (Bell a répliqué cette semaine en retirant de ses forfaits la chaîne jeunesse Yoopa, du Groupe TVA).

« Mais il y a aussi le contexte général de la baisse d’audience », souligne Arnaud Granata.

Il y a les difficultés qu’éprouvent aujourd’hui les médias à rejoindre leurs audiences, et particulièrement les plus jeunes, qui sont sur les plateformes comme Netflix, qui sont en ligne, qui ont peut-être de moins en moins le câble et la télévision dite traditionnelle.

Arnaud Granata, président de Formations Infopresse

Chez les jeunes Canadiens de 14 à 17 ans, le nombre d’heures passées devant la télévision linéaire a diminué de plus de moitié entre 2014 et 2022, passant de 22 heures en moyenne à seulement 10 heures, selon les données du sondage Vividata. Le même groupe démographique passe aujourd’hui 23 heures en moyenne par semaine sur l’internet, dont 16 heures sur son mobile, souligne Alexandra Lafond, directrice média chez Cossette Média et membre du Comité permanent des directeurs médias du Québec de l’Association des agences de communication créative (A2C).

« C’est certain que l’efficacité de la télé auprès des jeunes a changé », note Alexandra Lafond.

Rappelons qu’en juillet, l’A2C a lancé le Mouvement média d’ici pour inciter les entreprises à consacrer une plus grande partie de leurs budgets numériques aux médias locaux.

Avec la collaboration de Léa Carrier, La Presse