Ce matin-là, Gino Chouinard est affligé par de vigoureuses allergies saisonnières et la dose d’antihistaminiques qu’il a dû gober l’a un peu assommé. Mais depuis le coup de 6 h, les centaines de milliers de téléspectateurs qui se sont rivés à la légendaire quoditienne de l’ancien canal 10 n’y ont vu que du feu.
« Il reste que moi, je sens de plus en plus l’usure des années », dit celui qui a annoncé en novembre dernier son départ de Salut Bonjour, prévu pour juin 2024, à la grande surprise des fidèles de l’émission.
J’ai été étonné que les gens soient aussi étonnés. Je pensais que tout le monde allait dire : “Enfin, du nouveau, ça va faire du bien !”
Gino Chouinard
La semaine dernière, l’animateur de 55 ans a accueilli en entrevue l’ancienne première ministre Pauline Marois. « Madame Marois me dit à la fin : je suis contente d’avoir pu vous rendre visite avant que vous partiez. » Gino écarquille les yeux, incrédule, comme s’il décrivait une scène de science-fiction.
Constat : Gino Chouinard, le petit gars de Saint-Augustin-de-Woburn, ce village estrien de moins de 700 habitants, n’est visiblement pas au courant qu’il est Gino Chouinard.
Attendre son tour
La route ayant mené Gino Chouinard aux commandes de la plus populaire matinale au Québec a été longue. Très longue. C’est le 10 mai 1989 qu’il participe à son premier enregistrement télé en tant qu’annonceur maison du jeu-questionnaire Double défi. « Et très franchement, je ne savais pas vraiment c’était quoi un annonceur maison. » Il tiendra le même rôle à Charivari et à Fais-moi un dessin pendant quatre belles années, puis, plus rien. « Remettons-nous dans ces années-là : faire de la télé et s’appeler Gino, ce n’était pas gagnant. J’avais le vent dans la face. »
J’ai vécu beaucoup d’échecs en début de carrière et j’ai souvent vu des gens devenir animateurs du jour au lendemain, des saveurs du mois qui, quelques années après, n’existaient plus. Et moi, j’étais parfois déçu que mon tour n’arrive pas.
Gino Chouinard
Il sera ensuite morning man dans une radio AM à Joliette, présenteur d’une pièce de théâtre sur le décrochage scolaire (Moi j’décroche pas), animateur d’un magazine de cinéma tourné à Québec pour TQS, chroniqueur culturel (un peu partout) et hôte du quiz Les indices pensables, avant de devenir timonier de l’édition week-end de Salut Bonjour en 2003.
En 2007, il prend enfin la relève en semaine de Benoît Gagnon, l’archétype du gars cool en manteau de cuir dont le triomphe semblait pourtant inévitable. Au-delà de son talent de communicateur, le plus important atout de Gino Chouinard aura-t-il été son absence d’aspérités ? « Je me demande effectivement si le rôle de l’animateur d’une émission comme celle-là est non pas de plaire au plus grand nombre, mais de déplaire au moins grand nombre. »
Pas un receveur
Afin de payer ses études au Conservatoire Lassalle, celui qui aspirait d’abord à devenir comédien a aussi été préposé aux bénéficiaires, la nuit, dans un hôpital. « Et je me souviendrai toujours des quatre patients morts que j’ai dû emballer avant d’aller les porter au frigo », confie-t-il, sur un ton soudainement plus grave. « De comprendre que peu importe ce qu’on accomplit dans la vie, c’est une personne que tu ne connais pas qui va t’emmener à la morgue, ça m’a très tôt éloigné des prises de tête sérieuses par rapport au métier. »
Humilité, donc. Face à la vie et face à sa chance. Fils d’un postier et d’une couturière, Gino Chouinard est de ceux qui peinent à réellement entendre les compliments qu’on leur adresse. « Je ne suis pas un receveur, ce n’est pas ça ma job. Je suis là pour mettre en valeur les autres. Quand Sabrina, Charles-Antoine, Mathieu et Georges [ses collaborateurs] sont contents, je suis heureux. C’est tout ce qui m’importe. »
Pourquoi Gino Chouinard quitte-t-il Salut Bonjour ? Parce que son corps et sa tête lui murmurent que le moment est venu. Mais c’est aussi, ça devient clair en fin d’entrevue, afin de passer plus de temps auprès des gens qu’il aime, dont sa mère, 83 ans, qui le texte régulièrement durant son émission.
Quand je suis passé du week-end à la semaine, je suis passé de 7 h à 6 h, et ma mère m’avait dit : “Bon, il va falloir que je me lève plus tôt.” C’est là que j’avais compris qu’elle me regarde vraiment tous les jours.
Gino Chouinard
Un silence. Gino tente de ravaler ses larmes, mais ce ne sera pas possible. L’animateur se lève, passe derrière le bureau où il s’installe chaque matin et arrache un mouchoir à sa cachette.
« Sais-tu quoi ? Ma mère m’émeut, parce qu’elle est belle et que c’est une bonne personne, une personne aimante. Je viens d’elle. »