Parler de la mort n’est pas plus facile lorsqu’elle nous pend au bout du nez. Se servant un peu de son vécu, l’animatrice, autrice et chroniqueuse à La Presse Rose-Aimée Automne T. Morin amène des familles — adultes et enfants — confrontées à la maladie incurable d’un parent à rompre le silence avec une authenticité bouleversante et lumineuse dans Le deuil en héritage.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de partir de ton histoire pour faire ce documentaire ?

J’ai toujours su que je voulais aborder le thème du deuil. Je l’ai fait souvent dans mes livres, à la radio, dans mes chroniques, c’est un sujet qui m’habite. Par contre, j’étais plutôt réticente à utiliser mon histoire pour la tourner en documentaire. Je ne voulais pas faire un film sur moi. C’est la réalisatrice Maude Sabbagh qui m’a fait comprendre que je pouvais utiliser mon vécu pour aller plus loin dans les entrevues, pour aborder des angles moins connus ou plus tabous. Et quand je regarde le film et que je me vois dire à un papa qui a une maladie incurable que, à un moment donné, ça se peut que son enfant ait envie qu’il meure, je me dis que Maude avait compris comment on pouvait mettre mon histoire au service du film.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Rose-Aimée Automne T. Morin a grandi avec un père en sursis : elle avait 2 ans quand il a reçu un diagnostic de cancer incurable. Il s’est éteint quand elle avait 16 ans.

Le fait que tu aies vécu la maladie et le deuil de ton père durant l’enfance et l’adolescence t’a-t-il donné les coudées franches ?

Je trouve que ça m’a permis de lancer des discussions profondes rapidement. Je converse avec des parents qui ne savent pas ce que leur enfant vit et moi, en tant qu’ancien enfant, je n’ai aucune idée de ce que ces parents vivent. C’est comme si on cherchait des réponses de part et d’autre. J’ai l’impression que ça donne lieu à un échange plus égalitaire : je ne suis pas en train de « vampiriser » leur histoire, je fouille pour mieux comprendre la mienne et ils peuvent faire la même chose. Et c’est le fait d’être passée à travers la maladie incurable d’un parent qui me permet d’offrir ça et d’accéder à ça.

Le film s’intéresse à la mort, mais il parle beaucoup de la vie…

Complètement ! Mon objectif était de briser la solitude. Mourir ou assister à la mort d’un proche vient avec beaucoup de solitude, avec un isolement. Nos amis ne savent pas comment aborder le sujet, nos proches non plus, il y a un malaise social. Je voulais ouvrir la conversation avec un film qui montre que de parler de la mort, c’est célébrer la vie pendant qu’elle est encore là. On voit ça de manière très sombre et ce l’est, mais il y a aussi de formidables élans de lumière quand tu apprivoises la mort.

Il y a un garçon dans le film qui veut aider les autres enfants. Que veut-il faire ?

Il a fondé un groupe de pairs qui s’appelle « Les jeunes pisteurs », qui est chapeauté par des chercheurs universitaires. C’est un groupe d’enfants qui ont connu eux-mêmes la maladie ou celle d’un parent. Ils se rassemblent pour en discuter, sans adulte, pour pouvoir se dire les vraies affaires. Ils aimeraient pouvoir aider d’autres enfants et, à travers le rapport de recherche, faire comprendre ce que les enfants vivent et n’osent peut-être pas dire à leurs parents.

Quand on a commencé la recherche, avec ma coscénariste Marie-Anne Grenon, on se disait qu’il ne fallait pas qu’il y ait d’enfants dans le film. On se disait qu’ils étaient jeunes, dans un état de vulnérabilité, et qu’ils regretteraient peut-être d’avoir témoigné une fois plus vieux. On voulait se concentrer sur les parents et les experts. Ça a changé quand j’ai rencontré Josée Masson de Deuil Jeunesse. Elle m’a dit que je n’avais pas le droit d’empêcher un enfant de raconter son histoire s’il en avait envie, que c’était un peu un devoir d’entendre ce qu’il voulait dire. On a choisi de faire de la place aux enfants, et ça a complètement changé la perspective du film.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Rose-Aimée Automne T. Morin dans un extrait du documentaire Le deuil en héritage

Quelles suites en espères-tu ?

Je l’ai montré à une amie qui vit avec un cancer incurable et elle m’a dit : ça me fait tellement de bien d’entendre d’autres parents dire ce que je me dis tout bas. Qu’une personne regarde le film et se sente vue, entendue, comprise, moins seule, c’était mon objectif numéro un. J’aimerais aussi que les gens réalisent qu’il y a des ressources en soins palliatifs, des services psychosociaux. On a besoin d’un regard extérieur pour nous guider. Ce qu’on comprend dans le film, c’est que le deuil est différent pour chaque personne, tout le monde a besoin d’outils, de mots, de gestes différents pour composer avec la mort qui approche. Et on n’a pas à le faire tout seul.

Tu évoques aussi une leçon que tu as apprise avec la maladie de ton père…

On s’entend, j’aurais préféré ne pas vivre ça, mais c’est aussi un peu un cadeau. La vérité, c’est que ça nous apprend des choses : l’importance de nos proches, le fait que rien ne dure et qu’il faut en profiter. C’est ce que je dis dans le film : ça m’a appris que la vie vaut la peine d’être tentée.

Les réponses ont été remaniées à des fins de concision.

Le deuil en héritage, samedi, 22 h 30, sur ICI Télé