Après avoir quitté Montréal pour Val-David en 2016, Isabelle Guérard a déposé son curriculum vitæ au Petit Poucet, un populaire restaurant des environs. En entretien d’embauche, lorsque la gérante a voulu connaître son niveau d’expérience, la comédienne a répondu qu’elle n’avait rien à craindre : « J’ai joué une serveuse dans Watatatow. »

Attablée à l’Isle de Garde, une brasserie du quartier Rosemont–La Petite-Patrie, Isabelle Guérard éclate de rire en racontant ce souvenir. Mais elle sait qu’il marque un tournant. Tournant qui aboutit, sept ans plus tard, au résultat qu’on connaît aujourd’hui, cinq rôles dans cinq séries : STAT, Indéfendable, Mégantic, Les yeux fermés et Motel Paradis.

Isabelle Guérard insiste : son embauche au Petit Poucet (un nom évocateur…) a « tout changé ». « Les filles [les autres serveuses de l’établissement] m’ont vraiment formée. C’est devenu comme ma famille, ma stabilité. Tout d’un coup, j’avais cette base. J’étais entourée de femmes extrêmement colorées, fortes, solidaires. »

« Depuis, quand je vais auditionner, je sais que j’ai toute ma gang derrière moi. Elles m’appuient. C’est touchant. Et surtout, ma vie n’est plus menacée. Ce n’est plus : “Est-ce que je vais pouvoir nourrir mes enfants ou non ?” J’ai déjà vécu ce stress. Ça m’a coupé la créativité. J’étais paralysée de peur. J’ai déjà entendu une directrice de casting dire : “Isabelle fait de bonnes auditions, mais il y a quelque chose qui plane, et qui fait qu’au final, ce n’est pas elle qu’on choisit. C’est un petit détail, ce n’est pas perceptible. Mais ce n’est pas l’Isabelle qu’on avait avant.” »

Je suis donc allée chercher ce quelque chose pour retrouver cette espèce de candeur. Cette sorte d’insouciance, comme quand j’étais plus jeune. Ça m’a permis de retrouver la base du jeu : le plaisir. J’ai retrouvé le bonheur. J’ai les yeux pleins d’étoiles en tournage. Tout est l’fun.

Isabelle Guérard

Autour d’une bière, Isabelle Guérard raconte être partie de Montréal après la mort du père de ses filles (l’acteur Hugo St-Cyr, mort d’un cancer des os en 2015). Surmonter son deuil « entre des murs de béton » semblait impossible. « J’avais besoin de respirer, de changer d’air. Dans ma tête, je partais pour un an… »

Son emploi au Petit Poucet, qu’elle décrit minutieusement comme « le restaurant le plus achalandé des Laurentides en service déjeuner-dîner », s’accordait parfaitement au train de vie auquel elle aspirait. Elle y travaille d’ailleurs toujours.

« Ce que je voulais, c’était d’être à la maison à 15 h 30, quand mes filles reviennent de l’école. Pour faire le souper. Je voulais qu’elles aient une vie plus sereine, plus encadrée. Une vie normale. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La comédienne Isabelle Guérard

« J’ai été gâtée »

Isabelle Guérard n’a pas l’habitude d’accorder des entrevues. Avant même d’entamer la discussion, elle s’excuse pour d’éventuelles réponses qui manqueraient de clarté. Elle s’étonne également qu’on veuille parler d’elle.

Pourtant, depuis septembre, elle s’illustre régulièrement – et fréquemment – au petit écran. Et chaque fois, dans des rôles de soutien ou épisodiques qui, entre les mains d’une actrice moins talentueuse, auraient pu passer inaperçus.

Dans Mégantic, cette série chorale du réalisateur Alexis Durand-Brault offerte sur Club illico, qui revisite la tragédie ferroviaire de 2013, sa Julie suscite des réactions fortes. Victime ou bourreau ? Transparente ou pesante ?

En entrevue, la comédienne décrit avec enthousiasme sa démarche pour concocter les inflexions « chantées » du personnage, qui baigne dans l’amertume à la veille de souffler ses 40 bougies. « La quarantaine, ça brasse beaucoup, surtout si tu n’es pas à l’endroit où tu aurais voulu être, explique la comédienne. Julie est insatisfaite ; elle n’a pas trouvé le grand amour, elle n’a pas d’enfant… Elle est tellement envieuse des gens qui l’entourent. Elle n’est pas bien. Et son malheur, elle en parle. Beaucoup. »

Depuis quelques semaines, Isabelle Guérard attire les regards des clients du Petit Poucet pour Joanie, la patiente aux mille malheurs qu’elle interprète dans STAT sur ICI Télé. Hospitalisée d’urgence pour « trauma abdominal pénétrant avec éviscération » après s’être empalée sur une clôture, l’accumulatrice compulsive a reçu un diagnostic de cancer avant d’apprendre qu’on avait retrouvé sa fille, qu’elle croyait disparue, morte momifiée chez elle, au beau milieu du bordel qu’elle avait elle-même créé. Sa scène d’émotions avec Geneviève Schmidt (qui campe la chirurgienne Isabelle Granger) a remué de nombreux fidèles du feuilleton quotidien de Marie-Andrée Labbé.

« J’ai été gâtée, souligne Isabelle Guérard. Geneviève est vraiment généreuse. Elle est concentrée, empathique. Elle est vraiment douée. »

« STAT, c’est sportif. C’est comme quand, dans une soirée, tu prends un coup, tu perds un peu le contrôle, tu danses… mais le lendemain, tu ouvres les yeux, et t’es comme : qu’est-ce que j’ai fait ? Est-ce que j’ai fait une folle de moi ? Sur STAT, c’était pareil. Tout est allé vite. J’ai tourné mes scènes, j’ai lâché prise, et après, j’étais comme : c’était-tu correct ? »

5 séries
  • Isabelle Guérard dans STAT

    PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE STAT

    Isabelle Guérard dans STAT

  • Isabelle Guérard dans Mégantic

    PHOTO YAN TURCOTTE, FOURNIE PAR CLUB ILLICO

    Isabelle Guérard dans Mégantic

  • Isabelle Guérard dans Indéfendable

    PHOTO FOURNIE PAR TVA

    Isabelle Guérard dans Indéfendable

  • Isabelle Guérard dans Motel Paradis

    PHOTO FOURNIE PAR CLUB ILLICO

    Isabelle Guérard dans Motel Paradis

  • Isabelle Guérard avec Magalie Lépine-Blondeau dans Les yeux fermés

    CAPTURE D’ÉCRAN

    Isabelle Guérard avec Magalie Lépine-Blondeau dans Les yeux fermés

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Drama queen

Les récentes apparitions d’Isabelle Guérard dans Indéfendable (mère d’une ado violente) et Motel Paradis (mère alcoolique et dépressive) en témoignent : les réalisateurs retiennent ses services pour défendre des rôles dramatiques. Cette propension ne date pas d’hier. Quand on examine le parcours de l’actrice, on relève de nombreux personnages d’écorchées, dont celles qu’elle a incarnées dans Ruptures (2015), La rage de l’ange (2006) ou encore Rouge sang (2013).

« J’ai beaucoup de plaisir à explorer ces zones d’ombre, souligne la principale intéressée. Ça m’amuse. Je ris après, je ris avant. Et je n’ai pas peur d’être à mon plus laid. Je n’y vais pas à moitié. »

La comédie a beau l’effrayer, elle aimerait bien s’y frotter. Elle s’avoue d’ailleurs très admirative du « beat comique » de Magalie Lépine-Blondeau, qu’elle côtoie dans Les yeux fermés, sur l’Extra d’ICI Tou.tv. « Magalie m’a beaucoup impressionnée. J’aimais la regarder travailler, les expressions qu’elle faisait, son rythme… J’aimerais ça l’avoir. »

À défaut d’espérer un rôle en particulier, Isabelle Guérard rêve de passer une longue période à préparer un personnage, se transformer pour l’interpréter « jusqu’au bout des ongles, quitte à prendre 40 livres ».

Elle souhaiterait aussi vivre pleinement du métier d’actrice. « Mais j’irais quand même faire des jours au Petit Poucet », souligne-t-elle, croyant sans doute qu’il s’agirait d’une bonne façon d’exprimer sa gratitude au restaurant grâce auquel, comme le héros du conte de Perrault qu’il évoque, elle semble avoir retrouvé son chemin.