On se doute en lisant son titre que Big Pharma, labos tout-puissants ne vante pas les innovations scientifiques des géants de l’industrie pharmaceutique. Le documentaire français s’attarde en effet à des pratiques qui démontrent, selon ses auteurs, que ces entreprises s’intéressent moins à la santé et au bien commun qu’au profit à court terme.

Disons-le d’emblée : les gens qui soupçonnent déjà l’industrie pharmaceutique de manipuler les politiques publiques et de chercher à siphonner le plus d’argent possible dans les systèmes de santé se sentiront surtout confortés dans leurs idées en regardant Big Pharma, labos tout-puissants. Le film réalisé par Luc Hermann et Claire Lasko cherche à effet à démontrer comment le pouvoir financier détenu par les géants du secteur leur confère une influence majeure sur les organismes chargés de les surveiller, mais aussi sur les politiques publiques d’un pays souverain.

Ce qui est en jeu ici, c’est « la financiarisation totale de l’écosystème du médicament », précisent les documentaristes dès l’introduction de leur film. Une situation illustrée par le rappel d’un scandale survenu en 2015, lorsqu’un fonds d’investissement dirigé par le financier Martin Shkreli a racheté les droits de commercialisation aux États-Unis du Daraprim, un médicament notamment utilisé par des gens souffrant de maladies incurables comme le sida et le paludisme (malaria).

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Martin Shkreli et son avocat Benjamin Brafmanen en août 2017

Dans la foulée de cette transaction, il a fait grimper le prix de ce médicament de 5000 %. Sans qu’aucune amélioration n’y ait été apportée. Il a pu se le permettre, car il avait jugé – apparemment à juste titre – que « dans la santé, l’évolution des prix a peu d’effet sur le niveau de la demande ». « Ce que veulent mes investisseurs, c’est que je fasse un maximum de profit », avait-il aussi ajouté à l’époque.

Ce système que décortique le documentaire Big Pharma est dominé par cinq géants : Novartis, Roche, Pfizer, Johnson & Johnson et Sanofi. Des entreprises puissantes qui, dénoncent les documentaristes, tirent davantage profit du rachat de petites entreprises innovantes que de leurs propres recherches. La logique du capitalisme financier étant le profit à court terme, ces brevets acquis à coup de millions doivent être rentabilisés rapidement.

« Les prix des médicaments ne reflètent plus les coûts réels des recherches », estime une intervenante du documentaire, qui travaille au New England Journal of Medicine. Elle précise aussi que, bien souvent, les entreprises pharmaceutiques parviennent à privatiser les profits, alors que les recherches qui ont permis le développement des médicaments ont bénéficié de deniers publics.

Big Pharma s’intéresse aussi à la façon agressive dont les géants du médicament défendent leurs parts de marché en donnant l’exemple de deux médicaments servant à traiter la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) : l’Avastin – développé à l’origine pour lutter contre le cancer du côlon – et le Lucentis. Constatant que le système de santé français privilégiait l’usage de l’Avastin, beaucoup moins onéreux que l’autre, Roche et Novartis ont mené une campagne pour favoriser le Lucentis. L’affaire a fait grand bruit en France et mené l’Autorité de la concurrence à imposer une amende de 445 millions d’euros aux deux entreprises pharmaceutiques en 2020. La décision a été renversée vendredi en cour d’appel.

Le film des deux documentaristes français a de quoi alimenter le cynisme envers les entreprises pharmaceutiques, que certains accusent de manipuler les autorités sanitaires comme la Food and Drug Administration américaine et même l’Organisation mondiale de la santé. On peut reprocher à Big Pharma de manquer de nuance, mais le film a le mérite de soulever des questions importantes quant au financement de la recherche, au processus d’homologation des médicaments et des dérives du capitalisme financier appliqué au domaine de la santé.

On regrette qu’il s’achève en 2019, alors que s’amorce la pandémie de COVID-19. Un autre film racontera peut-être un jour la course au vaccin contre ce virus dévastateur, les stratégies déployées par l’industrie pharmaceutique et celles mises en place par les autorités sanitaires pour informer et protéger les populations.

Mercredi, 20 h, à Télé-Québec