Au milieu des années 1990, Ethan Tobman a quitté Montréal pour aller étudier le cinéma à New York. Aujourd’hui, il habite Los Angeles, multiplie les projets de premier plan et collabore avec l’étoile de l’heure : Taylor Swift.

Cet automne, le chef décorateur de 43 ans signe la direction artistique des deux derniers vidéoclips de l’Américaine, Anti-Hero et Bejeweled, qui cumulent les millions de visionnements sur YouTube. Il apparaît également au générique d’All Too Well, ce court métrage musical de 10 minutes que l’auteure-compositrice-interprète a réalisé elle-même, et qui devrait récolter une nomination aux Grammy mardi.

La relation professionnelle entre Ethan Tobman et Taylor Swift a débuté en 2019 avec The Man, une chanson tirée de l’album Lover qu’elle souhaitait mettre en images. L’extrait a récolté beaucoup de succès, et l’année suivante, la chanteuse a retenu ses services pour Cardigan, une pièce du disque Folklore.

Concocté en pleine pandémie, le vidéoclip a confirmé leur chimie.

[Taylor Swift] m’inspire chaque fois qu’on travaille ensemble. C’est une leader incroyable. Elle a des idées extraordinaires, mais elle reste ouverte aux suggestions.

Ethan Tobman

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Ethan Tobman sur le plateau de tournage du film The Menu

Ethan Tobman pèse chacun de ses mots. Probablement en raison d’ententes de confidentialité, il évite d’émettre des commentaires trop précis sur l’artiste aux projets souvent ambitieux et toujours top secret.

Il s’accorde toutefois le droit de dire qu’il aime leurs collaborations parce que Taylor Swift veut « créer des univers ».

C’est une des raisons pour lesquelles sa musique résonne auprès d’autant de gens. C’est une extraordinaire raconteuse d’histoires.

Ethan Tobman, au sujet de Taylor Swift

Il poursuit : « Chaque fois que je lis ses paroles de chansons, j’ai l’impression d’être transporté dans un film, dans un roman. Elles sont toutes très chargées émotionnellement. Et ses clips doivent transmettre cette charge émotive. »

De Madonna à Beyoncé

Ethan Tobman a grandi à Montréal, où ses parents vivent toujours. Il n’avait que 17 ans lorsqu’il a quitté la métropole québécoise pour étudier à l’Université de New York avec l’objectif de devenir réalisateur. Les premières années n’ont pas été faciles, raconte-t-il. Après avoir présenté un court métrage au Festival de Cannes, son avenir semblait prometteur, mais quand l’industrie s’est effondrée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, il a été contraint de travailler comme serveur pour payer son loyer.

Déterminé à percer le marché hollywoodien malgré un retour à la case départ, Tobman a mis ses talents en dessin au service de photographes de renom, comme Mario Testino et Steven Klein, à titre de chef décorateur. Son expérience l’a ensuite propulsé dans l’univers des clips (Give Me All Your Luvin’ de Madonna, Formation de Beyoncé, No Tears Left to Cry d’Ariana Grande), des publicités, des séries télé (Mosquito Coast, Pam & Tommy) et, enfin, des longs métrages.

Tobman a d’ailleurs supervisé la conception des décors de Room (2015), ce drame nommé aux Oscars qui brosse le portrait d’une mère tenue captive dans une chambre avec son fils. « Plus jeune, j’essayais de bâtir ma réputation en pensant uniquement en termes de plateau. Je lisais des scénarios pourris, mais parce que l’action se passait dans l’espace, en 1940 ou dans n’importe quel environnement original, j’étais partant. Et tous les projets auxquels je participais floppaient ou passaient inaperçus.

« Ma carrière a commencé à prendre du galon quand j’ai changé ma façon de penser, poursuit-il. Aujourd’hui, je choisis des histoires qui m’émeuvent. Parce que mon travail, c’est de l’architecture émotionnelle : je crée des espaces qui doivent représenter la quête du personnage. Quand un personnage est détaché du monde qui l’entoure, je dois créer un environnement détaché du spectateur, pour qu’on ressente ce qu’il ressent. »

Menu bien rempli

Cet automne, Ethan Tobman apparaît également au générique du long métrage The Menu (en français, Le menu) comme concepteur de production. Réalisée par Mark Mylod (Succession), cette comédie d’horreur, qui prendra l’affiche le 18 novembre, raconte l’histoire d’amoureux (Anya Taylor-Joy, Nicholas Hoult) qui visitent une île déserte pour manger dans l’un des restaurants les plus réputés au monde, sans savoir que son chef (Ralph Fiennes) leur réserve toute une surprise… « C’est un film super intéressant. Chaque fois qu’on pense qu’on s’apprête à tourner à droite, ça tourne à gauche. »

The Menu a été tourné l’an dernier à Savannah, en Géorgie, et a reçu un accueil enthousiaste des critiques au Festival international du film de Toronto en septembre. Ethan Tobman parle d’une « expérience de rêve ». « Le scénario est divisé en cinq actes, comme un repas cinq services. J’ai trouvé ça brillant. Parce qu’au fond, aller au resto, c’est comme aller au cinéma. Ça dure deux ou trois heures, ça t’amène ailleurs, ça éveille tes sens, et quand c’est terminé, tu veux juste y retourner. »

Ethan Tobman planche actuellement sur Madame Web, une superproduction des studios Sony attendue en 2024. Il s’agit d’un film de superhéroïne dérivé de Spider-Man mettant en vedette Dakota Johnson et Sydney Sweeney. « J’ai encore l’impression de faire semblant que je sais ce que je fais ! J’ai toujours l’impression que quelqu’un va venir me dire : “Je pense que tu t’es trompé. Tu n’as rien à faire ici !” »