« Ce n’est pas fréquent que les gens qui font de la télé soient aussi agréables dans la vraie vie qu’ils le paraissent à l’écran », lance en riant Sona Movsesian. Rare exception : son patron, Conan O’Brien. L’assistante de la légende des talk-shows de fin de soirée explique dans un livre hilarant, The World’s Worst Assistant, pourquoi elle refuse de trop s’échiner au boulot.

Oui, bien sûr : « la pire assistante au monde », personnage cristallisé par de nombreux segments absurdes diffusés dans la défunte émission de Conan O’Brien sur TBS, est d’abord et avant tout une caricature de la vraie Sona Movsesian. Exemple : en 2009, alors que la presse à potins rapportait que Robert De Niro poursuivait son propre assistant parce qu’il avait visionné 55 épisodes de Friends en quatre jours, Sona entreprenait de battre cette honorable marque. Elle parviendra à visionner 58 épisodes en quatre jours. Bravo.

Ce livre, Sona l’envisageait néanmoins avec un certain sérieux, comme un contrepoids à l’archétype, omniprésent en fiction, de l’assistante bonasse et obéissante, auquel elle oppose les confessions d’une assistante qui, même si elle a décroché son emploi de rêve, refuse d’essuyer les pires avanies ou de faire la carpette, sous prétexte qu’elle est au service de quelqu’un de puissant.

Contrepoids aussi aux allégations ayant émané au cours des dernières années au sujet de plusieurs figures télévisuelles qui ont érigé des empires sur leur gentillesse habilement feinte, tout en se comportant, en coulisses, avec l’humilité de Louis XIV.

Je me suis dit : pourquoi je ne raconterais pas un autre genre d’histoire, la mienne, celle d’une assistante qui fait des siestes au travail et qui réplique à son patron, avec qui elle a une relation saine, mais dysfonctionnelle ?

Sona Movsesian

Comment explique-t-elle que le proverbial petit personnel, dans le pas si merveilleux monde du showbiz, accepte trop souvent de se laisser bafouer, comme s’il s’agissait d’un incontournable rite de passage ?

« Tu excuseras l’image dégoûtante, mais je compare cette façon de penser au film The Human Centipede : c’est comme si on se déféquait tous dans la bouche les uns des autres quand on se comporte envers les gens qui souhaitent commencer dans ce milieu comme des gens qu’il faut absolument maltraiter, juste pour mesurer à quel point ils souhaitent réellement faire ce travail », regrette Sona, depuis sa résidence en Californie.

Pourquoi ne peut-on pas simplement être gentil et leur dire qu’ils devront travailler très fort, plutôt que de leur lancer des imprimantes par la tête, les rabaisser et les appeler à 3 h du matin ? Surtout que ça ne permet pas vraiment de séparer ceux qui ont ce qu’il faut des autres : ça fait juste créer du stress post-traumatique.

Sona Movsesian

Une amitié atypique

Malgré ce sous-texte salutaire, The World’s Worst Assistant se déploie pour l’essentiel comme un chapelet d’anecdotes loufoques, qu’il s’agisse d’un souper en compagnie d’une journaliste du Hollywood Reporter auquel Sona a participé après avoir ingéré une certaine plante verte, ou d’un appel de l’assistante de David Letterman qui souhaitait laisser savoir à son homologue que son patron avait fait livrer à Conan un cheval (!) en guise de cadeau de remerciement.

Cette ode à la fainéantise, prodigue en autodérision, trace aussi en creux, avec beaucoup de tendresse, le portrait d’une amitié atypique entre une fille de famille arménienne, qui aimait la télé au point d’un jour au secondaire offrir une présentation orale sur l’histoire de la télécommande, et une des icônes du petit écran des années 1990.

« J’étais déjà une fan de Conan quand j’ai commencé à travailler pour lui et j’avais peur d’apprendre qu’il est méchant, se souvient Sona. Mais j’ai rapidement constaté que si autant de collaborateurs lui sont demeurés fidèles, c’est parce qu’il est le meilleur patron. Il est encore d’une certaine manière l’enfant du milieu d’une famille de six. »

Quand tu côtoies Conan, tu comprends qu’avoir du succès, ce n’est pas une excuse pour être désagréable.

Sona Movsesian

PHOTO FOURNIE PAR PENGUIN RANDOM HOUSE

Conan et Sona, dans leurs habits du dimanche

Lancée en novembre 2018, la balado Conan O’Brien Needs a Friend, coanimée par Sona dans le rôle de la plus rouspéteuse des faire-valoir, aura insufflé une nouvelle vie à l’humour du longiligne rouquin, plus allumé à ce micro qu’à la barre de son talk-show de TBS, qu’il débranchait d’ailleurs en juin 2021.

« Il y a quelque chose de très cadré dans un talk-show télé, observe Sona, alors que lorsqu’on enregistre la balado, on n’a aucune idée de ce dont on va parler. Et je pense que ça sied parfaitement à l’esprit comique de Conan de se lancer dans ces longues digressions. C’est comme si on avait laissé l’animal hors de sa cage. Un animal très pâle et très roux. »

Sona n’est donc pas précisément la pire assistante au monde ? « C’est vrai que j’oublie souvent des tâches et que je ne suis pas bonne avec les détails, mais ce dans quoi je suis meilleure que n’importe quelle assistante, c’est que chaque fois que je fais une gaffe, Conan peut la transformer en matériel comique. Ça a plus de valeur pour lui que si je faisais mon travail correctement. »

The World's Worst Assistant

The World's Worst Assistant

Plume

272 pages

Écoutez la balado « Conan O’Brien Needs a Friend » (en anglais)