Se pourrait-il que le premier Noir au Canada ait été l’interprète de Champlain ? Saviez-vous qu’il y a eu de l’esclavage au Québec ? Que la plus grande communauté afrodescendante libre en Amérique du Nord au XVIIIe siècle se trouvait en Nouvelle-Écosse ? La série documentaire Afro-Canada, du réalisateur Henri Pardo, raconte la présence des Noirs au pays en proposant une autre vision de notre histoire collective.

On ne pense généralement pas au Canada et au Québec lorsqu’on parle d’esclavage. Avec un voisin comme les États-Unis, il est sans doute facile de se donner bonne conscience. Or, entre 1629 et 1800, il y a eu plus de 4000 esclaves sur le territoire de ce qui est aujourd’hui le Québec, rappelle Aly Ndiaye à une petite assemblée d’enfants dans Afro-Canada.

Cette « classe du futur », comme l’appelle le réalisateur Henri Pardo, est l’un des fils conducteurs de sa série documentaire présentée à compter du 13 août à ICI Télé. C’est devant ces jeunes que le « professeur », Aly Ndiaye, mieux connu comme rappeur sous le pseudonyme Webster, retrace la présence des afrodescendants au Canada.

Il parle d’un certain Mathieu Da Costa, venu à Port-Royal en 1605 avec Champlain à titre d’interprète, après avoir vraisemblablement déjà foulé le sol de la Nouvelle-France. Il parle aussi d’Olivier Lejeune, le premier esclave recensé au Québec. Il parle de résistance, de racisme systémique, mais il parle aussi de famille, de culture et de vivre-ensemble, des thèmes que le réalisateur approfondit en allant à la rencontre d’intellectuels et de militants.

Le projet est à la fois simple et délicat : raconter une autre version de l’histoire du Canada, qui inclut les expériences vécues par ses citoyens afrodescendants et leurs ancêtres. « Des documentaires pareils, ce n’est pas évident parce que ça peut être re-traumatisant en quelque sorte, explique le réalisateur. Notre histoire est lourde de blessures et de traumas à cause de l’esclavage et de l’oppression qu’il y a eu pendant des centaines d’années au Canada. C’est important pour nous de nous l’approprier et de la raconter à notre façon. »

PHOTO MORGANE CHOQUER, LA PRESSE

Henri Pardo, réalisateur de la série Afro-Canada

On aime cette terre, on y participe, on y a participé grandement, on a forgé ce pays-là au même titre que les fameux Québécois de souche, les premiers colons ou qui que ce soit d’autre. Notre empreinte ici est là, indélébile, et il faut le reconnaître.

Henri Pardo, réalisateur de la série

La série Afro-Canada aborde tous les sujets de front, mais avec tact et une approche sensible. Henri Pardo mêle les langages cinématographiques : aux entrevues et scènes de la « classe du futur » s’ajoutent des séquences animées, des reconstitutions, des scènes de danse et des intermèdes musicaux. De beaux segments mettent notamment en vedette les chanteurs Pierre Kwenders et Dominique Fils-Aimé.

Ce mélange d’approches s’est imposé de lui-même, dit le réalisateur, et constitue une manière de rester proche de sa culture. « Si je prends Haïti comme exemple, on est très dans ce qu’on appelle la créolisation. Les Africains ont utilisé ce qu’il y avait autour d’eux sur cette île pour se forger une culture, une religion, une langue, en faisant des emprunts aux pays africains et aux pays européens — même s’ils étaient colonisateurs — et en mettant tout ça ensemble. C’est une chose qu’on retrouve beaucoup dans la culture afrodescendante. »

« Découvrir d’autres façons de faire »

Afro-Canada creuse bien des aspects peu reluisants de l’histoire du Canada, comme la ségrégation plus ou moins institutionnalisée qui existait aussi ici. « Ça a des répercussions jusqu’à aujourd’hui : ce n’est pas facile de se trouver un appartement dans certains quartiers quand tu es afrodescendant », souligne Henri Pardo.

Ces structures-là sont encore présentes. Quand on parle de racisme systémique, c’est vraiment 500 ans d’histoire qu’il faut analyser et comprendre.

Henri Pardo, réalisateur de la série

Sa série s’attarde aussi à la lumière qui jaillit, en parlant notamment de résistance, qui, relève Aly Ndiaye, est indissociable de l’expérience de l’esclavage. « Il était important dans notre démarche de trouver quelque chose qui nous fait honneur, précise le réalisateur. Oui, il y a cette résistance, mais il y a aussi ce désir de s’occuper de sa famille, de fonder un foyer, de vivre. » Un instinct de survie qui s’exprimera notamment par la danse, la musique et les autres arts.

Il croit que le public est ouvert à recevoir cette autre vision de l’histoire canadienne. « Les gens font attention et je pense qu’ils ont hâte de découvrir une façon différente de se comporter — je parle des Blancs en général. Je pense qu’ils commencent à capter qu’il ne faut pas juste éviter certains mots, estime-t-il. C’est ce qu’on veut dire par “décoloniser les esprits et l’Histoire” : découvrir d’autres façons de faire, d’autres façons de s’exprimer pour aller ailleurs et inclure tout le monde. »

Sur ICI Télé, les samedis, 21 h, dès le 13 août