Budget, hiérarchie, rythme de travail… On a beau y parler la même langue, les plateaux de tournage français diffèrent passablement des plateaux québécois. Nous avons abordé la question avec trois acteurs d’ici qu’on peut voir cet hiver dans des séries de l’Hexagone : Aliocha Schneider, Yves Jacques et Rose-Marie Perreault.

Aliocha Schneider : une hiérarchie plus rigide

L’étoile d’Aliocha Schneider n’a fait que grimper au cours des deux dernières années dans l’Hexagone. Une ascension attribuable aux rôles majeurs qu’il a décrochés dans Vampires (Netflix) et Germinal (France 2).

L’acteur de 28 ans, qui poursuit également une carrière d’auteur-compositeur-interprète, n’a pas trop été dépaysé lorsqu’il a foulé son premier plateau au royaume d’Emmanuel Macron.

« Le seul truc, c’est qu’il y a une hiérarchie plus claire [en France]. Au Québec, les comédiens et l’équipe technique, on est tous au même niveau. Tout le monde peut donner son avis : le preneur de son, le caméraman… Alors qu’en France, parce qu’il y a davantage de stars à qui l’on apporte des petits chocolats avec noisettes, c’est différent. »

Pour étayer son propos, Aliocha Schneider nous parle d’une courte – mais très drôle – vidéo sur YouTube dans laquelle Benoit Poelvoorde décrit cette hiérarchie, qui alourdit parfois le travail. « Au cinéma belge, tout le monde est logé dans le même hôtel pourri, c’est des budgets minables, mais l’avantage, c’est qu’on a une vraie liberté, parce que c’est de l’artisanat », déclare l’humoriste dans l’extrait.

« Les plateaux belges doivent être plus proches des plateaux québécois », ajoute Aliocha Schneider au téléphone avec La Presse.

En direct d’Athènes

Avant de poursuivre notre conversation, Aliocha Schneider insiste : cette fameuse hiérarchie, il ne l’a pas du tout sentie depuis qu’il a commencé à tourner Salade grecque, la suite – en télésérie – du film culte L’auberge espagnole. Dans cette production d’Amazon Prime Video France, en chantier depuis trois semaines en Grèce, l’acteur incarne Tom, le fils du couple au cœur des films de Cédric Klapisch, Xavier (Romain Duris) et Wendy (Kelly Reilly). Megan Northam interprète sa sœur, Mia.

PHOTO JÉRÔME PLON, FOURNIE PAR AMAZON PRIME VIDEO

Romain Duris, Megan Northam, Aliocha Schneider et Kelly Reilly dans la série Salade grecque

La série est articulée autour des jeunes frangins, qui héritent d’un appartement à Athènes.

Compte tenu du succès des trois longs métrages (L’auberge espagnole en 2002, Les poupées russes en 2005 et Casse-tête chinois en 2013), Salade grecque dispose de moyens colossaux. Au total, 100 jours de tournage sont prévus, chose qu’Aliocha Schneider n’a jamais connue au Québec.

« C’est la première fois que je vois une aussi grosse équipe », déclare celui qu’on a suivi dans Feux, Les jeunes loups et Yamaska.

En matière de budget de production, Aliocha Schneider continue d’être gâté en France.

Pour Germinal, c’était fou ! Ils ont recréé une mine en studio. Et pour l’inonder, ils ont plongé le décor dans une piscine. C’était un truc de malade !

Aliocha Schneider, comédien

« En France, il y a plus de projets, donc c’est sûr qu’il y a plus de moyens de rêver, de bâtir une carrière en faisant des choix, poursuit le comédien. Au Québec, il y a moins de projets pour travailler. On est donc obligé de prendre tout ce qui passe. »

PHOTO SARAH ALCALAY, FOURNIE PAR FTV-BANIJAY

Aliocha Schneider dans la série Germinal

Une expérience « hallucinante »

Aliocha Schneider a obtenu son rôle dans Salade grecque au terme d’un processus d’auditions qui s’est déroulé en 2021, deux ans après qu’il eut tourné une publicité pour Cartier avec Cédric Klapisch.

Encore aujourd’hui, le comédien peine à croire sa chance. « J’étais fan des films. C’est donc vraiment irréel. Les premières journées de tournage, j’avais l’impression de rêver. C’est hallucinant ! »

L’acteur sait combien les attentes sont élevées pour Salade grecque. Il évite d’ailleurs d’y penser. « C’est tellement tripant. C’est tellement bien écrit. C’est un rôle que j’adore. J’ai l’impression qu’on fait du bon travail. Les gens devraient aimer. »

ICI Télé présente Germinal dès samedi à 21 h. Les six épisodes seront mis en ligne sur ICI Tou.tv Extra.

Yves Jacques : une question de budget

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Le comédien Yves Jacques

Quand Yves Jacques s’est trouvé un pied-à-terre en France en 1994, il croyait découvrir une nouvelle manière de tourner. Le comédien a vite constaté qu’un plateau demeure un plateau, qu’il soit québécois, français ou américain. « Ce qui change, c’est le réalisateur. C’est lui qui impose son style, sa marque, sa façon de travailler. »

Yves Jacques relève toutefois des différences importantes entre les expériences de tournage québécoises et françaises. Certaines d’entre elles proviennent des lois syndicales qui régissent le fonctionnement des plateaux, comme l’horaire des techniciens, duquel le reste de l’équipe est tributaire.

Autre variation : le dîner. « Le repas du midi en France, c’est un vrai repas, avec une entrée, un plat principal, un dessert, du fromage, des amuse-gueules, du vin, du café, des digestifs… C’est quelque chose ! s’exclame Yves Jacques. Au Québec, ce n’est pas comme ça. »

PHOTO JEAN-CLAUDE LOTHER, FOURNIE PAR ARTE

Yves Jacques dans la série Mytho

« J’ai connu des plateaux français où l’on arrive vers 10 h, et c’est seulement après qu’on est passé au CCM [coiffure, costume, maquillage] et qu’on a mangé qu’on commence à tourner ! », poursuit le comédien.

Les budgets plus élevés des productions françaises permettent également aux équipes d’avoir davantage de temps pour peaufiner leur art, souligne Yves Jacques en évoquant sa participation à Grace de Monaco, ce long métrage français de 2014 mettant en vedette Nicole Kidman.

« On sentait qu’il y avait quelque chose de plus onctueux. On sentait l’argent, ce qu’on ne sent pas nécessairement quand on joue dans District 31, par exemple. »

Au Québec, on n’a pas l’argent des grands pays, mais c’est extraordinaire, tout ce qu’on réussit à faire, en dépit du temps qu’il nous manque pour approfondir une scène, pour éclairer, pour décorer…

Yves Jacques, comédien

Cet hiver, grâce à Netflix, le public québécois peut découvrir Yves Jacques dans Mytho, une série française délicieusement singulière du réseau Arte réalisée par Fabrice Gobert (Les revenants), dans laquelle Marina Hands (gagnante d’un César pour Lady Chatterley) interprète une mère de famille en manque d’amour et d’attention qui s’invente une maladie. L’acteur de 65 ans y campe son patron, qu’il décrit comme « un pauvre homme frustré » qu’on appelle M. Brunet.

Au même moment, Yves Jacques apparaît également dans Paris Paris sur Unis TV, une série avec Benoit Mauffette, Maxim Roy et Louison Danis, qui brosse le portrait d’un homme en pleine crise identitaire qui découvre un mystérieux tunnel qui relie la ville de Paris, en Ontario (au Canada !), à Paris, en France.

« C’est quand même audacieux comme idée, souligne l’acteur. C’est Dominic Desjardins qui signe les textes et qui réalise. C’est sa femme qui produit. C’est magnifique, ce qu’ils ont réussi à faire malgré le peu de sous qu’ils avaient. »

Moins de solidarité

En raison du manque d’argent, on sent beaucoup de solidarité au sein des équipes de tournage d’ici, remarque Yves Jacques. En Europe, ce n’est pas toujours le cas.

PHOTO PHILIPPE FABIOLI, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Benoit Mauffette et Yves Jacques dans la série Paris Paris

« En France, si une grosse vedette décide de faire ce qu’elle veut, elle fait ce qu’elle veut. Si elle décide d’utiliser son pouvoir au détriment d’un jeune débutant ou d’un acteur québécois invité, il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’en empêcher. C’est terrible. Je déteste ça. Ça ne m’est jamais arrivé au Québec, mais ça m’est déjà arrivé en France. »

Yves Jacques continuera de mener une carrière des deux côtés de l’Atlantique cette année. Le tournage d’un long métrage l’attend probablement l’automne prochain en France, entre deux pièces de théâtre au Québec.

« J’aime être avec ma gang, mais j’aime aussi l’exotisme. Quand j’étais tout petit, j’étais très curieux d’aller voir ce qu’il y avait au bout de la rue. Ça n’a pas changé. »

Les deux premières saisons de Mytho sont offertes sur Netflix. On trouve la série Paris Paris au www.tv5unis.ca.

Rose-Marie Perreault : le facteur temps

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La comédienne Rose-Marie Perreault

C’est dans Germinal, l’adaptation télévisuelle du célèbre roman d’Émile Zola, que Rose-Marie Perreault a fait ses débuts en France, l’automne dernier sur France 2 – sur le même plateau qu’Aliocha Schneider.

On parle d’une mégaproduction dotée d’un budget avoisinant les 3 millions de dollars par épisode, comparativement aux 546 000 $ que coûte en moyenne chaque heure de fiction en télé québécoise, d’après les données du Fonds des médias du Canada.

En entrevue, la comédienne raconte avoir vécu une expérience de tournage mémorable dans différentes villes du nord de l’Hexagone.

« Ça m’a fait réaliser qu’avoir de l’argent, ça signifie surtout avoir du temps. On avait 11 jours de tournage par épisode. On tournait peut-être deux ou trois scènes par jour ; beaucoup moins qu’au Québec. On prenait le temps de faire les choses, de discuter des personnages… »

Rose-Marie Perreault a beaucoup aimé la direction d’acteur de David Hourrègue, qu’elle décrit comme un réalisateur « à l’écoute » et « bienveillant ».

« Ce n’est pas juste à cause du budget que c’était aussi génial à tourner, précise la comédienne. Il y avait une vraie communication, un vrai travail d’équipe, un peu à l’image de Germinal. »

On dit souvent “l’union fait la force” en parlant des mineurs, mais c’était aussi notre cas, comme équipe de tournage. On suivait la vision du réalisateur à fond parce qu’on y croyait tous.

Rose-Marie Perreault, comédienne

PHOTO SARAH ALCALAY, FOURNIE PAR FTV-BANIJAY

Rose-Marie Perreault et Louis Peres dans la série Germinal

Premières amours

Dans Germinal, que Radio-Canada présentera à partir de samedi, Rose-Marie incarne Catherine Maheu, une ouvrière qui tombe dans l’œil du héros, Étienne Lantier (Louis Peres). En entrevue, la comédienne trace le portrait d’une femme dotée d’une intelligence très pragmatique, prisonnière d’une époque pré-mouvement #metoo, qui préfère survivre que d’amorcer une révolution.

Elle a décroché le rôle au mois d’août 2020, au terme d’une audition à distance. Elle qualifie l’expérience d’« angoissante » mais aussi d’« exaltante », compte tenu du fait qu’elle n’avait jamais tourné en France avec l’accent français. Elle a d’ailleurs conservé l’accent tout au long du tournage, même entre les prises, histoire de faire « une immersion totale ».

La première fois que Rose-Marie Perreault a visionné les épisodes, c’était l’été dernier au festival Séries Mania à Lille, où Germinal a remporté le Prix du public.

« C’est vraiment un projet qui m’amène beaucoup de fierté, affirme-t-elle. Les décors, les effets spéciaux, les éléments ajoutés en postproduction… Visuellement, c’est impressionnant. J’ai été happée. C’est une fresque monumentale. »

Attachement

Malgré les conditions gagnantes du tournage de Germinal, Rose-Marie Perreault n’oserait jamais délaisser le Québec.

« Oui, ça m’a fait du bien d’avoir du temps. C’est ce que je déplore au Québec : il manque d’argent en culture. Mais le Québec, c’est mes premières amours. Le cinéma québécois, j’ai grandi avec. Je l’ai très proche du cœur. Les équipes sont plus petites, mais ça donne un sentiment de famille, de sécurité, de bienveillance. »

ICI Télé présente Germinal dès samedi à 21 h. Les six épisodes seront mis en ligne sur ICI Tou.tv Extra.