Seuls, du documentariste Paul Tom, raconte avec doigté les trajectoires d’Afshin, Alain et Patricia, arrivés au Canada à l’adolescence sans maman ni papa pour veiller sur eux, comme environ 400 autres jeunes chaque année. Ce film touchant parle autant d’arrachement que d’hospitalité.

Faire du documentaire n’était pas dans les plans de Paul Tom. Lorsqu’il était étudiant à Concordia, il rêvait plutôt de tourner des comédies romantiques à gros budget « avec de la pluie et des gens qui se frenchent », avoue-t-il.

Des professeurs avisés l’ont invité à regarder ailleurs : dans son histoire à lui, qui est né de parents cambodgiens dans un camp de réfugiés situé en Thaïlande. Ce qu’il a fait à travers des courts métrages et des projets d’animation.

À un moment donné, j’ai voulu donner un break à mes parents et à ma sœur, alors j’ai tourné la caméra vers l’Autre. Ça a donné Bagages.

Paul Tom

Sorti en 2017 et récompensé entre autres par deux prix Gémeaux en 2018, Bagages est un film qui entrecroise les histoires d’une vingtaine d’ados qui fréquentent une classe d’accueil de l’école Paul-Gérin-Lajoie d’Outremont. Des jeunes déracinés, mais qui tirent une force et une fierté d’être à la fois d’ici et d’ailleurs. Une réalité bien loin de celle vécue par Paul Tom au même âge.

Frictions identitaires

Arrivé au Québec à un an et demi, le réalisateur dit avoir eu la chance de s’intégrer à la société québécoise. À s’intégrer tellement qu’à l’adolescence, il a rejeté la culture de ses parents. « Mes références étaient les mêmes que mes amis francophones blancs. Ça a été une période de frictions avec mes parents et ma culture d’origine », se rappelle-t-il. Il ne savait pas à l’époque qu’il avait le droit d’être l’un et l’autre.

Bagages a nourri sa réflexion sur lui-même et aussi mis sur sa route les deux idéatrices derrière Seuls, Julie Boisvert et Mylène Péthel. C’est après avoir vu son film qu’elles ont pris contact avec Paul Tom pour l’intéresser à leur projet : montrer la réalité des jeunes qui arrivent au Canada sans parents. Le film en suit trois, dont deux sont devenus adultes depuis.

Il y a d’abord Afshin, que sa famille a fait sortir d’Iran alors qu’il avait 14 ans, de peur qu’il se fasse tuer s’il était enrôlé dans l’armée. Puis, Alain, arrivé au Canada avec ses deux frères eux aussi adolescents après avoir fui le Burundi, où leur vie était menacée. Il y a enfin Patricia, qui a quitté l’Ouganda, où l’homosexualité est illégale et la répression, dure, et qui est arrivée il y a deux ans en passant par le chemin Roxham.

Trois destins
  • Afshin est arrivé au Canada dans les années 1980 et a été placé, à sa demande, dans une famille francophone. Il a travaillé fort toute sa vie pour réussir et montrer à ses parents que leur décision était la bonne.

    PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Afshin est arrivé au Canada dans les années 1980 et a été placé, à sa demande, dans une famille francophone. Il a travaillé fort toute sa vie pour réussir et montrer à ses parents que leur décision était la bonne.

  • Alain rêvait de devenir policier. Il y est parvenu à force d’acharnement. Il pose aussi un regard plein de gratitude sur le pays qui les a accueillis, ses frères et lui.

    PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Alain rêvait de devenir policier. Il y est parvenu à force d’acharnement. Il pose aussi un regard plein de gratitude sur le pays qui les a accueillis, ses frères et lui.

  • Arrivée au Canada il y a deux ans, à 17 ans, Patricia peut commencer à refaire sa vie, maintenant qu’elle a été acceptée comme réfugiée.

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    Arrivée au Canada il y a deux ans, à 17 ans, Patricia peut commencer à refaire sa vie, maintenant qu’elle a été acceptée comme réfugiée.

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Paul Tom navigue avec aisance entre ces trois histoires, créant un mouvement de va-et-vient parfaitement naturel. Il garde aussi une ligne claire, même s’il va d’un pays à l’autre, d’une vie à l’autre, d’une époque à l’autre et fait une utilisation judicieuse de l’animation (signée par Mélanie Baillairgé).

« Raconter une histoire, c’est une chose, mais la faire vivre au spectateur en est une autre. L’animation pouvait servir non seulement de support visuel, mais aussi de support sensoriel [quand les archives manquaient] », expose le réalisateur. Il s’en sert avec parcimonie, créant des scènes fortes pour montrer la peur d’Afshin, enfermé dans un camion qui le mènera de l’Iran à la Turquie, ou le chagrin de Patricia quittant les bras de sa mère à l’aéroport.

Seuls raconte des destins déchirants, mais c’est aussi un film sur nous comme société d’accueil. Sur notre devoir d’hospitalité.

Paul Tom

Il est d’ailleurs très touchant de voir Afshin et Alain retrouver des personnes travaillant auprès des immigrants qui les ont aidés à leur arrivée.

« Si on a des Afshin et des Alain, c’est qu’on a mis sur leur chemin des gens pleins de bonté, des gens qui sont là pour faire en sorte qu’ils sont chez eux », dit encore le réalisateur, tout en soulignant l’importance des structures communautaires et des familles d’accueil.

Seuls montre des histoires d’immigrations réussies. Un parti pris assumé par l’équipe qui a conçu le documentaire, avec l’espoir que les gens qui le verront prendront conscience que ces personnes venues d’ailleurs veulent « la même chose que nous » : vivre en paix. « Avoir un toit sur la tête et un toit sur le cœur », résume bellement le réalisateur.

« Patricia le dit clairement dans le film. Elle dit : ‟Je ne suis pas ici pour voler des jobs, je suis ici pour survivre », souligne Paul Tom. Cet appel-là, si on a le cœur ouvert, on l’entend. »

Mercredi, 20 h, à Télé-Québec.