Deux fois par mois, La Presse convie des créateurs de l’industrie de l’audiovisuel à nous parler de leur métier. Et aussi des défis de la création télévisuelle à l’ère des nouvelles plateformes et du numérique. Aujourd’hui : le scénariste Jacques Davidts.

Après une belle carrière en publicité chez Cossette (qui lui a valu une douzaine de prix et récompenses), Jacques Davidts est devenu scénariste pour la télévision et le cinéma à 40 ans. Il a écrit pour des émissions jeunesse, des séries, des films et des docufictions. Créateur de la comédie Les Parent (huit saisons), il est aussi l’auteur principal de la série Les mecs. Davidts signe aussi l’adaptation au cinéma du roman de Kim Thúy Ru, dont le tournage vient de débuter.

Q. Vous avez d’abord travaillé en fiction jeunesse au début des années 2000. À l’époque, Canal Famille est devenu Vrak.TV et il y avait plusieurs projets d’émissions en chantier. Vous avez dit en entrevue que ce monde vous tapait sur les nerfs à la fin. Pourquoi ?

R. À l’époque, l’écriture de fiction en jeunesse ne me semblait pas intéressante. On était loin de la fantaisie de Sol et Gobelet, par exemple. À mon avis, la fiction jeunesse est en chute libre depuis qu’on a laissé rentrer les psychopédagogues, les pédopédagogues, etc. dans les émissions. Pour Ayoye, à Radio-Canada, on devait écrire de 15 à 20 pages de notes pour expliquer et justifier chaque détail d’une scène pour chaque épisode aux pédago-machins. Il y en avait plus que le nombre de pages du scénario ! J’ai alors bifurqué vers le documentaire, mais les dialogues, les personnages de fiction me manquaient.

Q. Selon vous, qu’est-ce qu’on a perdu, avec le temps, dans l’écriture des émissions jeunesse ?

R. La spontanéité. La fantaisie. Et en création, si tu coupes la spontanéité, il ne reste plus grand-chose. Ça devient comme un manuel scolaire. On a surtout perdu l’idée que les enfants ne sont pas des imbéciles ! Lorsqu’un enfant voit quelque chose à l’écran, il sait différencier le vrai du faux. Instinctivement. Malheureusement, à un moment, la télé a cessé de faire confiance à l’imaginaire des enfants pour écouter les « logues ». Et la fiction jeunesse est devenue très scolaire.

Q. Depuis que la révolution numérique a transformé l’industrie, les principaux organismes de financement ont adopté le principe de contenu « disponible en tout temps et sur toutes les plateformes ». On a l’impression que l’offre de contenu va dépasser la demande en divertissement audiovisuel.

R. Oui, c’est fou, car on dirait que l’industrie se vampirise. On est en train de diluer tout l’argent disponible ; on fait n’importe quoi et son contraire. Et on n’arrive plus à voir ce qui vaut la peine d’être produit ou pas. Il y a beaucoup trop de cochonneries sur nos écrans. On devrait davantage investir dans des séries lourdes, des projets d’envergure en fiction, du moins. En donnant les moyens à nos artisans. On verrait alors la grande force du talent québécois et le savoir-faire des créateurs d’ici. Au lieu de toujours presser le citron. J’ai beaucoup d’admiration pour des créateurs comme François Létourneau et Jean-François Rivard [créateurs des Invincibles et de Série noire, notamment]. Ils sont capables de dire aux diffuseurs qu’ils vont sauter une saison, et prendre le temps de travailler, de peaufiner.

Q. Les diffuseurs ont autant de pouvoir sur la création ?

R. Je ne pense pas que ce soit un « trip » de pouvoir. Les diffuseurs sont aussi pris dans un système où ils doivent nourrir la bête à tout prix, assouvir notre soif de contenu. Ils planifient désormais leurs programmations en séparant la télé, le numérique, l’extra, le balado… Mais pourquoi avons-nous besoin d’autant de plateformes dans nos vies ? Je ne comprends pas.

Q. Peut-être pour suivre la tendance internationale de l’industrie… Et ne pas disparaître ?

R. D’accord, il faut suivre la tendance. Mais c’est curieux, on a beaucoup parlé d’énergie durable, de réduction des gaz à effet de serre à la COP26 [le dernier sommet des Nations unies pour le climat]. Or, l’industrie numérique est celle avec la plus grande croissance de pollution. Ça prend beaucoup d’énergie, d’électricité, pour opérer tous les serveurs de la planète. Chaque fois qu’on envoie un « like » sur nos réseaux, on pollue. Parce que notre « like » est enregistré en même temps que 40 millions d’autres données qui sont stockées dans des serveurs gigantesques et énergivores. La meilleure campagne de relations publiques au monde, c’est celle qui nous a fait croire que c’est un geste très vert de consommer du numérique.

PHOTO FOURNIE PAR ICI RADIO-CANADA

Normand Daneau, Yanic Truesdale, Christian Bégin et Alexis Martin sur le plateau de la série Les mecs

Q. Sans revenir sur la polémique avec l’écrivaine Martine Delvaux [au sujet des Mecs et du « safe space pour hommes dans la cinquantaine »], est-ce que votre opinion a évolué depuis deux ans par rapport au manque de représentativité de la télé au Québec ?

R. Je comprends la notion de privilège et le besoin de diversité. Je suis un Blanc, mâle, hétéro, européen-centré… Toutefois, je suis arrivé au Québec de Belgique avec mes parents à 4 ans. À cause de mon accent belge, j’étais le « maudit Français » de Saint-Eustache. Au primaire, mon institutrice me laissait partir cinq minutes avant la cloche pour me donner le temps de courir et d’éviter de manger une volée à la sortie de l’école. Ç’a duré tout le primaire et le secondaire. Je ne l’ai pas eu facile. Alors, quand on parle de mon privilège, j’ai un peu de misère avec ça. Je comprends fort bien qu’il faut laisser de la place à la diversité à la télé et ailleurs, qu’il reste des préjugés, des inégalités, etc. Je sais aussi que je suis un produit de l’histoire contemporaine en Occident. Et tant mieux si des gens veulent changer cette histoire ! Mais je refuse de me sentir coupable.

Les réponses ont été éditées par souci de concision.

La deuxième saison des Mecs est diffusée sur ICI Tou.tv Extra depuis le 12 novembre. Elle sera aussi présentée sur ICI Télé à l’hiver 2022.