Les mecs, nouvelle série scénarisée par Jacques Davidts (Les Parent, Polytechnique) et réalisée par Ricardo Trogi (Horloge biologique, Le mirage), est diffusée sur l’Extra de Tou.tv à compter de ce jeudi. Cette histoire de quatre amis vivant une « crise de la cinquantaine » a fait polémique, il y a un an, lorsque l’écrivaine et professeure Martine Delvaux a regretté ce qu’elle percevait comme une nouvelle illustration de l’emprise du « boys club ».

Marc Cassivi : Il y a un an, Martine Delvaux a lu la description de ta série et a réagi fortement dans nos pages. Tu lui as suggéré d’attendre de voir les épisodes en précisant que tu aimais bien la discussion que tout ça suscitait…

Jacques Davidts : J’aime provoquer des discussions. Le seul problème, c’est qu’au moment où Martine Delvaux a écrit ça, elle était dans la promotion de son livre (Le boys club) et je pense qu’elle a sauté sur l’occasion de manière un peu opportuniste. Je ne lui reproche rien, mais c’était un peu comme critiquer un livre en lisant la quatrième de couverture. Je n’ai pas trouvé ça particulièrement honnête, intellectuellement. Je me suis trouvé dans la position de devoir défendre quelque chose qui n’existe pas encore. À l’époque où l’on est, avec les institutions publiques — Radio-Canada en étant une —, s’il y avait eu une cabale, ç’aurait pu mettre en péril une centaine d’emplois, grosso modo.

M. C. : Tu as senti qu’il y avait un danger ?

J. D. : Je ne sais pas s’il était réel — l’équipe de Radio-Canada a été magnifique et m’a rassuré —, mais Martine Delvaux a quand même un « fan base ». Ils sont, comme tout ce qui est militant, assez actifs, notamment sur les réseaux sociaux. C’était dans l’air du temps. Je ne lui en veux pas pour autant. C’était de bonne guerre.

M. C. : Crois-tu qu’en voyant la série, elle pourra y trouver son compte ?

J. D. : Honnêtement, j’en ai aucune idée. C’est sûr que si on cherche la petite bête, on va toujours finir par la trouver. Mais ça m’étonnerait que la série provoque un tollé. Ça reste de la comédie légère d’observation, avec beaucoup de « one-liners ». Ce n’est pas quelque chose qui est très dangereux. Je ne supporte pas une thèse. Ce n’est ni un essai ni un documentaire. Je ne dis pas : « Ah, ah, ah ! Voici les méchantes féministes ! » ou « Ah, ah, ah ! Voici les méchants masculinistes ! »

M. C. : Mais il y a un propos, quand même…

J. D. : Oui ! On est plus près de Battle of the Sexes (film sur les joueurs de tennis Billie Jean King et Bobby Riggs) que d’une guerre de mentalités. On observe les relations entre les hommes et les femmes, arrivés à un certain âge, avec un certain bagage, en fonction de tout ce qui se passe en ce moment. Il y a des idées et des générations qui s’affrontent, mais c’est vraiment léger. C’est une histoire d’amitié entre quatre gars. Ils ne disent pas de grandes vérités, mais donnent un point de vue qui est le leur, en fonction de qui ils sont, de ce qu’ils ont vécu et de l’âge qu’ils ont. Ça permet de mettre les choses en perspective.

M. C. : Ce sont des discussions entre des gars de la même génération qui se permettent de dire des choses qu’ils ne diraient pas autrement…

J. D. : Pas tant que ça, je trouve. Ce ne sont pas des mononcles. Ils sont éduqués. Ils ne disent pas des insanités et des imbécillités. Parfois, c’est un peu gros, mais ils s’en rendent compte. Ils se permettent de faire des jokes que tout le monde fait, entre amis, mais qu’on ne se permet pas de faire maintenant sur la place publique. Parce que, ô mon Dieu !, c’est tellement dommageable… Ma blonde a un club de lecture avec cinq ou six amies et elles y vont solide ! [rires] Je trouve qu’il y a de la pudibonderie dans tout ce débat. Je comprends très bien les notions de sexisme, l’aspect systémique de la chose, mais il reste qu’une joke, si elle fait rire le monde, c’est parce qu’elle est bonne ! Et les bonnes jokes s’appuient la plupart du temps sur un fond de vérité. Que l’on soit d’accord ou pas.

M. C. : Mais tu comprends que l’on puisse trouver que des versions masculines de Sex and the City, on en a vu d’autres ? C’est ce qu’on te reproche à la base…

J. D. : Je te dirais qu’en télé québécoise, les femmes sont excessivement présentes. Beaucoup plus que les hommes. Les réseaux sont dirigés par des femmes, les femmes prennent les décisions à la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles), les auteurs sont surtout des femmes. La dernière fois qu’on a vu quelque chose qui pourrait ressembler d’une certaine façon aux Mecs, c’était Minuit, le soir. Peut-être Les invincibles. Le reste est plutôt féminin. Je ne me sens pas très mal à l’aise face à ce genre de reproche. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui sont basées sur des perceptions davantage que sur la réalité. Et certains sont très doués, surtout sur les réseaux sociaux, pour donner l’impression que la réalité correspond à leurs idées.

Quand on me dit : ‟Encore une émission de gars !”, on se trompe. C’est justement pour ça que j’ai eu envie de l’écrire. Parce qu’il n’y avait pas, dans l’horizon télévisuel actuel, d’émission sur l’amitié entre des hommes de 50 ans.

Jacques Davidts

M. C. : Ton scénario n’était pas terminé quand cette controverse a éclaté. Y fais-tu écho dans la série ?

J. D. : Juste dans le dernier épisode. C’est le dernier qui me restait à écrire et je jonglais avec différentes idées. Quand est arrivée cette altercation, j’ai eu envie de m’en servir. Alors le personnage de Christian, qui est prof d’université, a maille à partir avec une étudiante féministe intersectionnelle. C’est ce que j’ai rajouté. J’aime bien cette idée de féminisme intersectionnel. Les gens ne savent pas trop ce que c’est. C’est sûr que je caricature ! C’est de l’humour. Et puis, j’aime la joute oratoire, discuter, débattre.

M. C. : Je n’ai vu que les quatre premiers épisodes, mais j’ai l’impression que tu piques à gauche et à droite, autant les féministes que ces gars de 50 ans qui ne veulent pas passer pour des mononcles. Tu te moques de ce que tu considères comme les travers et les injonctions de l’époque ?

J. D. : C’est ce qui m’intéresse le plus. Il faut que l’on vive ensemble, d’une façon ou d’une autre. Il faut que l’on arrive à avoir un peu de recul par rapport à qui on est, ce qu’on fait et ce qu’on dit. On est pris avec des préjugés. Ce qui est intéressant, c’est d’en être conscients. Parce que tout ne peut pas changer du jour au lendemain. La vérité, c’est un point de vue. L’idée, c’est d’être capables de se parler. Ensuite, on peut faire bien des choses. Alors, oui, je me moque de l’époque, dans certaines thématiques. Mais il y a aussi tout ce qui est lié à la cinquantaine, comme perdre des gens qui nous sont chers. C’est une grosse révélation. On s’occupe de nos parents jusqu’à ce qu’ils partent, nos enfants partent de la maison en même temps, et on se retrouve seuls. Les personnages principaux sont à la fois moi, divisé en quatre, et inspirés par mes amis.

Les mecs, ce n’est pas tout à fait ce que Martine Delvaux s’imaginait, à mon avis. J’ai envie de lui dire : ‟Relaxons ! On ne va pas mourir. Je suis d’accord avec toi, mais respirons un peu…”

Jacques Davidts

M. C. : Même si on a de l’empathie pour eux, on peut trouver les personnages parfois dépassés ou à côté de la plaque. C’est aussi un regard sur l’homme de 50 ans déboussolé par une époque qui bouge très vite.

J. D. : Oui, même si c’est un peu exagéré. J’ai travaillé longtemps en publicité et je me suis rendu compte d’une chose : le milieu dans lequel j’évolue n’est pas du tout représentatif de la société en général. La plupart des gens se posent beaucoup moins de questions. Ou, du moins, ils ne se posent pas les mêmes questions que moi…

M. C. : Ils ne se demandent pas s’ils profitent de leurs privilèges d’homme blanc hétérosexuel dans la cinquantaine ?

J. D. : Ab-so-lu-ment pas ! Pas du tout. « La notion de privilège, what the fuck is that ? Crissez-moi patience avec ça ! Je ne suis pas un privilège, moi. Je suis chez nous et j’écœure personne ! » Ils ne pensent pas à ça. C’est sûr que j’écris Les mecs en fonction d’une réalité qui est plus proche de la mienne. Mais je sais très bien que cette réalité-là est loin d’être celle de tout le monde. Ce qui permet quand même aux gens, je l’espère, de s’identifier et de comprendre certaines choses, même s’ils ne les vivent pas. Ils sentent que c’est une réalité qui existe, qui n’est pas nécessairement la leur, mais qui peut provoquer chez eux une discussion ou un débat. C’est toujours ce qui m’intéresse. Je ne défends pas de thèse. Personne n’a raison. Mais peut-on discuter pour mieux vivre ensemble ?