Trois semaines après son entrée à Occupation double, Julie Munger, maquilleuse professionnelle de 29 ans aux courbes généreuses, fière (et seule) représentante de la diversité corporelle au sein de l’émission, n’est encore tombée dans l’œil d’aucun candidat. Une situation que déplore la jeune femme originaire de Saguenay et qui réactive le débat autour du manque de diversité corporelle dans les téléréalités.

Choisie par le public pour entrer directement dans les maisons d’Occupation double, Julie Munger a vécu toute une déception depuis son arrivée dans l’aventure : aucun candidat n’a jeté son dévolu sur elle. Une situation qui n’a pas manqué de susciter de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias. Au point que la production d’Occupation double a décidé de déroger à son règlement (les participants doivent rester coupés du monde pendant toute la durée de l’émission) en permettant à la candidate de contribuer au débat en écrivant une lettre qu’elle nous a fait parvenir.

« Je me suis inscrite à Occupation double pour passer un message clair ! Un message qui a une importance capitale à mes yeux : voyez plus loin que le physique, esti ! écrit Julie Munger. J’avais aussi dans l’idée de rencontrer l’amour à OD. J’espérais fort que ça fonctionne ! Il semble par contre que l’ouverture d’esprit des candidats masculins n’était pas au rendez-vous », poursuit-elle.

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Julie Munger, candidate à Occupation double

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La productrice au contenu d’Occupation double, Valérie Dalpé, a quant à elle tenu à souligner son désir de voir évoluer l’émission sur la question de la diversité corporelle.

« Nous sommes fiers d’avoir choisi Julie pour son sens de la répartie, son charisme et parce qu’elle assume ses courbes voluptueuses. La présence de Julie a pour effet d’ouvrir la conversation sur les standards de beauté et surtout sur l’ouverture des gens, qui n’est, peut-être, pas aussi présente qu’on le croit », souligne-t-elle.

Julie nous permet de réaliser qu’OD, comme la société, doit évoluer.

Valérie Dalpé, productrice au contenu d’Occupation double

Lors des auditions d’Occupation double, les candidats masculins se font d’ailleurs questionner par la production quant à leur ouverture en matière de diversité corporelle. « En audition, c’est comme en entrevue, tu es là pour te vendre. Alors ils vont un peu nous dire ce qu’on veut entendre. C’est correct, ils n’ont pas à se forcer. Il y en a plein qui n’arrivent pas à se matcher. Martine est partie, personne ne tripait sur elle non plus », précise Valérie Dalpé.

« On n’aurait pas eu cette conversation si Julie n’était pas là. OD est une microsociété. Si on a ce problème dans l’émission, on l’a clairement aussi dans la société. Espérons que ça ouvre l’esprit des gens. C’est une émission très stéréotypée depuis 14 ans, on essaye tranquillement d’ouvrir des portes », ajoute la productrice au contenu.

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Julie Munger dans la maison des filles

Une téléréalité encore loin de la réalité

Andrée-Ann Dufour est cheffe de projets chez ÉquiLibre, organisme à but non lucratif qui travaille notamment à sensibiliser et mobiliser des acteurs des secteurs de la mode, de la publicité et des médias afin de réduire les représentations irréalistes du corps ainsi que les messages encourageant le culte de la minceur. Pour la nutritionniste de formation, le débat lancé autour de Julie Munger à OD est une très bonne chose.

« Je pense surtout que ça alimente la discussion sur la diversité corporelle et c’est très polarisé. Le poids suscite vraiment des réactions. Il faut souligner qu’il y a de beaux efforts. Par contre, on voit encore que les personnes minces sont surreprésentées », estime Mme Dufour, qui rappelle que la proportion de personnes en surpoids est beaucoup plus importante que la proportion de personnes minces au Québec.

« De nombreux préjugés à l’égard du poids sont encore socialement acceptés, précise la nutritionniste. Une personne mince part dans la société avec une certaine longueur d’avance, car on est encore dans une société où l’on associe beaucoup la minceur avec le succès, la séduction. On a du chemin à faire, en transformant nos émissions, en ayant des discussions ouvertes là-dessus. »

Pour la cheffe de projet d’ÉquiLibre, le fait que Julie a été choisie par le public est d’ailleurs très parlant. « On voit que les gens sont plus ouverts, qu’ils veulent cette diversité corporelle. D’autres téléréalités comme L’amour est dans le pré arrivent naturellement à une belle diversité corporelle, autant dans les castings féminins que dans les castings masculins. La nature de l’émission est différente. OD est encore très axé sur l’apparence physique », note-t-elle.

Lors de son court passage à l’émission l’an dernier, Khate Lessard, première candidate transsexuelle de l’histoire d’Occupation double, a elle aussi été choisie par le public.

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Khate Lessard

« Je comprends le sentiment de Julie, de se sentir un petit peu à part. Moi aussi, quand je suis arrivée à la maison, toutes les filles étaient sur le bord de la piscine, elles étaient toutes en petite shape et je pense que même si on est bien avec notre corps, on ressent pareil une petite pression quand on est entourés de personnes comme ça, dans la même pièce. Surtout à OD, on va s’entendre qu’il y a un peu des stéréotypes », confie Khate Lessard en entrevue avec La Presse.

Selon l’ex-candidate de la téléréalité, beaucoup d’hommes sont intéressés par des femmes rondes ou transsexuelles, mais ont encore peur de le montrer à la caméra. « Quand ils m’ont dit que j’étais choisie, je me suis automatiquement dit qu’ils allaient choisir des gars pour faire en sorte que j’aie une chance. Je me disais qu’ils n’allaient pas me mettre dans une cage d’animaux d’une autre race que moi. Mais au final, il y a des garçons de mon année OD qui, par la suite, hors de l’émission, m’ont montré leur intérêt. L’opinion des autres fait peur », explique Khate Lessard.

Pas mieux chez les gars

Au fil des années, il n’y a par ailleurs pas eu de diversité corporelle du côté des candidats masculins d’Occupation double. « Il faudrait plus de diversité et il faudrait inclure là-dedans des hommes, pas pour faire des matchs entre personnes grosses, mais pour avoir une diversité masculine aussi, précise Andrée-Ann Dufour. On doit aussi prendre conscience que les hommes sont de plus en plus soumis à ces standards-là et vivent plus d’insatisfaction corporelle. Les superhéros, les G.I. Joe… C’est ancré depuis la petite enfance. Il y a aussi du travail à faire là », ajoute la nutritionniste.

La production d’OD précise que très peu d’hommes se présentent aux auditions.

« Il y a 75 % de filles et 25 % de gars. Ce sont des gars très confiants [en eux] qui viennent nous voir. Il y a un certain tri naturel qui se fait dans la tête des gens : je n’ai pas la tête d’un gars qui va à OD, alors je ne me présente pas, lance Valérie Dalpé. Lors de nos deux dernières éditions, nous avons réussi le pari de recevoir beaucoup de candidats potentiels issus de la diversité culturelle, des Québécois de toutes les origines. Plus nous aurons de gens avec des physiques différents qui se présenteront en auditions, plus nous aurons de chance que cette diversité soit présente à l’écran. »

La productrice au contenu de l’émission rêve également de trouver la bonne formule pour créer une édition d’Occupation double avec plus de diversité sexuelle.

Dans sa lettre envoyée à La Presse, Julie Munger se questionne tout de même quant au message envoyé par la téléréalité : « Comment peux-tu forcer les gens normaux (et non stéréotypés) comme Frank Sauvé chasseur-cueilleur (nom fictif) à s’inscrire dans une émission où le contenant est plus important que le contenu ! », lance-t-elle.

« Si j’ai à quitter OD, je partirai la tête haute avec la fierté d’avoir pu ouvrir la porte aux futures candidates et candidats. C’est en continuant d’en parler et de montrer des modèles différents du moule standard qu’on pourra faire changer les choses. Feck, parlez-en ! », constate la candidate.