Rencontre virtuelle avec la sympathique grande gueule Patrick Huard qui présente ce lundi son premier talk-show, qui plus est en temps de pandémie

À 51 ans, Patrick Huard sera à la barre de son premier talk-show, La tour, qui commence le 28 septembre à TVA.

Il a raconté dans plusieurs entrevues qu’on le courtisait depuis des années pour ce genre de contrat de rêve quand on est une personnalité, mais qu’il avait toujours refusé. Ce qui m’étonne un peu, vu son expérience de la scène et du cinéma, mais surtout parce que Patrick Huard est une sympathique grande gueule, qui a une opinion sur tout. On peut le lancer sur n’importe quoi, il a toujours quelque chose à dire et aime les débats. Même que je lui demande s’il ne devra pas apprendre à se contrôler si les discussions deviennent enflammées à son émission, mais c’est justement un art de la conversation qu’il souhaite créer à La tour.

« J’adore m’obstiner, confirme-t-il. Je me fais l’avocat du diable des fois, quand je trouve que tout le monde est trop consensuel, et je vais jouer le chien dans un jeu de quilles. Mais ce que je veux, c’est de prouver au monde que c’est correct de s’obstiner, et que c’est possible d’avoir de la tendresse même si on n’est pas d’accord. On est capables de s’obstiner fort et de s’aimer fort en même temps. »

Des fois, je regarde ça aller, on dirait que tout est devenu Canadien-Nordiques. Ce serait le fun qu’on ne s’envoie pas promener à longueur de journée.

Patrick Huard

Patrick Huard relève le défi du talk-show dans un contexte bien particulier. Celui de la pandémie, bien sûr, qui complexifie les choses. Nous devions nous rencontrer dans les locaux de TVA, mais la deuxième vague en a décidé autrement, et il a demandé plutôt une entrevue par FaceTime. « On devait tourner un show demain qu’on ne fera pas finalement, je vais devoir le faire un peu sans filet, explique-t-il. On veut être collés sur l’actualité et les gens, et en même temps, l’actualité bouge à une vitesse ahurissante. Je sens depuis deux ou trois jours une espèce de retour d’éclipse médiatique de la COVID, la lune commence à se replacer devant le soleil, ce qui est tout à fait normal. En même temps, pour un show qui veut être collé sur l’actualité… c’est une bonne année ! » Il éclate d’un rire vaguement désespéré. « C’est tellement insécurisant », admet celui qui dit cependant aimer se mettre en danger.

L’autre défi pour l’animateur est d’arriver dans un environnement télévisuel où la compétition est féroce alors que la télévision devient presque une bouée de sauvetage quand on ne voit plus les gens en personne. Rien de plus casse-gueule que le talk-show, surtout quand on essaie de « faire différent » — Stéphane Rousseau n’a pas rencontré le succès avec le sien à V il y a deux ans.

Mais ça peut prendre du temps à se définir, ce type d’émission. Marc Labrèche nous a habitués à attendre quelques semaines avant de trouver son « x ». Nous sommes plusieurs à mal saisir le concept de La tour, qui mélangera le show de chaises et la sitcom, et je lui redemande de le détailler, puisqu’il a déjà tourné quelques pilotes.

« C’est carrément moi qui reçois des gens chez nous. Dans mon appart, qui est dans cette espèce de tour. Pourquoi la tour ? C’est juste que c’est un gros édifice où il y a beaucoup de monde qui vit, qui bouge. Nous aurons des réguliers qui seront là souvent – pas toujours les mêmes ensemble, on brasse la soupe — et aussi des invités qui sont au cœur de ce qu’on vit, dans une ambiance de conversation à bâtons rompus. Il y a aussi des scènes de sitcom, avec des personnages qui vont venir illustrer ce dont on parle ou qui vont interagir avec les invités. C’est vraiment une proposition différente, qui permet une autre structure. On a trouvé une façon de présenter les invités qui fait un peu Ocean Eleven, c’est vraiment cool. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Patrick Huard

La volonté est d’avoir cette espèce de vibe, un peu comme dans les sitcoms, où la porte ouvre et qu’il y a des chums qui arrivent et qui repartent.

Patrick Huard

Après avoir tourné trois pilotes, il avoue que « ça donne lieu à des pièges, mais aussi à des moments de magie totale. Les gens vont dire des choses qu’ils ne diraient pas dans un autre contexte. Le décor est véritablement fermé, le quatrième mur aussi, il n’y a pas un bout de l’appartement qui est ouvert sur un studio avec des gens qui sont sur leurs téléphones. Tu as vraiment l’impression d’être dans une bulle ».

Parler au monde

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis que Patrick Huard s’est fait connaître comme humoriste à l’émission Ad Lib de Jean-Pierre Coallier — « un maître », dit-il. « Quand tu penses qu’ils ont décidé d’arrêter Ad Lib parce que l’émission avait légèrement descendu en bas du million de spectateurs par soir, rappelle-t-il. Je pense que s’ils avaient une DeLorean, ils la prendraient pour retourner à ces cotes d’écoute en se disant que 980 000 par soir, ce serait ben correct ! »

Beaucoup d’animateurs et d’acteurs l’ont inspiré pour ce projet, dit-il, mais il ne balance qu’un nom qui lui vient en tête comme modèle d’interviewer : Marie-Louise Arsenault. « Je trouve qu’elle est vraiment forte. Elle a une façon d’élever toute la conversation, elle est préparée comme une machine, et en même temps, elle fait ça avec un naturel et une espèce de chaleur tout le temps. Elle est bon public, elle réagit bien, je la trouve vraiment hot. »

C’est l’humour qui a été la locomotive de sa carrière, ce qui l’a mené au cinéma et à la télévision, en devenant l’un des acteurs les plus appréciés du grand public. Il a joué dans les plus gros succès du box-office (Deux fois Bon Cop, Bad Cop, ses bébés, et Starbuck, dans lequel il faisait beaucoup de bébés).

Avec cet automne chargé, à l’image de son parcours sous une bonne étoile, qui selon lui semble tenir au fait qu’il n’a jamais eu de stratégie très claire quant à son avenir, il est aussi à l’affiche du film Mon cirque à moi de Myriam Bouchard. Il a touché à la production et à la réalisation, sa plus récente proposition étant l’adaptation québécoise de Brooklyn Nine-Nine (Escouade 99), qui a créé la polémique lorsque deux actrices blanches ont été choisies pour incarner des rôles qui étaient tenus à l’origine par des actrices latino-américaines. Il n’a pas trop envie de revenir là-dessus, puisqu’il s’est déjà expliqué sur ces critiques en prenant l’entière responsabilité de ses choix et du mécontentement que cela a suscité.

« Je te dirais simplement que je ne veux pas m’auto-scooper », lance-t-il. Il va donc en parler dans son talk-show ? La réponse est dans son sourire baveux en prenant une gorgée de café.

Je me souviens que l’une de ses premières expériences d’acteur dramatique a été en 1999 l’adaptation québécoise par Micheline Lanctôt de la pièce américaine Talk Radio d’Eric Bogosian, prophétique quand on y pense, dans laquelle il jouait un animateur de tribune téléphonique controversé et colérique. « Bogosian avait bien senti où ça s’en allait, note-t-il. C’est aussi une pièce sur l’indignation et la colère. La différence entre ce personnage et moi, c’est que la partie indignation, je l’ai tout le temps, mais je n’ai pas de colère envers l’être humain. Je fais partie de ceux qui pensent que l’être humain est capable des plus grandes choses. Je ne trouve pas le monde cave. Mon indignation est par rapport à des événements, pas pour l’ensemble de l’œuvre. Le personnage de Talk Radio, à la fin, il n’est plus capable du monde, le monde l’horripile, ce qui n’est pas du tout mon cas. »

Et c’est bien pourquoi il a envie de parler au monde, ce qu’il n’a pas cessé de faire depuis le début, au fond. Pour lui, il s’agit toujours de raconter une histoire, peu importe la fonction qu’il occupe. Et il comprend le privilège de s’adresser tous les jours à un public qui en a bien besoin ces temps-ci. « Moi, le gros avantage, c’est que je n’ai pas d’a priori. Je n’ai jamais fait ça, c’est complètement nouveau pour moi. Le gros désavantage, c’est que… je n’ai jamais fait ça ! Il y a juste moi qui est rookie dans mon équipe d’aguerris, à qui je fais totalement confiance. J’espère seulement que les gens vont nous donner le temps. »

La tour, dès le 28 septembre, 19 h 30, à TVA