En 2017, la tornade Valérie Danault et sa famille dysfonctionnelle débarquaient sur nos écrans. Le 30 mars, ICI Télé diffusera le dernier épisode de Lâcher prise, une série qui a parlé avec humour de sujets sérieux comme le burn-out, l’homoparentalité et la dépression. L’autrice de la série Isabelle Langlois nous a reçus chez elle, dans la région de Shefford, pour parler d’écriture… et de son légendaire sens de la répartie.

Ses débuts

« Quand j’ai terminé mes études en théâtre à Saint-Hyacinthe, mes amis et moi, on voulait travailler. On s’est écrit un show de variétés qu’on a joué dans le Vieux-Port de Montréal pendant tout un été [Denis Dubois, actuel vice-président des contenus originaux à TVA, faisait partie de ce groupe]. J’étais la seule qui voulait écrire, alors j’ai écrit le show. Plus tard, un collègue et sa blonde m’ont demandé s’ils pouvaient reprendre le spectacle pour partir en tournée. Ils ont ramené les six personnages à deux et de Fripouilles, le spectacle est devenu Fripe et Pouille. Un des deux acteurs, André Desjardins, m’a dit : “essaie de faire un show de télé avec ça et mon chum producteur va essayer de le vendre”. C’est comme ça que ça a commencé.

« Pendant un moment, je travaillais dans une firme de relations publiques tout en écrivant des textes pour la télé. J’ai quitté mon emploi. Fripe et Pouille a duré trois ans. Ensuite, j’ai travaillé sur d’autres émissions pour les jeunes. Radio Enfer et Ramdam, ce sont mes concepts. J’ai écrit pour Watatatow aussi. Si on regarde le générique des shows jeunesse de cette époque, on risque de voir mon nom. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le bureau d’Isabelle Langlois est rempli de plantes et de fleurs et devant sa fenêtre, un lilas fleurit au printemps. Un cadre enchanteur dans la région de Shefford.

Rumeurs

« Le producteur Jocelyn Deschênes m’avait demandé d’écrire pour Le monde de Charlotte, le show de Richard Blaimert. Ça ne marchait pas, mon affaire, nos écritures “clashaient” tellement, je n’arrivais pas à trouver son ton. Alors il m’a dit : “Toi, as-tu un projet ?” Et j’ai répondu : “Ben oui, j’ai un projet…” La vérité, c’est que je n’avais rien, mais la nécessité étant un grand moteur d’invention… Est-ce que je peux te dire que j’ai créé un show dans les 48 heures ? C’est comme ça qu’est né Rumeurs. Ça se passait dans un magazine parce que j’aimais beaucoup les magazines… et parce qu’il y a sûrement une journaliste frustrée en moi. Pour le reste, c’était surtout une comédie sur laquelle j’ai saupoudré quelques poussières de réalité du monde du magazine. »

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Quand Isabelle Langlois bloque sur un dialogue ou un scène, elle noircit des cahiers à la main pour trouver l’inspiration.

Des textes qui bougent

« On écrit pour l’œil, alors mes textes sont toujours très bougés, très mis en scène. Dans mes textes, je “didascale” pas mal [les didascalies sont des indications de jeu écrites en marge d’un scénario], j’aime que les textes soient habités. Je les découpe, je mets des intentions. Dans Rumeurs, le personnage de Benoît Dumais [interprété par James Hyndman] jouait au squash parce que mon chum, Claude, jouait au squash. Ça me permettait de situer les personnages dans l’action. C’est la même chose pour Lâcher prise : un personnage jase en faisant à manger, un autre en pliant du linge. Je mets beaucoup de notes et je me dis que les acteurs prendront ce qu’ils veulent. Moi, je l’écris, c’est pas plus cher [rires]. J’aime quand c’est texturé, quand il y a des détails qui ajoutent à la scène. En comédie, le nerf de la guerre, c’est comment on va le raconter. Je cherche toujours la manière, la couleur. »

Le sens de la répartie

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Quand j’écris, j’ai le sens de la répartie, reconnaît Isabelle Langlois. Mais dans la vie de tous les jours, si je suis en conflit, la bonne ligne peut me venir trois jours plus pard. »

« Écrire des bonnes répliques, c’est comme avoir l’oreille musicale. Ça peut se travailler, mais je pense que tu l’as ou tu ne l’as pas. J’ai le sens de la répartie et les dialogues me viennent facilement, mais après, ils sont très travaillés, polis. Écrire un bon dialogue, c’est le contraire du naturel. Dans la vie de tous les jours, on dit un tas de choses sans importance, banales. Je fais un choix dans ce qui est dit, je fais un ménage, je vais chercher l’essentiel. Je choisis de cadrer le moment là où les choses se passent.

« Ensuite, il faut les lire à haute voix. Quand j’écris des dialogues, je parle toute seule, je relis mes textes plusieurs dizaines de fois.

« Un autre test important, c’est quand la distribution arrive. On remarque souvent dans les séries que vers l’épisode 8 ou 9, les affaires se placent. C’est parce qu’on a commencé à entendre nos textes joués par des acteurs. Eux aussi créent le personnage avec toi, ils apportent quelque chose de plus. […] Quand tu écris une série, tu commences à être sur ton X à la deuxième saison, car tu as vu ce qui fonctionnait ou pas, et là, tu peux faire du sur mesure. »

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Sur cette photo qui orne un des murs du bureau d’isabelle Langlois, et qui n’est pas sans rappeler les images de la série L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, on peut voir la mère de l’autrice, à l’extrême gauche.

Femmes fortes

« Ma mère, qui est décédée aujourd’hui, venait d’une famille de huit filles. Des femmes au verbe haut. C’était Mère courage, ma mère, une femme avec un tempérament en acier trempé. Elle est née aux Îles-de-la-Madeleine, elle s’est donné elle-même une éducation, elle lisait des textes compliqués. C’était une femme avec beaucoup de caractère qui avait la langue bien pendue et qui avait un franc-parler. 

« Mes personnages féminins sont affirmés, elles vivent de facto l’égalité ou, du moins, elles la cherchent. Michèle Lauzon [interprétée par Véronique Le Flaguais] dans Rumeurs était inspirée en partie par ma mère. Madeleine, qui porte le nom de ma sœur, est aussi une femme avec une forte personnalité. J’aime beaucoup écrire la relation mère-fille entre Madeleine et Valérie, leurs échanges. Les lignes et la posture de Madeleine sont intéressantes du fait qu’elle a autant de failles. J’ai également beaucoup aimé écrire le personnage de Christine Beaulieu, la femme blessée et fâchée, ainsi que ses deux filles ados que je trouve tordantes. J’ai un beau casting, je suis bien servie. »

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Isabelle Langlois surnomme Lou, son Goldendoodle de 3 ans, sa muse.

La routine d’écriture

« Je me lève ridiculement tôt, à 4 h 30… Je mange, je promène le chien, je lis mes courriels. […] Je peux écrire très longtemps, huit heures en ligne si j’ai des idées. J’arrête quand ça arrête. Si je cherche et je ne trouve pas, vers 15 h, je vais arrêter ça ; c’est de l’acharnement thérapeutique. J’écris vite, mais je réfléchis lentement.

Trouver des idées, c’est le nerf de la guerre. Après, c’est juste de l’huile de bras.

Isabelle Langlois

« Pour moi, l’objectif, c’est de livrer un texte. Si je suis bloquée, je vais marcher. Ou je noircis des cahiers pour me garder concentrée. J’écris à la main autour d’une idée, d’un dialogue, d’une intro ou d’une extro, jusqu’à ce qu’une idée me vienne. Si je ne fais pas ça, je vais vouloir aller faire du ménage, faire de la soupe ou aller jardiner. On va se le dire, c’est plate, une vie d’auteur… [rires] Quand je suis en écriture, j’écris pas mal tous les jours, même le week-end.

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Quand elle travaille sur un projet, Isabelle Langlois écrit tous les jours, même le week-end.

« Quand j’écris sur des sujets précis comme le burn-out ou l’homoparentalité, j’embauche une recherchiste qui débroussaille le terrain, répond à des questions bien précises que je lui pose et me suggère des gens que je devrais rencontrer pour discuter d’un thème précis. Je lis la recherche une fois, puis je la consulte avec plus d’attention lorsque j’écris un épisode qui se réfère à un sujet précis. Présentement, je travaille à mon prochain projet — que je n’ai pas encore proposé à un diffuseur — et je suis justement à l’étape de la recherche.

« Chaque année, j’essaie de faire une retraite d’écriture d’une semaine et, depuis quelques années, je le fais avec des copines qui écrivent elles aussi. La dernière, je l’ai faite en février avec Marie Vien et Joanne Arseneau. On est dans un beau cadre, on travaille toute la journée, on se voit à midi, on parle de notre travail, de nos blocages, on retourne travailler, on se revoit pour le souper. C’est une semaine très intensive où tu ne fais que ça. C’est très stimulant. Ça crée une certaine solidarité. Au Québec, on n’a pas l’expérience des writers’ room comme aux États-Unis, ces salles de scénaristes qui travaillent tous sur la même série.

« Je suis allée au Austin Film Festival en octobre. J’étais avec une amie scénariste et je crois qu’on était les seules à porter une série sur nos épaules. Les gens nous demandaient : “Vous n’avez pas de writers’ room ?” On répondait : “Ben non, I am the writers’ room…” C’est un autre monde. Ils sont tous diplômés de Harvard. Je lisais une entrevue l’autre jour : la première femme noire qui est entrée sur l’équipe de la série Veep a vu son premier gag à l’écran — et je ne parle pas de son premier texte ou de son premier sketch, je parle bien de son premier gag — après deux ans dans le writers’ room. C’est un autre univers. Au Québec, notre travail est très solitaire. »

Les deux ultimes épisodes de Lâcher prise sont diffusés ce lundi et le suivant, à 19 h 30, à ICI Radio-Canada Télé.