Plus qu'une semaine avant le tant attendu début de la fin. La huitième et ultime saison de la série télévisée la plus populaire de la dernière décennie commence le 14 avril. Véritable phénomène, Game of Thrones a révolutionné le petit écran. Voici pourquoi.

Les chiffres ne mentent pas. Les cotes d'écoute de plusieurs millions de téléspectateurs par épisode, la pléiade de récompenses et les innombrables critiques enthousiastes sont des indicateurs manifestes de la force retentissante avec laquelle la série HBO Game of Thrones a secoué son industrie. On s'attend déjà à ce que la dernière saison fracasse une tonne de records. 

À l'ère où la série télé est souveraine, pourquoi ce récit de conflits interminables, où se côtoient despotes assoiffés de pouvoir, hécatombes à répétition, dragons et créatures venues anéantir l'humanité, s'est-il distingué ?

D'emblée, tout était en place pour que Game of Thrones réalise le coup de maître qui lui vaut son succès. Les séries, comme format, n'ont jamais été aussi populaires. « Certains parlent d'une sorte d'âge d'or de la télévision [...], il y a un engouement pour le format télévisuel qui s'est bâti [au cours des dernières années] », analyse Antonio Dominguez Leiva, auteur, professeur spécialisé en histoire culturelle et cofondateur du magazine Pop-en-stock. Si des séries comme The Sopranos ont un peu mis la table au tournant du siècle, « Game of Thrones, c'est le pinacle, le couronnement de ce phénomène », croit-il.

En outre, peu importe le support, « la fantaisie est en train de connaître son heure de gloire ». Une adaptation de la série (toujours incomplète) de romans de George R. R. Martin tombait à pic, juste après que l'appétit du public eut éclos dans les années 90.

« Alors que pendant très longtemps, la science-fiction et la fantaisie étaient des niches, souvent minorisées et considérées comme quelque chose qui ne pouvait intéresser qu'un nombre limité de spectateurs, ces genres sont devenus hégémoniques. »

-  Antonio Dominguez Leiva, professeur en études littéraires à l'UQAM 

À grand déploiement

Game of Thrones a ainsi fait en quelque sorte ce qui se faisait déjà, mais la série a pris des moyens formidables pour devancer, et de loin, la concurrence sur la planète téléséries.

D'abord, en déployant les ressources adéquates pour transposer des univers fantastiques au petit écran. 

« Le budget est important, parce que c'est ce qui va permettre à une série d'avoir de la gueule ou de ne pas en avoir », confirme Yan Lanouette Turgeon, réalisateur de la 4e saison des Pays d'en haut, la série québécoise au budget le plus élevé actuellement (environ 800 000 $ par épisode).

Il observe que la somme accordée à la création d'une série « permet d'avoir un contenant qui se démarque des autres quand vient le temps de mettre une histoire en images », mais influe aussi sur « toutes sortes de choses » dans la création, comme le temps consacré au tournage.

Par exemple, Game of Thrones a pu se permettre, pour une seule scène de bataille dans la saison à venir, de filmer pendant 55 nuits. « Pour Les pays d'en haut, on avait cinq jours de tournage par épisode ! », raconte Yan Lanouette Turgeon.

Si les coûts de production s'élèvent pour chaque saison à plusieurs dizaines de millions de dollars, c'est qu'ils traduisent les efforts mis en oeuvre pour créer un univers complet, fort d'un réalisme vibrant. 

Les lieux de tournage fabuleux, la création de décors épiques, les procédés de prises de vue, le tout enrobé d'effets spéciaux révolutionnaires pour la télévision : rien n'a été laissé au hasard.

« C'est une fiction qui a un grand souci du détail, ce qui est essentiel, car on peut minimalement accorder un crédit à ce qu'on voit, sans quoi beaucoup de personnes décrochent tout de suite », estime Antonio Dominguez Leiva.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des dizaines de figurants lors d'un tournage en Espagne, en 2014.

Un matériel de base de qualité

On l'aura compris, le succès découle en bonne partie des moyens déployés. Mais tout l'argent du monde ne fera pas une série réussie si le scénario n'est pas bon.

« Le matériel de départ de la série, les romans [de George R. R. Martin], avait déjà suscité un engouement important dans la communauté des amateurs de fantaisie littéraire. La critique avait salué le côté exceptionnel de l'oeuvre », soulève Antonio Dominguez Leiva.

L'auteur a toujours dit s'être inspiré en grande partie de la saga populaire Les rois maudits, du Français Maurice Druon. De là, « il a réussi à concilier le monde des conflits dynastiques d'un Moyen Âge tardif [que l'on retrouve dans l'univers de Druon] avec l'épique et le merveilleux de [J.R.R.] Tolkien [auteur du Seigneur des anneaux]. »

Cette « transgression », au sein d'un genre souvent « accusé de suivre de façon routinière des formules éculées », a été applaudie, mais a surtout donné un canevas de choix aux scénaristes de la série télévisée, David Benioff et D. B. Weiss en tête.

« La cohérence très forte dans l'oeuvre de Martin est rendue visuellement par tous les efforts de production. Il y a aussi le talent de maniement du dialogue de Martin. C'est son principal talent [et] ça se transmet très bien dans un format audiovisuel. »

-  Antonio Dominguez Leiva, professeur en études littéraires à l'UQAM 

Et lorsque, pour la septième saison, il a fallu faire sans les romans pour écrire le scénario de la série - la saga littéraire n'a pas encore de fin -, les créateurs n'ont pas failli à la tâche.

Amateurs fidèles

« Ce qui renforce aussi l'univers, c'est qu'il repose sur des personnages qui sont extrêmement bien travaillés », ajoute M. Dominguez Leiva. 

Et derrière ces protagonistes, des acteurs maintes fois applaudis pour leurs prestations, comme le prouvent les dizaines de citations pour différents prix. Peter Dinklage, le plus nommé (46) et le plus récompensé (8), a jusqu'à présent remporté trois prix Emmy pour son interprétation de Tyrion Lannister. Au total, huit membres de la distribution ont été nommés pour ces prix qui couronnent l'excellence des programmes télédiffusés.

Et surtout, derrière ces personnages et cet univers, on trouve une communauté d'admirateurs dévoués. « Il y a un matériau très riche pour cela, relève Mélanie Millette, professeure au département de communications sociales et publiques de l'UQAM. Le grand déploiement, la grande complexité dans l'histoire et l'esthétique sont propices à susciter un fort enthousiasme des fans. »

Au bout du compte, c'est la popularité de la série qui fait son prestige. Ils étaient plus de 16 millions à regarder le premier épisode de l'avant-dernière saison. Le 14 avril, ils seront assurément très nombreux encore une fois au rendez-vous afin de découvrir qui s'assoira finalement sur le mystique Trône de fer.

La série de tous les records

En sept saisons...

47 prix Emmy remportés (sur 132 citations)

16,1 millions téléspectateurs, sur les plateformes HBO, du premier épisode de la saison 7. Le nombre moyen de téléspectateurs pour les épisodes de la 6e saison s'élevait à 7,6 millions

1 milliard : chiffre d'affaires approximatif de la série en 2017, produits dérivés inclus. Le budget de l'ultime saison s'élève à 90 millions, soit 15 millions par épisode

Insolite

300 fillettes prénommées Arya en Angleterre et au pays de Galles en 2017

Environ 174 000 morts à l'écran depuis le début de la série.

PHOTO FOURNIE PAR HBO

Grand déploiement et effets spéciaux à profusion : une scène de guerre de la sixième saison.