Tous les 31 décembre, les trois quarts des Québécois s'installent devant leur téléviseur pour regarder le Bye bye. Aussi unique qu'inexplicable, ce phénomène se répète depuis 50 ans. L'occasion est belle de plonger dans l'histoire fabuleuse de cette grande tradition et de vous livrer quelques-uns de ses secrets.

Archiviste à Radio-Canada, Stéphane Gourde est un passionné des Bye bye. À la moindre question sur le sujet, le recherchiste des Enfants de la télé dégaine noms et dates.

« Personne ne sait vraiment d'où vient cette tradition, dit-il. Elle est sans doute un mélange de divers concepts, notamment américains. Il faut rappeler que, dès 1953, Radio-Canada présentait la descente de la fameuse boule lumineuse de Times Square. »

Chose certaine, c'est après la présentation de plusieurs revues humoristiques avec les équipes du Beu qui rit et d'Au P'tit café (voir chronologie) que le premier Bye bye voit le jour en 1968. Il met en vedette Marthe Fleurant, Françoise Lemieux, Claude Landré et Donald Lautrec. S'inspirant des faits saillants de l'année, il est question des apparitions de la Sainte Vierge à Saint-Bruno, de l'émeute de la Saint-Jean-Baptiste et de la Trudeaumanie.

Les premiers Bye bye sont préenregistrés sur vidéo devant un faux public. « Les enregistrements avaient lieu aux CR1, un studio qui était situé dans la Cité du Havre et qui avait été créé pour Expo 67, explique Stéphane Gourde. Le public était composé de membres de l'Union des artistes, engagés pour rire. D'ailleurs, on reconnaît certains comédiens qui ont fait carrière par la suite. »

De nos jours, rien ne filtre au sujet du contenu du Bye bye. Ce ne fut pas toujours le cas. « Au début, on réalisait des promos à partir d'extraits du Bye bye et elles étaient diffusées avant le 31 décembre, dit Stéphane Gourde. Aujourd'hui, quand les concepteurs expriment des besoins aux différents services de Radio-Canada, ils sont très avares de détails. Impossible de savoir à quoi l'accessoire va servir. »

BYE BYE SE PRÉSENTE EN DIRECT

L'auteur Jean-Pierre Plante est débarqué dans l'univers des Bye bye grâce au « père » de cette institution, Jean Bissonnette. « Il m'a demandé de travailler sur celui de 1976. On sortait de la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO). Disons qu'on a eu du plaisir. »

En 1989, Jean-Pierre Plante a coécrit les textes du Bye bye avec Michel Rivard. Un soir, après une réunion, les deux auteurs sont allés prendre une bière. « On s'est dit que le prochain Bye bye devrait être live. C'est ce qui s'est passé l'année suivante. »

Stéphane Laporte a scénarisé la plupart des Bye bye diffusés en direct, soit ceux de 1993, 1994 et 1995 (celui de 1996 a été présenté en direct du Saguenay, mais les sketches avaient été préenregistrés). Bref, la fébrilité, il a connu ça. « Je me souviens d'un moment où Dominique Michel, déguisée en Sonia Benezra, attendait de monter sur scène. On s'est tenus par la main. Le Bye bye te fait vivre ce genre de moment fort. »

UN TRAVAIL TITANESQUE

Script-éditeur sur les Bye bye de 2016, de 2018 et de celui qui sera présenté le 31 décembre prochain, André Ducharme connaît bien le stress et la fébrilité vécus par l'équipe du Bye bye. « Pour nous, le travail commence en août. Un recherchiste rassemble des thèmes et des sujets durant toute l'année. On regarde ça et on fait des choix. La majorité du contenu d'un Bye bye est puisée dans les derniers mois de l'année pour faire appel à la mémoire du public. »

Une bonne idée sur papier peut toutefois ne pas se rendre au bout de la chaîne. Il faut alors sacrifier des concepts. « Normalement, un Bye bye est constitué d'une trentaine de sketches, dit André Ducharme. Pour se rendre à cela, il faut en écrire environ 80. »

Jean-Pierre Plante a scénarisé ou coscénarisé six Bye bye. Il reconnaît que l'expérience est aussi exaltante qu'épuisante. « C'est très dur. On travaillait extrêmement fort. Tout le monde a sa vision du Bye bye. Il faut composer avec ça. »

Avec 11 Bye bye en tant que comédien et auteur, l'ex-Cynique André Dubois est l'un des recordmen des 50 dernières années. « L'étape la plus difficile pour un auteur, selon moi, est celle de la première lecture avec les comédiens. Les textes ne sont pas encore au point, les comédiens n'embarquent pas encore totalement... Après deux ou trois semaines de lectures, je me servais du visage des acteurs pour décider si le sketch passait ou pas. »

Une fois la période d'enregistrement lancée, l'imposante équipe s'en remet à un calendrier bien rempli. « Faire le Bye bye, c'est comme faire un film, dit Guy A. Lepage. Tu as un horaire précis et chargé. Chaque journée est programmée. »

Aujourd'hui, plusieurs médias publient des revues de fin d'année sous différentes formes. C'est sans compter le spectacle Revue et corrigé que le Théâtre du Rideau Vert présente depuis plusieurs années. « Quelqu'un de l'équipe va voir le spectacle et on ajuste en fonction de ce qu'ils font », explique André Ducharme.

Même si la formule du Bye bye a évolué, André Dubois pense que le travail est sensiblement le même. « On met beaucoup d'efforts sur les effets spéciaux, mais pour le reste, la commande reste la même : divertir quatre millions de personnes en résumant l'année. »

BONJOUR LA CENSURE

Radio-Canada possède les enregistrements de tous les Bye bye. « Nous avons même les textes des sketches qui n'ont pas été diffusés », ajoute Stéphane Gourde. L'un de ces sketches avait été imaginé par André Dubois pour la fournée de 1972. Il avait pour titre Les beaux-frères et avait été inspiré par la célèbre pièce de Michel Tremblay Les belles-soeurs.

« Je regardais le Bye bye avec des amis et ils me disaient que c'était bon, se remémore André Dubois. Je leur disais d'attendre, que le meilleur était à venir. Puis, le générique est apparu... J'ai réalisé qu'on avait coupé mon sketch sans me le dire. On n'a pas voulu m'indiquer pourquoi il avait été censuré. J'ai su par la suite qu'on craignait la réaction du commanditaire Molson. Il faut dire que je dépeignais des hommes qui avaient de la misère dans la vie. »

Jean-Pierre Plante se souvient que la direction de Radio-Canada était frileuse pour un sujet en particulier : celui de la religion. « On était pointilleux. On regardait plus les textes. »

LA TERRIBLE ÉPREUVE DE LA CRITIQUE

Les années où le Bye bye marche moins bien sont des moments éprouvants pour les concepteurs. « Celui de 1980 n'était pas fort, admet Jean-Pierre Plante. On avait le moral à plat. Tu sais, quand ta propre mère te dit qu'il n'était pas très bon... »

Bon ! Moins bon que l'année précédente ! Pas assez politique ! Trop jeune ! Tout le monde a son point de vue sur le Bye bye au lendemain de sa diffusion. C'est même devenu un sport national de critiquer l'émission. Et les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène.

Et puis, il y a les chroniqueurs de télévision qui attendent au détour l'équipe de création. Le 3 janvier (ou même avant), leur verdict tombe tel un couperet. « Louise Cousineau a descendu tous les Bye bye que j'ai faits, se souvient Jean-Pierre Plante. Et quand j'ai cessé d'en faire, elle a écrit qu'ils étaient les meilleurs. Faut prendre ça avec un grain de sel. »

Pour éviter la pression liée à la réaction du public et de la presse, André Ducharme a trouvé un truc infaillible : l'évasion. « Je pars en voyage le lendemain, avoue-t-il. Je lis les critiques, mais comme je suis loin, on dirait que ça me touche moins. Cela dit, tu as beau fuir, tu ne peux échapper à tout. Je me souviens d'un 2 janvier où, au zoo de San Diego, j'ai entendu : "Monsieur Ducharme, c'était ben bon, votre Bye Bye !" »

UNE FORMULE SANS CESSE RENOUVELÉE

Au fil des décennies, le ton du Bye bye a été mille fois revu et corrigé. Selon le style et les goûts des équipes de conception, on a souhaité réinventer la manière de raconter l'année. Il y a eu des essais ratés, des coups d'audace et des retours en arrière.

Les noms des réalisateurs Richard Martin, Jean Bissonnette, Pierre Desjardins, Jean-Jacques Sheitoyan, Jacques Payette, Claude Maher et, plus récemment, Alain Chicoine sont indissociables du Bye bye. Les équipes constituées autour d'eux ont été soumises au jugement impitoyable du public.

Parmi les coups d'audace, il y a eu l'embauche des membres de RBO pour les rétrospectives de 2006 et de 2007. « Dominique Chaloult nous a téléphoné pour nous demander de faire le Bye bye, se souvient Guy A. Lepage. Nous étions à Las Vegas avec nos blondes. On est allés dans une chambre d'hôtel et, au bout de 15 minutes, on est ressortis avec la décision de le faire. »

RBO avait en poche l'expérience de La grande liquidation des Fêtes présentée à la fin des années 80 à TQS, puis à TVA. « Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas travaillé ensemble et, en quelques heures, on a retrouvé ce grand plaisir, dit Guy A. Lepage. Ça s'est fait dans la joie, il n'y avait pas de stress. »

La diffusion du Bye bye de 2006 a évité de près la catastrophe. « Durant la journée, quelqu'un de l'équipe a remarqué que l'émission souffrait d'un décalage. Une intervention de dernière minute a évité qu'elle soit présentée de manière désynchronisée. Ç'aurait été un désastre. »

Certains Bye bye ont eu plus de mal que d'autres à séduire le public. Celui de 1975, qui avait comme point central le personnage de Sol, n'a pas été facile à faire passer auprès du public.

Pour d'autres raisons, celui de 2008 (voir autre texte) créé par Louis Morissette et Véronique Cloutier a sans doute suscité la plus grande controverse de l'histoire de la célèbre émission. Le côté caustique de certains gags a soulevé l'ire d'une partie du public. Les excellentes émissions produites par la même équipe par la suite ont démontré qu'elle était capable de faire mouche.

Il y a aussi des exemples de Bye bye qui ont connu la reconnaissance a posteriori. C'est le cas de Bonne année Roger, créé en 1981 par Claude Meunier et Louis Saïa. « On a mieux reçu le côté absurde de cette revue quelques années plus tard », pense Stéphane Gourde. En effet, plusieurs gags de cette émission prennent aujourd'hui la forme d'un culte auprès d'un certain public.

PARTY DE FAMILLE GIGANTESQUE

Comment expliquer qu'au moment de célébrer l'arrivée de la nouvelle année, la majorité des Québécois (une moyenne de 4,5 millions) s'agglutine devant la télévision pour faire un geste commun ? Cette séance d'exorcisme collectif ne cesse de fasciner d'autres sociétés.

« Des producteurs français sont venus nous voir dans le but d'importer le concept, raconte Stéphane Laporte. Mais bon, ce n'est pas si facile que ça. Nous, ça fait 50 ans qu'on fait ça, qu'on a cette relation avec cette tradition. »

Guy A. Lepage a du mal à expliquer ce phénomène. « Chaque peuple a ses traditions. Pour moi, c'est sacré. Chez nous, comme dans chaque famille, il y a toujours une matante qui parle trop fort pendant l'émission et à qui on dit de se taire. Ça aussi, ça fait partie de la tradition ! »

Pendant 90 minutes, le peuple québécois vit un moment de catharsis cathodique. Pendant ce moment fatidique où chacun devient un peu vulnérable, un peu fragile, ce geste rassembleur agit comme un baume.

« Le Bye bye est un gigantesque party de famille, dit Stéphane Laporte. Le regarder nous rappelle que nous faisons partie d'un ensemble. »



NAISSANCE DU BYE BYE

1952

Arrivée de la télévision au Canada. Aucune émission ne souligne la fin de l'année.

1953

Radio-Canada diffuse la descente de la boule lumineuse à Times Square.

1956

Présentation de Salut 57, une revue humoristique avec l'équipe du Beu qui rit avec Denise Filiatrault, Paul Berval, Mariette Duval, Jacques Lorrain et d'autres.

1957

Présentation du P'tit café avec Dominique Michel, Denise Filiatrault, Pierre Thériault, Normand Hudon et d'autres.

1958

Grève des réalisateurs qui empêche la diffusion d'une émission de fin d'année.

1959, 1960, 1961

Présentation du P'tit café.

1962

Présentation de Zéro de conduite avec Paul Berval, Olivier Guimond, Denis Drouin et d'autres.

NAISSANCE DU BYE BYE

1952

Arrivée de la télévision au Canada. Aucune émission ne souligne la fin de l'année.

1953

Radio-Canada diffuse la descente de la boule lumineuse à Times Square.

1956

Présentation de Salut 57, une revue humoristique avec l'équipe du Beu qui rit avec Denise Filiatrault, Paul Berval, Mariette Duval, Jacques Lorrain et d'autres.

1957

Présentation du P'tit café avec Dominique Michel, Denise Filiatrault, Pierre Thériault, Normand Hudon et d'autres.

1958

Grève des réalisateurs qui empêche la diffusion d'une émission de fin d'année.

1959, 1960, 1961

Présentation du P'tit café.

1962

Présentation de Zéro de conduite avec Paul Berval, Olivier Guimond, Denis Drouin et d'autres.

1963, 1964, 1965

Présentation de Ça va éclater avec Dominique Michel, Denise Filiatrault, Jacques Desrosiers et Donald Lautrec.

1967

Présentation d'une édition spéciale des Couche-tard avec Jacques Normand et Roger Baulu

1968

Présentation de Bye bye 68 avec Françoise Lemieux, Marthe Fleurant, Donald Lautrec et Claude Landré

Sources : archives de Radio-Canada