Une des créatrices de l'identité visuelle de The Handmaid's Tale, l'une des séries de l'heure, est une Montréalaise pure laine. La Presse a rencontré Elisabeth Williams afin de discuter de sa profession de conceptrice visuelle et des univers qu'elle a contribué à concevoir pour la deuxième saison.

Le parcours atypique d'Elisabeth Williams

Rien ne prédestinait Elisabeth Williams à se retrouver sur les plus grands plateaux de tournage américains. Originaire de Montréal, elle y a poursuivi des études en sciences politiques, avant de faire une maîtrise en théorie de l'éducation. Or, lors de sa maîtrise, elle a décroché un emploi à temps partiel chez Cinar Films, puis s'est retrouvée à travailler sur un plateau de tournage comme coordonnatrice de production. «C'est à partir de là que ma vie a bifurqué. J'ai adoré mon expérience. J'ai quand même fini mon mémoire de maîtrise pendant que je travaillais sur le plateau, mais je n'ai jamais arrêté. J'ai forgé mon propre chemin car, évidemment, je n'avais pas la formation.»

Un goût pour les décors

Dès son premier projet, Elisabeth Williams a une vision claire de ce qui l'intéresse: les décors. «J'ai adoré tout ce qui touchait aux décors, à la direction artistique, et c'est cela que je voulais faire.» Elle «apprend sur le tas», retourne à l'école en design intérieur, suit des cours le soir en dessin et gravit les échelons en travaillant comme coordonnatrice, assistante, décoratrice de plateau, notamment sur des films comme Polytechnique, Les grands départs et Mars et Avril et sur des séries télévisées comme Les hauts et les bas de Sophie Paquin et Ces gars-là... «Le décorateur de plateau va sélectionner les objets, sous la direction artistique. Mais j'avais de plus en plus envie de contrôler entièrement l'image, ce qu'on voyait à l'écran.»

Une des «têtes créatrices»

Après avoir travaillé comme décoratrice sur quelques films, Mme Williams occupe des postes d'assistante à la direction artistique. Un jour, un producteur lui donne sa première chance comme conceptrice visuelle - un poste communément appelé «production designer» en anglais. Son rôle? « Il y a une "triade", les têtes créatrices des projets: le réalisateur, qui s'occupe du jeu des acteurs et de la construction de l'histoire, le directeur photo, responsable de la lumière et des plans de caméra, puis le concepteur visuel, qui s'occupe de tout ce qui est visuel et soutient l'histoire: le mobilier et l'immobilier dans lesquels jouent les acteurs, les couleurs et leurs combinaisons... L'histoire visuelle, finalement», détaille-t-elle.

Le concepteur visuel a sous son aile plusieurs services : construction, peinture, décoration, accessoires, graphisme, dessinateur, même les effets spéciaux «mécaniques» comme la neige et la pluie.

L'entrée dans les ligues majeures

En 2014, Elisabeth Williams a déjà plus de 15 ans d'expérience sur les plateaux, mais il n'est pas toujours facile, dans le marché montréalais, de passer de petits projets de quelques millions aux grandes productions. Une porte s'ouvre toutefois à elle - un mélange, croit-elle, de «chance, de contacts et de travail» qui l'amène à occuper le poste de directrice artistique sur le plateau de la deuxième saison de la série Fargo, en Alberta. «Ç'a évidemment été capital dans mon cheminement. M'expatrier m'a aidée à entrer dans les ligues majeures», résume-t-elle. 

Alors que la saison s'achève, le concepteur visuel - qui est son patron - quitte le projet et Mme Williams boucle la saison par elle-même en démontrant ses aptitudes. Lorsque le téléphone sonne, quelques mois plus tard, pour la troisième saison de Fargo, elle est pourtant convaincue qu'on lui offrira son poste précédent ; on lui propose plutôt d'agir en tant que conceptrice visuelle. «J'étais renversée!», se souvient-elle.

De Fargo à Handmaid's Tale

C'est grâce au producteur délégué de Fargo, Warren Littlefield, qui agit aussi à ce titre sur The Handmaid's Tale, que la Montréalaise devient conceptrice visuelle pour la deuxième saison de la populaire série dystopique. «La première saison a développé la base de l'esthétique et la réalisatrice, Reed Morano, est vraiment la visionnaire derrière cela», explique Mme Williams.

Pour la deuxième saison, sa plus grande tâche a été de créer de nouveaux univers et décors, tout en gardant une «continuité visuelle» avec ceux qui existaient déjà. «Nous avons eu la chance, cette saison, d'avoir plusieurs nouveaux mondes à explorer, comme les colonies et le "Little America", à Toronto.»

Une aventure qui se poursuivra bientôt, car Elisabeth Williams agira à nouveau à titre de conceptrice visuelle pour la troisième saison, dont le tournage débute à la fin de l'été. Et non, elle ne sait encore rien de l'histoire, sauf ceci: «Il y a encore tout un nouveau monde qui va s'ouvrir... Donc encore plus de possibilités pour moi!»

Le visuel de la deuxième saison sous la loupe

Elisabeth Williams a accepté de décrire son travail sur six aspects-clés de l'identité visuelle de The Handmaid's Tale 2. Attention: ce reportage peut contenir des divulgâcheurs!

Les colonies

Évoquées mais jamais montrées dans la première saison, les colonies «sont l'endroit où les femmes qui sont rejetées vont travailler, jusqu'à leur mort». Pour s'inspirer, Williams et son équipe ont fait beaucoup de recherche sur les goulags - camps de travail forcé en Union soviétique -, l'esclavage, les fermes pénales. «Ces recherches nous ont amenées vers des images vraiment glauques, mais on ne voulait pas nécessairement aller dans cette direction. On voulait une image plutôt bucolique, mettre ces femmes dans un environnement "presque" beau, avec des couleurs ocre, bleu pâle. Cela permet d'obtenir un contraste avec l'action dure qui s'y déroule, ce qui vient créer un malaise.»

Le Fenway Park

La deuxième saison s'ouvre sur une scène forte et terrible, campée dans le Fenway Park, iconique stade de baseball de Boston. La scène a été tournée à Hamilton, en Ontario. Plusieurs techniques ont été utilisées pour que le téléspectateur s'y méprenne. «Nous avons fait du repérage au Fenway Park et y avons envoyé l'équipe des effets visuels qui a filmé l'endroit. Puis, nous avons trouvé à Hamilton un terrain de baseball de la bonne grandeur, où nous avons construit les échafauds, puis travaillé la pelouse pour qu'elle ait l'air abandonnée. Nous avons tourné de nuit à Hamilton; il faisait très froid. Ensuite, les deux images ont été superposées afin de créer l'impression qu'on est au Fenway Park», détaille Mme Williams.

Gilead

La première saison a surtout montré les rues résidentielles et les maisons bourgeoises de la République de Gilead - anciennement Boston. Dans la deuxième saison, cet univers s'ouvre davantage. «Évidemment, quand on pense à Boston, on pense à la vieille ville, aux édifices en briques rouges, ce qui gardait l'émission dans un environnement presque d'époque. Il était donc important pour nous, dans nos choix d'emplacements, d'inclure des édifices plus contemporains, pour amener l'histoire dans l'ère moderne et rappeler au téléspectateur que l'action se passe à notre époque.»

Image fournie par Elisabeth Williams

Les colonies

Little America

La saison actuelle nous permet de suivre l'histoire parallèle de ceux qui ont réussi à passer la frontière au nord et vivent désormais à «Little America», à Toronto. «Comme nous avions inclus des édifices plus modernes du côté de Gilead, un des défis était que le spectateur arrive à différencier Boston de Toronto, deux villes qui se ressemblent.» Pour y arriver, l'équipe a tenté d'amener un peu plus de lumière dans le monde de Toronto, en contraste avec l'univers sobre et austère de Gilead. «Dans Gilead, il n'y a pas de livres, d'écriture, de signalisation avec des mots, puisque les femmes n'ont pas le droit de lire. Donc, lorsqu'on est à Toronto, on en a ajouté pour bien marquer la différence.»

Le Boston Globe

Au début de la saison, June passe quelques semaines cachée dans les locaux abandonnés du Boston Globe. Un tournage qui a été réalisé au Hamilton Spectator, journal local de Hamilton. «Nous avons pu tourner dans leur ancienne salle de presse et avoir accès à une partie de leurs bureaux qui ont été vidés», explique Mme Williams. Avec de la documentation et des photos du Boston Globe, elle a pu créer un environnement assez «juste», juge-t-elle. La deuxième partie de son travail a été d'imaginer «à quoi peut ressembler un environnement qui a été abandonné depuis deux ans, avec de petits détails comme un soulier ou une tasse de café qui, dans l'absence soudaine d'humains, rappellent des traces de vie».

L'avant/après

Tout comme la première saison, la deuxième saison retourne dans le passé, les souvenirs des personnages - pas seulement ceux de June, mais aussi ceux d'Ofglen/Emily, désormais prisonnière dans une colonie. Pour distinguer l'avant de l'après, la lumière joue un grand rôle. «Le Boston d'avant est lumineux, plein de couleurs; dans l'appartement de la mère de June, c'est le bordel, il y a des papiers qui traînent, pour illustrer ces gens qui vivent sans souci du lendemain.» Ces images offrent un contraste intéressant, souligne Mme Williams, avec les «econo houses», où vit la classe ouvrière de Gilead et qu'on visite, le temps d'un épisode. «Dans ce monde, tout est régimenté, un peu comme dans 1984 ; tout est à sa place, chacun a son rôle, et rien ne retrousse.»

Image fournie par Elisabeth Williams

Little America