Un téléroman réussit ces jours- ci un petit miracle à Radio-Canada. District 31, une quotidienne mettant en vedette Magalie Lépine-Blondeau et Vincent-Guillaume Otis, récolte régulièrement un million de téléspectateurs en direct. À une époque où l'on parle si souvent du fractionnement de l'auditoire et de la montée de l'écoute en ligne, quelle est la recette de son succès ? Nous sommes allés rencontrer ses artisans lors d'un tournage.

Au maquillage

Il est 6h, heure à laquelle les plus lève-tôt d'entre nous se réveillent. Or, l'équipe de District 31 est arrivée en studio depuis déjà 30 minutes. Alors qu'ils peaufinent maquillage et coiffure, les deux acteurs principaux, Magalie Lépine-Blondeau et Vincent-Guillaume Otis, pratiquent «à l'italienne» les lignes de leur première scène de la journée, tournée moins de 30 minutes plus tard.

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C'est au sous-sol de la Maison de Radio-Canada, à Montréal, que sont enregistrées la majorité des scènes intérieures pendant les 150 jours de tournage de la première saison de District 31. Les journées sont longues pour l'équipe, qui travaille du lundi au vendredi de 6h à environ 17h. La coiffeuse en chef voit tous les acteurs passer sur ses chaises. Elle est témoin de leur humeur, de leurs hésitations, de leurs pratiques. «Ce sont vraiment des pros», sougline-t-elle.

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Pour faire de la place à District 31 dans son horaire, une occasion «incroyable» qui demande beaucoup de temps à Vincent-Guillaume Otis (également père de jeunes enfants), sa conjointe et lui ont décidé de faire appel à une «nounou», afin de maximiser le temps de qualité qu'ils passent avec ses enfants. Le soir, une fois la routine familiale terminée, il doit se replonger dans la peau de son personnage et répéter ses textes pour les scènes tournées le lendemain.

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Le comédien Michel Charette est un habitué des quotidiennes. Celui qui a joué un rôle principal dans la dernière production de Fabienne Larouche, 30 vies, considère que le succès de ce genre d'émission passe par le bonheur de l'équipe. «Il faut que tout le monde soit heureux et content d'être là, parce que nos tournages vont vite. Quand on est tous à la bonne position, ça fonctionne super bien», a-t-il dit, quelques minutes avant de tourner sa première scène.

Photo Alain Roberge, La Presse

Vincent Guillaume Otis et Magalie Lépine-Blondeau.

Photo Alain Roberge, La Presse

Un plateau agité

Il est 6h35. La première assistante à la réalisation, Sylvie Perron, active ses troupes. Avec sa voix énergique qui perce les minces faux murs du décor, les caméramans, preneurs de son et autres membres de l'équipe technique s'activent dans la petite pièce où se déroule la scène. Le degré de concentration de ce grand orchestre, qui joue miraculeusement à l'unisson malgré la cacophonie ambiante, est très élevé. Entre deux prises, Perron prend malgré tout quelques secondes pour jaser avec un caméraman. «Comment va ta fille? C'était sa fête, hier?»

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La réalisatrice Danièle Méthot, qui partage son siège avec Jean-Claude Lord et Simon Barrette, prépare la première scène du jour. Une première prise non filmée sera d'abord réalisée. Ce sera la seule, car les scènes sont généralement filmées deux fois. La cadence de la production empêche qu'on s'y attarde beaucoup plus longtemps. Fabienne Larouche, qui produit l'émission, explique qu'elle dépense 112 000 $ par épisode, alors que le montant dont disposent les mégaproductions américaines (et leur temps de tournage par épisode) est sensiblement plus élevé.

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En raison d'une importante rotation dans l'équipe de réalisation, les deux acteurs principaux prennent sur leurs épaules la responsabilité de se rappeler où leurs personnages se situent dans l'évolution narrative de l'émission, qui n'est pas tournée de façon chronologique. «On prend sur nous d'être les gardiens de nos personnages», résume Magalie Lépine-Blondeau.

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Entre deux scènes, de nouveaux personnages s'activent sur le plateau. Les comédiennes Hélène Bourgeois Leclerc et Pascale Montpetit répètent leurs textes, après quelques accrochages. Rapidement, elles enchaînent les répliques et ne semblent pas distraites par la trentaine de techniciens qui bougent autour d'elles. Entre deux prises, un membre de l'équipe marque le sol avec du ruban, afin de leur indiquer où se replacer.

Photo Alain Roberge, La Presse

Photo Alain Roberge, La Presse

Le tandem Larouche-Dionne

Fabienne Larouche, productrice et auteure qui a signé par le passé Virginie et 30 vies, les deux téléromans qui ont précédé District 31 dans cette même case horaire, se rend rarement sur les plateaux. À la tête d'Aetios, sa boîte de production, elle se décrit comme un «show runner». «Pour attirer un million de téléspectateurs, y'en a pas de miracles. Sur ce show-là, il n'y a d'abord pas d'ego. On travaille tous ensemble. [...] Ce qui est difficile, c'est partir un projet. Il faut trouver un rythme. Chaque série a son rythme, chaque case horaire aussi», indique-t-elle.

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L'auteur de District 31, Luc Dionne, connaît bien le milieu policier. Parfois, il doit tourner les coins ronds afin que l'histoire maintienne sa tension dramatique. «Je ne vais pas commencer à montrer le temps que ça prend pour obtenir un mandat. C'est plate», résume-t-il. Dans la série, l'équipe de production fait appel à des figurants, mais aussi à de réels agents des forces de l'ordre.

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Luc Dionne écrit tous les jours les prochains épisodes de District 31 depuis sa maison à Saint-Sauveur, dans les Laurentides. L'auteur se défend d'être devenu un moine, alors qu'il doit pondre beaucoup d'épisodes en peu de temps. «Il y a une mauvaise conception du travail que l'on fait. C'est intense, mais je ne suis pas dans une salle de traumatologie. Contrairement à un médecin ou à une infirmière qui doit faire du temps supplémentaire, je peux m'ouvrir une bouteille de rouge en tout temps», explique-t-il.

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Dans son sous-sol, Luc Dionne écoute différents types de musique en fonction des scènes et des ambiances qu'il doit écrire. On pourrait s'imaginer que l'auteur d'une série policière a devant lui un grand tableau avec l'ensemble de ses intrigues, mais non. Tout est numérisé, et l'instinct prend souvent le dessus sur la planification à long terme. «Faire des plans, c'est plus rapide, mais il faut se rappeler qu'on ne fait pas un concours de vitesse», dit-il.

Photo Alain Roberge, La Presse

Photo Alain Roberge, La Presse

L'importance de l'équipe technique

Pour arriver à tourner autant d'heures en si peu de temps, l'équipe technique d'Aetios (la compagnie de production de Fabienne Larouche et Michel Trudeau) doit composer avec des horaires chargés et doit réaliser certaines prouesses, comme ici sur un fauteuil roulant, pour tourner une scène en mouvement.

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District 31 fait régulièrement appel à des acteurs de soutien pour compléter ses intrigues. Souvent, ceux-ci sont issus du théâtre, mais connaissent bien les rouages d'un tournage dans un studio de télévision. Avant sa prise, où elle va rencontrer Nadine Legrand (Magalie Lépine-Blondeau) dans son bureau, l'actrice invitée du jour pratique ses répliques avec la réalisatrice et une personne dont le rôle sur le plateau est de s'assurer que le texte soit respecté.

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Plusieurs personnes de l'équipe technique ont également travaillé sur le plateau de 30 vies, en nomination cette année aux International Emmy Awards. Afin que le poste de police du district 31 soit réaliste, ces derniers se sont prêtés au jeu et ont accepté d'être photographiés afin de jouer les personnages des personnes recherchées.

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L'équipe technique de District 31 a de longues journées de travail, mais elle est traitée aux petits oignons par Claud Fortin, la cantinière du plateau. Plusieurs fois par jour, cette diplômée de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec, dont le rêve est de travailler pour Ricardo un jour, leur prépare des plats et des collations, comme ici, une crème de betteraves jaunes avec sa garniture de pain brioché, lardons et yogourt au paprika fumé et au miel. Bon appétit !

Photo Alain Roberge, La Presse

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