Il semble avoir la touche magique. Ses projets télévisuels - de Tout le monde en parle à Ces gars-là en passant par Un souper presque parfait - sont des succès populaires et il coproduit le Bye bye pour la première fois cette année. Certains disent qu'il est le producteur le plus hot en ville. Pourtant, dans les couloirs de Radio-Canada, il passe inaperçu. Qui est donc ce producteur et quel regard pose-t-il sur la télé d'ici?

SES ORIGINES

Un milieu qui n'a pas de secrets pour lui


Dire que Guillaume Lespérance a un horaire chargé est un euphémisme. Quand on le rencontre, on se surprend à se demander s'il prend le temps de cligner des yeux, tellement sa carrière de jeune producteur de 38 ans roule à plein régime. Et pourtant, ce n'est pas derrière la caméra - où on le sent si à l'aise - que tout a commencé.

André Ducharme, avec qui le producteur travaille sur Tout le monde en parle et Un souper presque parfait, se rappelle qu'à l'âge de 8 ans, le jeune Guillaume Lespérance a joué dans un sketch de Rock et Belles Oreilles. «Il existe une photo où on le voit faire un enfant de choeur», affirme l'humoriste et animateur.

Guillaume Lespérance a été marqué très jeune par la télévision. Son père, le producteur Jean-Claude L'Espérance (qui a fondé Les Productions Avanti Ciné Vidéo avec Jean Bissonnette en 1989), a coproduit la mythique émission Un gars, une fille, diffusée à Radio-Canada de 1997 à 2004.

Guy A. Lepage se souvient parfaitement du jeune Guillaume, qui sortait à peine de l'adolescence, en train de travailler d'arrache-pied sur le plateau de l'émission. «Je le connais depuis qu'il a 15 ans. Sur la production d'Un gars, une fille, il a joué tous les rôles.»

«Aujourd'hui, il comprend parfaitement son travail. Il est exigeant envers lui-même et envers les autres. C'est la raison pour laquelle tout le monde aime travailler avec lui.»

Un producteur indépendant

Si son père a marqué le milieu télévisuel au Québec, c'est par lui-même que Guillaume Lespérance a fait sa place, disent ses proches collaborateurs, en ne faisant d'abord pas carrière au sein de la société que le patriarche avait bâtie.

«J'aime l'écoeurer en lui disant qu'il fait une carrière sur le dos de son père, mais, dans les faits, c'est tout le contraire. Il a commencé au bas de l'échelle et a tout fait par lui-même. Les gens lui font confiance parce que c'est lui. Mais ça, je ne le lui dirais jamais en pleine face», raconte en rigolant son ami et acolyte Simon-Olivier Fecteau, avec qui il a travaillé sur Ces gars-là et En audition avec Simon, en plus de bâtir ces jours-ci la prochaine mouture du Bye bye.

S'il a acquis ses lettres de noblesse - «c'est le producteur indépendant le plus hot en télévision présentement», affirme Guy A. Lepage -, Guillaume Lespérance continue de participer à tous les aspects des projets qu'il dirige.

«Encore aujourd'hui, c'est moi qui approuve tous mes montages. Les gens sont surpris quand je leur dis ça, mais c'est ma signature. Quand je dis à quelqu'un "je m'en occupe", j'offre un clés en main. Je ne veux pas déléguer mes problèmes», nous explique-t-il en entrevue dans son petit bureau du septième étage de la Maison de Radio-Canada.

SES PROJETS

Un horaire de ministre

Au cours de l'automne, le cahier de charges de Guillaume Lespérance pourrait difficilement être plus rempli. Il coproduit le prochain Bye bye, poursuit les aventures de Tout le monde en parle pour la 13e saison ainsi que celles d'Un souper presque parfait, produit Deuxième chance - une nouvelle émission animée par Patrick Lagacé et Marina Orsini -, en plus d'entamer le tournage de son premier film, TA3 (pour «trip à trois»), une comédie sexuelle réalisée par Nicolas Monette et écrite par Benoit Pelletier, mettant en vedette Martin Matte et Mélissa Désormeaux-Poulin.

«Nous voulons faire un film qui est drôle et intelligent, mais c'est une fois rendu en salle qu'on saura si ce qu'on fait fonctionne ou non», affirme Guillaume Lespérance, alors qu'il nous guide dans les sous-sols de Radio-Canada pour visiter le local où les auteurs du Bye bye tiennent des réunions, les lundis après-midi.

Arrivé dans un couloir aux allures de bunker, Lespérance pousse une porte qui mène à un petit local anonyme, sans fenêtre, entouré de murs étanches - impossible d'entendre les discussions de l'extérieur. Au centre se trouvent une table, quelques chaises et des bouteilles d'eau. C'est ici que se prennent les décisions les plus importantes entourant le Bye bye, une production qui attire en moyenne près de 4 millions de téléspectateurs.

«Nous sommes huit personnes autour de la table. Tout le monde pitche des idées, puis on écrit. [...] Guillaume, c'est un producteur dont les idées artistiques comptent. C'est un gars qui est sensible au contenu», indique Simon-Olivier Fecteau.

À la barre d'un «show» millionnaire à 25 ans

Quand Tout le monde en parle a remplacé Les beaux dimanches, il y a 13 ans, Guillaume Lespérance n'avait que 25 ans. Malgré son très jeune âge, c'est vers lui que Guy A. Lepage s'est tourné pour assurer la production de son nouveau talk-show.

Au départ chargé de s'assurer que la mécanique de l'émission fonctionne dans les coulisses comme à l'écran, le producteur a eu l'initiative de s'impliquer dans le contenu au fil du temps.

«Si on avait su dès le départ que l'émission allait attirer plus d'un million de téléspectateurs, peut-être qu'on ne m'aurait pas confié ce rôle», explique le producteur, qui se rappelle comment Guy A. Lepage l'a convaincu de se lancer dans le projet en lui disant qu'ils iraient d'abord rendre visite à Thierry Ardisson à Paris, histoire de mieux comprendre le fonctionnement d'un tel plateau.

«La force de Guillaume, c'est son jugement», résume André Ducharme, qui est aussi la petite voix dans l'oreillette de Guy A. Lepage lors des enregistrements de Tout le monde en parle, le jeudi.

«Normalement, le producteur aurait dû être quelqu'un dans la quarantaine, avec une certaine expérience. Il faut prendre des décisions très importantes [pour cette émission]. Mais Guillaume s'est imposé rapidement, ce qui n'est pas facile en travaillant avec Guy et moi, qui avons des têtes de cochon. Il a une maturité vraiment hallucinante», explique-t-il.

De l'aurore au coucher du soleil

À la fin de notre entrevue, à Radio-Canada, Guillaume Lespérance a déjà reçu plus d'une vingtaine de nouveaux courriels. S'il prend des pauses, ses nombreux projets, eux, ne s'arrêtent jamais. Pourtant, il visite régulièrement ses équipes en déplacement, se levant vers 6 h tous les matins.

Quelques jours après notre première entrevue, Lespérance part visiter son équipe d'Un souper presque parfait, qui passe une semaine à Sherbrooke. Sur la route, il nous explique comment sa famille - qu'il compose avec Annie, une avocate qu'il a rencontrée quand il étudiait au cégep, et leurs deux garçons, âgés de 4 et 7 ans - est au centre de son quotidien. La vie jet set que pourraient facilement lui procurer ses nombreux projets ne l'intéresse nullement.

«C'est un point que je partage avec lui. Nous sommes tous les deux très proches de notre famille. Le samedi matin, ne le cherche pas, il est toujours avec ses enfants», explique André Ducharme.

«J'ai des rendez-vous auxquels je ne déroge pas, affirme Guillaume Lespérance. Une fois par semaine, je fais de quoi avec ma blonde. Puis la natation [avec les enfants], c'est obligatoire. Je suis présent pour eux.»

«Être présent»: voilà une de ses principales préoccupations, tant pour sa famille que pour les centaines de caméramans, techniciens, assistants et réalisateurs qu'il emploie chaque année. Lors de notre arrivée sur le plateau d'Un souper presque parfait, les six membres de son équipe ne semblaient pas stressés que le patron soit présent.

«Même s'il est exigeant, c'est un gars hyper drôle et attachant. Il devient rapidement le patron et l'ami de tous. Mais ça reste le patron. Il n'a aucun problème à annoncer de mauvaises nouvelles», explique son ami et collègue Guy A. Lepage.

L'AVENIR

Quel avenir pour la télé?

Après avoir produit En audition avec Simon, premier grand succès de la plateforme de diffusion web de Radio-Canada, Tou.tv, Guillaume Lespérance a été vu comme une référence en production de contenu numérique. Pourtant, le jeune producteur ne croit pas qu'un modèle d'affaires a fait ses preuves sur l'internet.

«Je n'ai pas produit d'autres séries web parce qu'il n'y a pas de modèle d'affaires. Un jour, je crois, tout va converger. Un écran, que ce soit un ordinateur, un portable ou une télévision, ce sera un écran. On parlera tout simplement de contenu», affirme Lespérance.

Plus tôt ce mois-ci, le ministre de la Culture, Luc Fortin, a terminé une ronde de consultations publiques dans le cadre du renouvellement de la politique culturelle du Québec. À ce sujet, Guillaume Lespérance se sent interpellé.

S'il admet avoir généré des succès au cours de la dernière décennie, alors que le milieu de la télévision était marqué par des coupes, il croit que les fournisseurs internet devraient être obligés de prélever pour chaque abonnement une somme qui serait versée dans un fonds indépendant destiné à la production de contenu télévisuel et numérique. C'est un modèle qui a fait les beaux jours du Fonds de production des câblodistributeurs.

«Aujourd'hui, on consomme des séries partout dans le monde grâce à l'internet. Si on veut un certain protectionnisme, c'est là que ça se passe», dit-il.

Pour une télé inclusive

Guillaume Lespérance évolue au même rythme que la télévision. Quand il produit ses émissions, ses réflexions sont ancrées dans les débats qui font vibrer la cité. Au coeur de celles-ci: la place qu'occupent les femmes et les communautés culturelles.

«Je travaille principalement avec des équipes de femmes. Sur mes projets, j'ai plus de réalisatrices que de réalisateurs. Puis, par rapport à la diversité, j'ai produit une fiction qui s'appelle Ces gars-là, dont un des protagonistes est d'origine indienne. On me l'a reproché. On m'a aussi souvent demandé pourquoi ça parlait français et anglais dans l'émission.»

«Ce que j'ai mis à l'écran [dans Ces gars-là], c'est ma réalité. C'est mon Montréal et j'en suis fier.»

Ces dernières années, observe-t-il, il y a eu une «cassure» au Québec concernant la place qu'occupent les communautés immigrantes. «On avait une super inclusion et, depuis, on a accepté un racisme de fond que je ne voyais pas avant», analyse-t-il.

«Pour moi, être québécois en 2016, c'est se trouver dans un party où les gens parlent plusieurs langues. [...] J'ai grandi avec des gens qui n'ont jamais connu rien d'autre que ma ruelle sur Drolet, mais à qui on dit: "Tu ne peux pas comprendre, parce que tu n'es pas vraiment québécois." Il y a quelque chose d'absolument dégoûtant dans ce discours-là», poursuit le producteur.

Alors que des revues de fin d'année ont fait la manchette en faisant tenir des rôles de Noirs par des Blancs au visage maquillé (une pratique désignée par certains par le nom de «blackface»), La Presse a demandé à Guillaume Lespérance où il se positionnait sur cette question.

«Je ne te répondrai pas, car je vais répondre en produisant le Bye bye. Quand je l'aurai fait, les gens me jugeront sur ce qui aura été rendu», répond-il.

C'est un rendez-vous le 31 décembre au soir.