À 46 ans, Éric Salvail est l'homme le plus occupé de la télévision: animateur, concepteur, producteur et, pour la première fois de sa très fructueuse carrière, il avait l'insigne honneur dimanche soir de coanimer avec Véronique Cloutier le gala des Gémeaux, la grande fête de la télévision québécoise.

Mine de rien, Éric Salvail vient de rentrer de plain-pied dans la royauté radio-canadienne. Ce moment, il l'attendait depuis exactement 24 ans: il l'attendait, en rêvait, l'implorait.

En 1991, seulement quelques mois après avoir obtenu son bac en communications à l'UQAM, Éric Salvail a été embauché au service du courrier à Radio-Canada. «Embauché» est un bien grand mot puisqu'il s'agissait d'un contrat de trois misérables semaines. L'accepter, c'était perdre la job très payante qu'il avait depuis trois ans chez Tioxide, à Sorel, un fabricant de pigments de peinture au bioxyde de titane.

Sa mère Colette l'a traité de fou. Elle ne comprenait pas qu'il quitte Sorel et prenne le risque de perdre un bon revenu pour une aventure de trois semaines. Mais une fenêtre miraculeuse venait de s'ouvrir devant son fils et celui-ci n'avait aucune intention de laisser passer l'opportunité qu'elle lui offrait.

«Je me suis loué un meublé au mois au coin de Louis-Hébert et de Bellechasse, et j'ai pris le contrat. Tous les midis pendant les trois semaines, je suis allé manger mon lunch avec le public des Démons du midi. J'étais au paradis.»

Au paradis peut-être, mais toujours à l'affût d'une occasion, qui n'a pas tardé à s'offrir. Le costumier des Démons cherchait un assistant pour plier les bas et ranger les costumes. Éric Salvail a levé la main et son contrat au courrier a été remplacé par un autre aux costumes.

Un jour qu'il pliait des bas, une jeune animatrice du nom de Julie Snyder est entrée dans son local. Sans la connaître ni rien savoir d'elle, Salvail, l'homme le plus persuasif de la ville, a convaincu la démone de l'engager comme animateur de foule sur le plateau de L'enfer, c'est nous autres.

Cette année-là, Éric Salvail a fait rire les foules sur le plateau de L'enfer, tout en pliant des bas. Le reste appartient à l'Histoire.

Image publique

Nous voilà presque 20 ans plus tard, dans l'édifice où loge le Festival de jazz de Montréal. Les productions d'Éric Salvail y occupent presque deux étages au complet, ce qui n'est pas rien. Salvail y enregistre ses deux quotidiennes, En mode Salvail pour V et Éric et les fantastiques, son émission de radio pour Énergie, un jumelage géographique judicieux qui lui évite des heures perdues dans les bouchons et les cônes orange.

Il me reçoit dans sa loge au troisième, vêtu d'un de ses sempiternels complets trop courts et trop serrés. Je ne remarque rien de particulier dans cette loge un peu vide, sauf le garde-robe, où chemises et complets sont alignés comme les soldats d'une armée, mais c'est normal.

Éric Salvail occupe tout l'espace, envahit chaque interstice de la conversation et remplit tous les silences. Il est ici, dans sa loge, comme il est à la télé: un enfant dans un magasin de bonbons, fonçant à vive allure entre les allées, émerveillé, allumé, au septième ciel, toujours prêt à imaginer une nouvelle folie pour étonner ou faire rire, un paquet de nerfs, hyperactif speedé, qui parle toujours trop fort, qui en fait toujours trop.

Mais ça, c'est pour la galerie, pour son image publique qui est tellement forte, qu'on n'imagine pas qu'il puisse y avoir un autre Éric Salvail. Mais il y en a bel et bien un ou plusieurs: d'abord, un homme d'affaires avisé et un producteur frénétique qui produit, cette année seulement, une demi-douzaine d'émissions de télé (En mode Salvail, Les recettes pompettes, Ce soir tout est permis, Lip Sync Battle), un passionné d'immobilier qui possède un immense penthouse de 2 millions de dollars à L'Île-des-Soeurs, une grande maison moderne qu'il s'est fait construire dans les Cantons-de-l'Est, un condo en Floride qu'il est en train de rénover, sans oublier l'immeuble de six appartements qu'il a dû acheter un jour de grand désoeuvrement.

Accro au travail

Il y a aussi le Éric Salvail privé qui est en couple depuis huit ans, mène une vie rangée, s'entraîne, mange bio et n'est accro qu'à une seule chose: le travail. Et finalement, il y a l'entrepreneur qui emploie une trentaine de personnes à plein temps et qui, en période de pointe, fait travailler une centaine de pigistes. Et celui-ci n'est pas né d'hier.

«Avant d'aller travailler pour la garde côtière, mon père a longtemps tenu un dépanneur et c'est là que j'ai développé mon goût du monde, mais aussi mon côté entrepreneur. Pendant sept ou huit ans, quand j'étais animateur de foule sur les plateaux de télé, j'avais ma propre agence de booking. C'est moi qui bookais le monde. Madame LeMoyne, vous venez toujours ce soir? Je les appelais, je les rappelais. Pas question qu'ils annulent.»

Je me souviens avoir rencontré Salvail en 1996 alors qu'il était animateur de foule pour l'émission Les amuse-gueule, animée par Jean-Pierre Coallier au Casino de Montréal. Il avait 27 ans à l'époque, une grande gueule, un sens de l'humour souvent vulgaire et un style déjà explosif et flamboyant. Jamais n'aurais-je deviné à cette époque qu'il irait aussi loin.

«J'avais un plan de match et beaucoup d'ambition, mais j'y allais par étapes. Je rêvais de devenir animateur comme mes idoles Michel Jasmin, Pierre Marcotte et Réal Giguère, mais je savais que ça serait difficile. Quand je parle à des étudiants, la première chose que je leur dis: «Si vous pensez que vous allez passer d'étudiant à animateur, vous n'avez rien compris.» C'est pourquoi au début, après plusieurs années comme animateur de foule où j'ai appris de tout le monde [de Julie Snyder, de Marc Labrèche, de Claude Meunier, de Sonia Benezra...], tout ce que je visais, c'était un poste de chroniqueur dans une émission.»

L'émission en question, c'est Bla bla bla, animée par Danielle Ouimet qui ne connaissait pas Éric Salvail et qui n'était pas nécessairement intéressée à l'engager. Pour la convaincre de son talent, Salvail enregistre un démo et le glisse dans la boîte aux lettres de l'animatrice. Le stratagème marche, mais Salvail admet qu'au début, il a eu de la difficulté à se défaire de son rôle d'animateur de foule. Le temps et ses expériences d'animateur avec maman Dion, puis à Occupation double, dont il était le concepteur, se sont chargés de l'aider à évoluer.

Téléphage

D'aussi loin qu'il se souvienne, Éric Salvail a toujours été fasciné par la télévision. Sa famille était perpétuellement branchée sur Télé-Métropole. Et ses souvenirs sont, pour la plupart, télévisuels.

«Ma vie, c'était la télévision et c'est encore le cas aujourd'hui. J'ai mangé de la télévision et j'en mange encore. J'ai en tête un paquet de références pas rapport comme le thème musical de Lafourchette d'or. C'est la même chose pour Véro. On connaît les mêmes affaires. On a la même passion.»

Au téléphone, Véro confirme les dires de son coanimateur.

«C'est pour ça que j'avais envie de travailler avec lui. C'est vrai qu'on a la même passion pour la télévision. Et puis toutes les fois où on s'est croisés sur les plateaux, on a toujours eu un plaisir fou ensemble. Je suis une fan de ses émissions. Je regarde En mode Salvail tous les soirs. Il a trouvé sa niche et il l'a vraiment bien exploitée. Le grand public adore Éric, mais le milieu aussi l'aime. En quittant l'empire Québecor pour aller à V, il a fait preuve de cran. C'était un gros pari qu'il a fait et il a gagné, non seulement le pari, mais le respect du milieu.»

L'enfant qui rêvait de faire de la télévision a réalisé son rêve et dépassé ses propres attentes. Que lui reste-t-il à accomplir?

«Un paquet d'affaires, s'exclame Salvail. J'ai un show de fiction en développement, un show de variétés aussi, et après toutes ces années, j'ai encore le même émerveillement pour le métier. Cela dit, si ça devait s'arrêter demain matin parce que les gens sont tannés de ma face, j'irai faire autre chose, de l'immobilier peut-être, peu importe, je trouverai bien.»

Que le monde immobilier ne s'inquiète pas. Ce n'est pas demain la veille qu'Éric Salvail va renoncer à la télévision et à son magasin de bonbons.