L'animateur et comédien Christian Bégin a participé hier à Paris à l'enregistrement de quatre émissions de 200 millions de critiques, magazine culturel qui «revient sur l'actualité culturelle francophone à travers les regards croisés de journalistes belges, suisses, canadiens, québécois et français», et qui sera diffusé ultérieurement à l'antenne de TV5.

Quand j'ai vu que tu avais été choisi pour représenter le Québec à l'émission 200 millions de critiques, je me suis dit: «Tiens, il vole ma job!»

Je ne suis pas critique!

Chroniqueur culturel alors...

C'est une émission de fin de soirée animée par Guillaume Durand avec des panélistes qui représentent différents pays francophones et qui s'expriment sur des sujets choisis au préalable dans la perspective du pays qu'ils représentent. Mon mandat est d'apporter ma couleur. Je n'ai pas l'impression que je vole ta job! Ce n'est pas de la critique. On ne pose pas un jugement sur un spectacle; on discute de phénomènes culturels. Comme j'exerce ce métier depuis 30 ans, que je fais à la fois du théâtre, du cinéma, de la télé, de l'animation, de la scénarisation, je me dis que si on m'a demandé d'y aller, il doit y avoir de bonnes raisons!

Tu sais pourquoi je te parle de ça. On te parle encore souvent de cette lettre dans laquelle tu reprochais aux humoristes de prendre toute la place médiatique?

Toujours. Et ça fait 10 ans!

Es-tu surpris qu'on t'en parle toujours?

J'ai eu l'occasion d'y réfléchir beaucoup. Et bien sûr, rétrospectivement, je ne dirais pas les choses de la même façon. Je pense que ce débat-là a bifurqué sur une bataille que je ne voulais pas ouvrir. Je n'en ai pas contre la multidisciplinarité. J'en suis moi-même une preuve incarnée. Je suis auteur, comédien, metteur en scène. J'anime une émission de cuisine...

C'est ce paradoxe-là qui m'intéresse...

Ce n'est pas ça pour moi le problème. Ce que je voulais mettre en lumière, c'est la «starisation» instantanée. Ce n'est pas la même chose pour moi. Quand j'ai commencé à animer Curieux Bégin, plusieurs ont dit: «Regardez-le, il se prend pour un animateur!» J'ai commencé dans le métier en animant une émission jeunesse qui s'appelait Télé-Pirate. Le premier Gémeaux que j'ai gagné, c'était comme animateur. J'ai fait mes classes. Ce que je questionne, encore aujourd'hui, c'est la mercantilisation des choses. On attribue une valeur marchande à un individu avant même de considérer son talent. Ça, pour moi, c'est un problème de société, qui ne se vit pas seulement dans le milieu des artistes. L'ITHQ se ramasse avec des candidatures de gens qui veulent devenir chefs non pas parce qu'ils aiment la cuisine, mais parce qu'ils veulent être des stars! J'ai vécu la même chose quand j'étais prof à l'École nationale de l'humour. Mon erreur a été de nommer quelqu'un et de cristalliser le débat. On ne devrait pas critiquer le métier d'un confrère, si ce n'est pas notre métier de critiquer.

C'est mon métier, et je trouvais comme toi à l'époque que Stéphane Rousseau avait été «correct, sans plus» dans Les invasions barbares. Plusieurs acteurs auraient été meilleurs que lui.

Peut-être. Mais peut-on questionner la marchandisation de tout ça? C'est ce que je demande. Parce que ça m'emmerde profondément.

On embauche les artistes parce qu'ils sont connus. La notoriété devient une qualité plus importante que bien d'autres, au cinéma notamment. Alors que le fait d'avoir une tête d'affiche ne garantit en rien un succès.

Je me suis fait taxer de prétentieux à l'époque. Il y a eu une page Facebook «Haïssons Curieux Bégin». On me souhaitait de me faire écraser sur mon scooter de fif. C'était haineux. Ici, quand on prend la parole et qu'on n'a pas un point de vue consensuel, il y a des gens qui n'aiment pas ça. Je suis un être sanguin, je le reconnais, et parfois je m'emporte trop. J'ai payé pour ça. Maintenant, j'ai plus d'outils pour me contrôler.

 Je me souviens d'une lettre très «sanguine» que tu m'avais écrite après que j'ai critiqué Trauma très durement, en me moquant des dialogues de Fabienne Larouche...

C'est vrai. Je m'en souviens très bien. Je te reprochais de décider pour nous si on aimait ça ou pas. Tu peux dire que tu n'aimes pas ça, mais ne présume pas qu'on n'aime pas ça nous non plus.

J'avais écrit que les acteurs devaient se forcer de ne pas rire en livrant certaines répliques. Je le pensais sincèrement. Le prix à payer, ça t'incite à moins prendre la parole?

Depuis l'épisode de la lettre et de Tout le monde en parle, on me contacte régulièrement pour des prises de position. Je n'ai pas une opinion sur tout. Je ne veux pas devenir le porte-étendard de toutes les controverses. Je mesure l'impact que ça peut avoir. Prendre la parole publiquement a une autre incidence que si on se parle juste toi et moi. Je demeure un citoyen engagé et surtout préoccupé. Tout ce qui se passe avec le projet de pipeline de TransCanada dans le Bas-Saint-Laurent me touche personnellement [il habite la région de Kamouraska]. Je choisis mes combats.

À l'époque de la crise étudiante, tu avais aussi appelé au boycottage de La Presse...

Absolument. À ce moment-là, ça correspondait à ma colère. Je trouvais qu'il y avait dans le traitement de l'information un parti pris qui me semblait évident. Pas nécessairement dans les chroniques, mais dans ce qui était présenté en première page. Souvent, les gens ne s'attardent qu'aux gros titres. Dans mon indignation, dans ma rage, dans ma solidarité, j'ai appelé au boycott de La Presse. J'ai un fils qui a été très impliqué dans la grève étudiante, qui en a souffert, qui a vécu ça comme une gifle terrible. Qui était à côté du garçon qui a perdu son oeil à Victoriaville. C'était le frère de sa blonde. Il a vécu les événements de façon intime et engagée. Il est devenu un autre homme à travers ça. Il est devenu un adulte, mais ça l'a sapé, parce que ça s'est terminé en queue de poisson. En région, où je vis, les gens avaient l'impression en lisant La Presse que Montréal était à feu et à sang. Que c'était la guerre civile. Ce n'est pourtant rien par rapport à ce qui se passe en Amérique du Sud, en Europe, partout dans le monde. Il n'y a pas eu de mort. Parce qu'ils ont brassé la cage un peu, on a traité les jeunes comme des terroristes. J'étais très en colère alors j'ai écrit une lettre à l'éditeur de La Presse pour le lui dire.

As-tu peur parfois que certains te boycottent à

ton tour?


Après Tout le monde en parle, pour en revenir à cet épisode, Denys Arcand, dans un geste d'une grande élégance, m'a offert un rôle dans L'âge des ténèbres, dans lequel je jouais un «humorologue», c'est-à-dire un gars qui guérit par l'humour. C'était en réponse directe à ce que j'avais dit. Il a été d'une élégance extraordinaire alors que je pensais qu'il allait me boycotter à vie. Au contraire, la rencontre a été absolument cordiale. Fabienne Larouche, qui était très fâchée contre moi quand j'ai fait cette sortie-là, m'a offert de jouer dans Trauma pendant cinq ans. Le temps fait que les choses se relativisent.

Ses essentiels

Livres

Tout Gary/Ajar, tout Raymond Carver, tout Siri Hustvedt, Roméo Bouchard: Constituer le Québec (parce que TOUT est là pour une réforme TOTALE de nos institutions politiques et pour l'avènement d'une VRAIE démocratie!) et tout Robert Lalonde (pour la sensualité, la poésie sauvage, la langue, le plaisir des mots).



Théâtre


Fanny Britt (tout!) et Evelyne de La Chenelière (tout!) et Serge Boucher (tout!!!). Moi dans les ruines rouges du siècle d'Olivier Kemeid...



Musique


Toute l'oeuvre de Frank Sinatra... Richard Desjardins, Damien Rice, Nostalgia de Annie Lennox, Angus and Julia Stone, Betty Bonifassi...



Cinéma


The Deer Hunter, la trilogie du Parrain (en anglais!), Robert Morin, le duo Bacri/Jaoui, tout Alejandro González Iñárritu, et encore aujourd'hui, pour des raisons que je ne m'explique pas vraiment, Notting Hill!!!



Arts visuels


François Vincent, Alexandra Levasseur, Robert Lamarche