Bien avant de remporter la bataille juridique de Lola contre Éric, Anne-France Goldwater était déjà une star. Pour son sens du spectacle, ses décolletés plongeants, ses seins surdimensionnés, mais aussi pour les batailles qu'elle a menées et gagnées, notamment celle des mariages de même sexe qu'elle a remportée en 2002. À compter de vendredi sur V, l'avocate la plus connue du Québec sera l'arbitre d'une cour en direct dont la moitié des plaignants sont déjà assurés de passer un mauvais quart d'heure.

Un orang-outang en peluche rouille accapare un des fauteuils, à ma droite. Un autre au pelage noir est assis devant une pile de dossiers sur un bureau. Un ourson est juché sur une étagère de bibliothèque, juste au-dessus d'un Cartman en chiffon, ce célèbre petit personnage de la série South Park qui, en plus de se déguiser en Hitler, a la réputation d'être raciste, antisémite, grossier, égocentrique et manipulateur.

Il y a des tableaux au style délavé sur les murs qui côtoient des miroirs aux dorures rococo, des vases et des chandelles sur les tables à café, et même si le goût de cet assemblage hétéroclite n'est pas toujours très sûr, il s'en dégage une chaleur et une intimité, indéniables.

Bienvenue dans l'antre douillet de Goldwater et Dubé, cabinet d'avocats situé au 23e étage de la tour Alexis Nihon, fondé en 1981 par maître Goldwater elle-même, qui à l'époque venait à peine de passer son barreau et n'avait que 21 ans.

Je l'attends depuis un bon quart d'heure en me demandant à quoi ça sert de devancer un rendez-vous si c'est pour arriver en retard. Mais j'ai à peine commencé à maugréer qu'elle arrive tel l'ouragan Irene, un feu roulant de rondeurs généreuses et débordantes, perchées sur des talons hauts. Elle tient d'une main, un sac bling bling, dont les zircons turquoise sont aveuglants, et porte un tailleur court en lamé, gold comme dans goldfighter, le sobriquet dont elle a hérité pendant le Combat des livres de Christiane Charette.

Je la suis à travers un dédale de cloisons, de plantes, d'animaux en peluche et de potiches, avant de déboucher dans son bureau: une vaste pièce encombrée de mille et une bébelles, mais avec une vue imprenable et spectaculaire sur la montagne. Des adjoints papillonnent autour d'elle pour débarrasser sa table de travail. Puis un charmant jeune homme - est-ce un avocat ou un majordome? - vient déposer devant nous un joli plateau de fruits et de biscuits.

C'est mon premier tête-à-tête avec celle qui a divisé les chaumières et les femmes du Québec, en remportant une importante bataille dans la reconnaissance des droits des conjoints de fait grâce à la cause célèbre d'Éric et de Lola qui ira bientôt en appel à la Cour suprême, mais sans elle.

Avant d'inviter Anne-France Goldwater à me raconter sa vie, ce dont elle s'acquittera avec un empressement proprement étourdissant, je lui demande si elle a l'intention de faire une Judge Judy d'elle-même. C'est une question clichée dont je n'espère rien et qui pourtant suscite un aveu étonnant. «Pas tout de suite», commence-t-elle par répondre avec un regard mystérieux, mais c'est ça la vraie ambition.»

Euh, de quelle ambition on parle au juste? De devenir juge? «Non, non! Peut-être quand j'étais plus jeune. Je me souviens qu'après mon premier divorce, je m'étais dit que si je tombais sur un mec fortuné qui m'aurait libérée de mes obligations, ça serait bien d'être juge. Pour une femme, c'est un métier intéressant. Mais aujourd'hui, ça ne m'intéresse plus.»

Mais alors, quel rapport avec Judge Judy, cette juge à la retraite qui sévit sur les réseaux américains depuis plus de 15 ans? La réponse ne se fait pas attendre: «Je veux la remplacer! Pas tout de suite, mais éventuellement. De toute façon, un jour, ils vont avoir besoin d'une nouvelle personnalité, plus jeune, plus sauvage, qui n'a pas la langue dans sa poche. C'est ça, mon ambition!»

Enfance calamiteuse

Pour ce qui est de l'ambition, Anne-France Goldwater n'en a jamais manqué et cela, en dépit d'une enfance assez calamiteuse, merci. Née à Montréal le 14 juillet 1960, Anne France Goldwater est la fille unique de deux avocats: Sam Goldwater, avocat généraliste d'origine polonaise, et Ruth Zendel, juive française née à Paris. Des deux, c'était Ruth la star, juriste émérite, monument d'élégance et de raffinement dont tous les hommes tombaient amoureux.

Les années 60 aidant, Ruth a eu une aventure avec un certain Philippe Casgrain, mari de la députée Claire Kirkland-Casgrain. Enceinte de lui, elle s'est résignée à avorter, a sombré dans la dépression avant de se suicider. Anne-France avait 3 ans. Elle ne se souvient de rien. Ni de sa mère ni de sa mort. Son père, pour sa part, ne s'en est jamais remis. Il a redéménagé avec sa fille chez sa mère rue Deom à Outremont. Jusqu'à l'âge de la puberté et malgré une maison de 10 pièces, Anne-France était obligée de coucher dans la même chambre que son père sur ordre de grand-mère.

La suite ressemble à un roman de Dickens ou à un conte de Perrault avec la grande mère autoritaire et acariâtre, le père dépressif, les coups, les insultes et la misère affective d'une petite fille abandonnée de tous et obligée trop tôt de se débrouiller seule.

Je connais Anne-France Goldwater depuis à peine 20 minutes et pourtant, elle n'a pas hésité pas à me confier ces moments douloureusement intimes de sa vie. Je m'étonne de son absence de censure. Elle concède qu'elle ne fait pas de censure et puis... éclate en sanglots. «Il y a trois ans, quand j'ai raconté cette histoire à mon psy, dit-elle à travers ses larmes, l'intensité de mon émotion lui a fait croire que c'était arrivé hier et non il y a 40 ans. Moi, j'espère toujours qu'à force de raconter cette histoire sans faire de censure, la douleur va passer, mais elle ne passe pas.»

Anne-France tapote ses larmes avec un mouchoir et lance: «J'ai toujours été comme ça. J'ai une seule face. La même face pour tout le monde et, philosophiquement, ça me plaît.»

Obsédée sexuelle joyeuse

Admise à l'âge de 16 ans à l'Université McGill, l'adolescente douée sera reçue au barreau cinq ans plus tard. À peu près au même moment, elle épouse Chaim Adler, un prof qu'elle fréquente depuis l'âge de 13 ans et dont elle aura deux enfants, Samantha Ruth et Daniel Moise. Après ce premier mari juif dont elle divorcera, viendra Omar, un mari musulman, puis Leonel, le Salvadorien avec qui elle vit en ce moment en union libre.

«Imaginez un juif, un musulman et un catholique! C'est sûr que je vais brûler en enfer! blague-t-elle avant d'avouer qu'elle est prête à épouser Leonel dans une église du Salvador demain matin, mais que c'est trop loin. Et un mariage civil au palais de justice alors? «Moi, au palais de Justice, ça ne va pas! s'écrie-t-elle. Pas question de sceller une union sacrée dans un endroit où j'ai baisé dans trop de recoins!»

Cette dernière réplique à connotation sexuelle est de loin la moins osée de toutes celles que j'entends sortir de sa bouche depuis une heure. Pas de doute: Anne-France Goldwater est une obsédée sexuelle, mais une obsédée joyeuse et assumée, qui semble n'avoir aucun tabou, qui n'hésite pas à prendre ses seins à pleines mains pour célébrer leur générosité ou y glisser des shooters, et qui n'a peur de rien, surtout pas du ridicule.

Pas religieuse ni pratiquante, elle se déclare athée profonde comme son idole, le commentateur controversé et iconoclaste, Christopher Hitchens. En revanche, elle est pro-Israël comme en témoigne le petit drapeau planté fièrement dans son imprimante.

Mais si elle avait le choix du décor pour L'arbitre, ce n'est pas un drapeau israélien, mais un crucifix qu'elle accrocherait au mur. «Parce que c'est un symbole important de la société québécoise et puis lorsque je vois le Christ sur la croix, ce que je vois, c'est un bel homme mince et musclé de 33 ans, au sommet de ses pouvoirs sexuels, qui est à moitié nu et juif. Que demander de plus!»

À la barre de L'arbitre, maître Goldwater entendra deux causes par émission. Elle promet d'être drôle et divertissante, mais de ne jamais insulter ou rabaisser les gens. Si j'étais Judge Judy, je commencerais tout de suite à prendre des notes.