Il y a les fins idylliques, comme celle de La vie, la vie, où tous les protagonistes célébraient leur heureux et fertile destin dans une scène de dîner à la campagne. Il y a les fins crève-coeur (Minuit, le soir), les fins prévisibles (Friends, Sex and the City), les fins parfaites (Six Feet Under), les fins écrites dans le ciel (Les hauts et les bas de Sophie Paquin). Comment les auteurs télé s'y prennent-ils pour tirer leur révérence? Nous avons cuisiné quelques auteurs, pour apprendre que, comme le veut le dicton, la fin justifie les moyens.

C'était un mercredi soir du début décembre et Sophie a choisi Malick. Le générique est alors apparu sur le petit écran et la «vraie» vie a continué. Mais pendant que Céline Galipeau parlait de la campagne de vaccination au Téléjournal, des centaines de milliers d'entre nous imaginions la nouvelle vie new-yorkaise de notre héroïne préférée.

Malick junior allait-il fréquenter l'école française? L'amour de Malick et Sophie survivrait-il à la banalité du quotidien? Martin aurait-il le cafard, sans sa meilleure copine dans les parages? Gageons que les membres du clan David, eux, broyaient du noir...

Les fins nous permettent de dire au revoir à nos amis fictifs. Et de faire le deuil de notre émission préférée.

«J'ai vu la fin de Six Feet Under au même moment où je devais faire euthanasier un de mes chiens. Je l'ai rejouée au moins 10 fois», confie Richard Blaimert, l'auteur de Les hauts et des bas de Sophie Paquin, qui juge que l'épisode ultime de Six Feet Under est un modèle de conclusion télévisuelle.

«J'aime qu'une fin me frustre!» tranche la scénariste Geneviève Lefebvre (Diva, René Lévesque), qui a un faible pour les boucles non bouclées (comme la fin des Sopranos), parce que ça ressemble à la vie. «Mes fins préférées sont celles où je dis: Ah! J'aurais voulu savoir, mais je ne saurai jamais. Pour moi, cela est l'essence même de la structure dramatique», soutient la blogueuse des Chroniques blondes. D'après elle, en fiction télé, aucune règle écrite et absolue n'existe pour composer une fin satisfaisante.

Certains auteurs, avant même d'avoir écrit la première réplique de leur projet, connaissent déjà l'ultime destin de leur héros ou héroïne. Certains parlent de destin. Pierre-Yves Bernard, l'auteur de Minuit, le soir, appelle ça le «karma». Le personnage de Claude, témoigne-t-il, a été pensé comme étant un homme doté d'un «karma lié à la mort». Il était donc impensable de le faire échapper à son destin morbide, au risque de choquer ou peiner les fans de la série.

«Il faut avoir en tête que tout ça était construit dramatiquement. Les gens nous ont dit: Ouin, c'est parce que vous ne vouliez pas faire une quatrième année. Ce qui était absurde», fait valoir Pierre-Yves Bernard, qui a dû subir certains reproches de télé-spectateurs attristés par la mort du héros dans le dernier épisode de Minuit, le soir.

«Il y a des gens qui ont trouvé ça subit ou un peu gratuit. Sauf que tel était exactement notre propos: montrer l'absurdité de la vie, à travers un personnage qui a toujours vécu des situations de danger, a été portier, a affronté la mafia, a travaillé sur un bateau. Ce qu'on a voulu montrer, c'est que malgré tout l'amour qu'on peut avoir, malgré tout les gestes que l'on accomplit, parfois, on se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment.»

Les fins sont éternelles...

L'une des finales les plus louangées des dernières années en télé québécoise a certainement été celle de La vie, la vie. L'auteur, Stéphane Bourguignon, évalue à 98% la note que lui ont donnée ses fans.

«Le reproche gentil qu'on m'a fait, c'est que tout s'arrangeait trop bien pour tout le monde. Mais c'est un choix que je n'ai pas fait à la légère. J'ai pensé imaginer une fin où il y aurait un des personnages pour qui ça ne débouchait pas. Mais je me suis dit qu'au fond, tout ce qu'on voulait pour eux, c'était du gros nanane sale, pour que tout le monde soit content. J'avais envie de donner aux spectateurs ce qu'ils voulaient!»

La conclusion des intrigues du clan tricoté serré de La vie, la vie a commencé à mijoter dans son esprit dans les trois ou quatre épisodes précédant la fin de la série. Certaines pièces du puzzle se sont mises à se placer, comme Marie et Simon qui achetaient la maison de la mère de Marie... «La fin d'une série, c'est quelque chose que l'on a toujours en tête pendant l'écriture, même inconsciemment. C'est aussi l'épisode le plus important: tu ne peux pas te permettre d'en faire un épisode moyen.»

De nombreux imprévus ont jalonné l'écriture des quatre saisons des Hauts et bas de Sophie Paquin, reconnaît son auteur Richard Blaimert. Mais la force de la relation entre les interprètes de Sophie (Suzanne Clément) et Malick (Danny Blanco-Hall) a vite déterminé la suite des choses... «C'est sûr que certains auraient voulu que Sophie finisse avec David, ce qui aurait été le fun. Mais la compétition était forte avec Malick, avec qui Sophie avec un rapport très fort, sensuel et même animal!»

S'assumer ou faire plaisir?

Si les attachants personnages de La vie, la vie ont tous reçu la bénédiction de leur créateur pour vivre heureux et avoir de nombreux enfants, il serait étonnant que le trio maléfique de Tout sur moi touche à la béatitude et à la sagesse. Question de karma, sans aucun doute...

«Ce n'est pas du tout la même chose que La vie, la vie, assure Stéphane Bourguignon. Les personnages de Tout sur moi n'apprennent pas de leurs erreurs. Ça va bien sûr nous prendre un dernier épisode fort et drôle. Mais j'ai l'impression que l'on pourrait tout aussi bien imaginer une fin qui nous projetterait dans le futur qu'une conclusion en queue de poisson!»

Pour qu'une fin soit réussie et satisfaisante, Geneviève Lefebvre estime qu'il faut sentir que son auteur s'est assumé et est allé au bout de sa démarche. À son avis, la meilleure façon de gâcher la sauce, c'est de «sortir à la dernière minute une fin Walt Disney». «Les auteurs doivent faire plaisir à beaucoup de monde avant qu'une série se rende à l'écran. Cela peut être un piège d'essayer de plaire à quatre producteurs, au diffuseur, aux gens qui placent de la pub. À un moment donné, cela peut être mêlant et brouiller les cartes.»

Suivre le courant. Respecter le karma. Laisser des portes ouvertes. Dans la fiction comme dans la vie, toute bonne chose a une fin. Et si on a un petit pincement au coeur quand défile le générique, c'est qu'il est temps de faire son deuil...