Vêtu d'un vieux veston à la Léo Ilial et d'une cravate king size possiblement dessinée par Patof, Jean-René Dufort m'annonce d'entrée de jeu que je ne saurai rien, mais alors, rien de rien, de son spécial de fin d'année.

Je referme mon carnet de notes, je me lève et je lui réponds que, par conséquent, nous n'avons plus rien à nous dire. C'est une blague, bien entendu, mais elle traduit un certain agacement devant cette culture du secret pour... une émission de télé. Rien de plus. Rien de moins. Mais Dufort me sert un argument plein de bon sens: «La seule arme que nous avons, c'est la surprise, plaide-t-il. Nos moyens limités ne nous permettent pas d'en mettre plein la vue avec une chorale et 50 danseurs. On est en quelque sorte le tapis Welcome de la soirée. On n'a pas une cenne. Tout ce qu'on peut se payer, c'est un effet-surprise.»

Nous nous sommes réfugiés dans une salle de réunion du cinquième étage de Radio-Canada, à un jet de pierre de la ruche bourdonnante de l'équipe d'Infoman. Depuis un mois et demi, quatre recherchistes et une directrice de production travaillent au spécial fin d'année, réservant chambres d'hôtel et billets d'avion pour les îles Mouc-Mouc ou Dieu sait où, et bookant, comme on dit en bon français, des entrevues avec les héros ou les zéros de l'année 2009.

L'année dernière, Dufort avait réussi deux coups fumants en obtenant une entrevue avec Sarah Palin dans son Alaska natal puis une audience à l'hôtel de ville de Paris avec l'ex-otage des FARC, Ingrid Betancourt. Le plus étrange de cet échange fut sans doute le message de Jean Charest enregistré sur l'ordinateur de Dufort et que Betancourt visionna devant nos yeux avant de s'engager à venir en visite officielle au Québec. En l'espace de quelques secondes, Dufort venait de passer du statut de clown de l'info à celui de représentant officiel du premier ministre québécois. Bizarre, non?

«En allant rencontrer Ingrid Betancourt, je ne me suis jamais posé la question: qu'est-ce que je fous là? Pour moi, Infoman, c'est comme une sorte de yogourt mal brassé avec du comique, mais du sérieux aussi. Cela dit, je n'ai jamais été aussi nerveux avant une entrevue que cette fois-là. Voyant que j'avais de la misère à faire marcher mon ordinateur, c'est Ingrid qui a commencé à faire des jokes et à se payer de ma tête. Nous, en fin de compte, à Infoman, on se donne le droit d'aller parler à qui on veut. Et si les gens acceptent, on n'est quand même pas pour refuser.»

D'autres gros noms?

Avec Betancourt et Sarah Palin, Dufort a frappé fort l'année dernière. Comment se surpasser après cela?

«Chaque année, on va à la pêche, répond-il. Et contrairement aux équipes du Bye Bye, on ne réalise pas toujours notre première idée. À chaque fois, c'est un coup de dés. Pour Sarah Palin, on a fait 16 heures d'avion pour aller la retrouver dans une conférence perdue à Fairbanks en Alaska. Tout aurait pu foirer, mais heureusement, elle était là, elle n'avait pas de garde du corps et à la dernière minute, on a eu accès à elle.»

Un rapide survol des personnalités marquantes de l'année révèle que Dufort va devoir faire des miracles pour nous épater. Obama? Impossible à approcher même avec une perche de trois kilomètres de long. Omar Bongo? Il est malheureusement mort, de même que Michael Jackson. Bernard Madoff? À moins que Dufort ait ses entrées au Butner Federal Correctional Complex, en banlieue de Raleigh, en Caroline-du-Nord, je doute qu'une audience avec Bernie soit possible. Tiger Woods? Trop occupé à régler ses problèmes conjugaux. Dufort aurait plus de chances auprès des 850 maîtresses avouées ou non du célèbre golfeur, mais on sait qu'Infoman ne se chauffe pas de ce jaunisme-là. Restent Susan Boyle, Madonna, Oprah, Monique Jérôme-Forget et sa villa à Merida, et surtout, surtout, Tony Accurso, dont on a tellement entendu parler et qu'on rêve tous de voir autrement que figé sur la photo, toujours la même, qu'on nous sert dans les bulletins de nouvelles.

«Pour ce qui est de Tony, répond Dufort, faudrait pas trop avoir d'attentes à son sujet. Nous avons tout fait pour obtenir une entrevue. En fait, même pas une entrevue. J'ai juste demandé à être vu quelque part avec lui puisque personne ne voulait être vu avec lui. Si jamais Tony finit par nous répondre, je vais être le premier surpris.»

Le jeu de la démocratie

Comme souvent depuis dix ans, Infoman a joué avec la démocratie cette année en votant à plusieurs reprises lors de l'élection du nouveau chef de l'ADQ. Il a si bien fait, notamment grâce à son ami, le défunt Omar Bongo, qu'il a failli faire dérailler l'élection. Plusieurs journalistes le lui ont reproché. «D'abord, je n'ai pas joué avec la démocratie, corrige-t-il. C'est la démocratie qui a joué avec elle-même. Le problème, ce n'était pas moi. C'était l'ADQ. Quand j'ai vu Éric Caire s'avancer avec ses deux votes, le micro m'est tombé des mains. Là, la machine est partie et tous les journalistes étaient après moi. Je suis devenu LA nouvelle. Après ça, les journalistes ont été choqués parce que j'aurais soi-disant laissé entendre que j'avais un autre scoop. Mais un clown d'Infoman qui annonce en souriant quelque chose, me semble que c'est clair qu'il n'y a rien.»

Clown. Dufort revient souvent avec ce mot-là mais toujours avec un soupçon de dérision, comme s'il voulait nous signaler qu'il sait bien que ce mot loge dans le regard des autres et non dans le sien.

«Est-ce que je suis un clown? Un taquin? Un magicien? Pour être honnête, je suis tanné du débat qui dure depuis des années au sujet de qui je suis au juste. Moi, tout ce que je veux, c'est qu'on me laisse tranquille et qu'on me donne la permission d'exister. Pour le reste, je vis dans un quartier d'anglos qui jouent au curling. Je suis un passionné d'infos, un amateur de hockey, et un gars conscient de sa position un peu weird. Je fais de l'information spectacle, c'est vrai, mais l'information spectacle est partout et la différence entre moi, Jean-Luc Mongrain et Fox News, n'est pas si grande que ça.»

Une nuance s'impose. Fox News fait de l'info partisane et de l'opinion. Dufort, lui, semble ne pas avoir d'opinions ni de convictions au demeurant. «J'ai des convictions, insiste-t-il, mais je suis un cartésien. Infoman est une émission neutre qui entend le rester. À mes yeux, la grande gaffe de Michael Moore, c'est de s'être pris pour le chef de l'opposition. Ce jour-là, il a perdu toute sa crédibilité.»

Dufort n'a jamais été chef de l'opposition, mais il a été biochimiste pendant cinq ans. Fils d'un ingénieur en électronique, qui est mort d'un cancer fulgurant à 37 ans, Dufort a grandi sans père (à partir de 13 ans) et en a développé une sorte de hantise des messieurs en complet, comme il le confie dans le livre Enquête de paternité publié cet automne. Diplômé en biochimie de l'Université de Sherbrooke, il a d'abord travaillé pour la pharmaceutique ICN Canada, puis pour le laboratoire d'analyses Analex (devenu Exova). Et puis un jour, il a fait un rêve: «Je me suis vu dans une plaine au milieu d'un carré délimité par du tape. J'ai vu que ma vie professionnelle se déroulerait entièrement dans ce carré. J'ai eu le goût d'aller voir ailleurs.» Dufort a commencé à écrire pour Québec Sciences et Protégez-vous. Il a infiltré le réseau de médiums de Jojo Savard et à titre de rat de son propre laboratoire, il a tenté de se suicider (en toute sécurité) aux produits homéopathiques. Un dénommé Stéphane Laporte, impressionné par ses performances, lui a offert en 1997 un poste qui allait changer sa vie: chroniqueur à La fin du monde est à 7 heures. Le reste, comme on dit, appartient à l'histoire.

Le 31 décembre prochain, il n'y aura pas de fin du monde, mais il y aura une fin d'année qui débutera à 20h avec un tapis Welcome du nom de Dufort. Pour l'instant, on ne sait rien, sinon que la chanson d'ouverture sera interprétée par Beast. D'ici là, Obama, Oprah, Madonna, Madoff et Accurso n'ont qu'à bien se tenir.