En septembre 2018, Charles-Alexis Desgagnés a pris part à la première saison de Révolution, émission diffusée à TVA dont il a atteint la grande finale grâce à sa virtuosité, à sa sensibilité et à son refus d’entrer dans le moule. Un an après cette expérience qui l’a transformé, il s’apprête à présenter sa première œuvre chorégraphique complète, Mue érable, dans le cadre du Festival Quartiers Danses. Entrevue.

Illustres-tu ta propre transformation dans le spectacle ?

J’ai utilisé mon ressenti et mon bagage pour générer la création, mais ce n’est pas tant à propos de moi. L’idée m’est venue l’année dernière en lisant un texte sur les trois granthis : ce sont des nœuds à dénouer dans la tradition yogique, soit des couches à enlever afin d’atteindre l’éveil spirituel. Ils sont situés au ventre (la peur de mourir), au cœur (la peur d’être seul) et à la tête (la peur d’être fou). C’est quelque chose qui m’habite, surtout la peur d’être fou. Heureusement, j’ai trouvé un canal pour exprimer ma folie ou ma créativité.

Comment évoques-tu la mue dans la chorégraphie ?

L’humain mue au niveau physique (transpiration, perte de peau, blessure), mais aussi au niveau émotionnel, avec les relations qui restent et qui partent, les patterns mentaux dont on se débarrasse ou non. Moi-même, j’ai l’impression que je ne suis plus le même Charles-Alexis qu’il y a 10 ans. J’ai clairement mué. Mais dans le spectacle, je suis un personnage qui gravite dans un univers de cycles et de répétitions. Ce n’est pas moi le sujet.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La pièce solo est issue d’une chorégraphie de groupe que tu avais créée à l’été 2018 et que tu avais transformée en version solo très courte pour Révolution, le numéro dansé sur la pièce Roses du pianiste Jean-Michel Blais, avec les bouts de tissus multicolores. Le 9 septembre, tu danseras une version de 35 minutes. Que permet le format long ?

C’est magnifique ! En danse contemporaine, ça prend du temps pour établir quelque chose. Je ne serai pas full out durant tout le spectacle. Il y aura des moments plus calmes et plus doux qui aideront à mieux recevoir la suite. Je voudrais que les gens voient ça comme une contemplation cinématographique. Un film live, sans fil narratif.

Parlons de Révolution. Quels souvenirs gardes-tu de cette aventure ?

C’est un peu surréel. Il y a deux ans, jamais je ne me serais vu participer à ça, mais je me suis levé un matin et j’ai décidé d’y aller. À l’audition, j’ai improvisé. J’ai mis de la musique, j’ai dansé, et ils ont aimé ça. Je pense aussi que je représentais un casting : le gars un peu de gauche qui paraît bien à la caméra, différent, mais accessible. Ils voulaient ça et moi aussi. Les premières rondes ont été vraiment le fun, car on avait du temps pour se préparer. Par contre, à la fin, tout était très collé. Je me suis blessé. J’étais toujours seul à tout créer.

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Comment as-tu vécu les résultats de la finale ?

J’étais déçu. Je n’étais pas là juste pour l’expérience. Je m’étais inscrit pour initier le grand public à la danse contemporaine, pour gagner 100 000 $ et pour acheter un studio où je pourrais faire naître de la danse. Tout allait super bien, jusqu’à ce que je me rappelle que c’est une émission de télé qui mise beaucoup sur l’image. On ne va pas là juste pour faire de l’art. À la fin, on peut d’ailleurs voir la déception sur mon visage. C’est comme si j’avais compris la game à ce moment-là… Je me suis demandé si j’étais assez « TVA-able » et « 7jours-able ». Je pense que non. Même si je représente physiquement ce que les gens sont habitués de voir, un gars cisgenre qui paraît bien, ce que je fais est à l’opposé.

Quel impact l’aventure a-t-elle eu sur toi ?

Ça m’a appris à travailler sous pression, à avoir confiance en moi et à prendre conscience de mon pouvoir d’inspiration chez les autres. Durant le tournage, un caméraman m’a même dit qu’il n’aimait pas du tout la danse contemporaine avant, mais qu’en me regardant, il avait envie d’aller voir des shows. Juste ça, ça vaut 100 000 $ !

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Y a-t-il un avant et un après Révolution pour toi ?

Maintenant, les gens savent qui je suis et quelle est ma signature artistique. Je suis très autodidacte. Je n’ai jamais pu entrer dans un moule. J’ai fait une année à la School of Toronto Dance Theatre et j’ai quitté. Quand je danse, j’aime beaucoup les images fortes, le travail au sol et le lâcher-prise. Dans la vie, j’aime ça tout contrôler et j’ai un côté solitaire très fort. J’ai travaillé énormément dans ma tête, dans mon corps et dans mon cœur pour relâcher dans ma danse. C’est ce que j’ai fait dans la chorégraphie sur la chanson de Safia Nolin.

Cette performance t’a d’ailleurs permis d’obtenir un contrat avec le Cirque Éloize pour danser dans Seul ensemble, le spectacle sur l’œuvre de Serge Fiori qui t’a valu des louanges dans les médias. Comment as-tu réagi ?

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J’étais tellement surpris de voir mon nom dans les critiques d’un show de cirque. J’apprécie énormément que le Cirque Éloize ait mis de l’avant les danseurs comme ça. En plus, c’est rare pour nous de rouler un spectacle aussi longtemps. On l’a présenté en mars à Montréal, cet été à Québec et on revient au Théâtre St-Denis du 26 septembre au 20 octobre.

Quels sont tes autres projets ?

J’ai une année bien remplie ! Je vais danser avec Harold Rhéaume, la compagnie Destins Croisés, et j’ai des projets avec des amis. Je vais aussi travailler avec Masami Mikami et Navid Navab sur un projet qui vise à allier l’intelligence artificielle et la danse contemporaine. On veut explorer ce que la technologie peut apporter à la danse. Le projet a été validé par le Conseil des arts du Canada.

Mue érable, à la Cinquième Salle de la Place des Arts le 9 septembre, dans le cadre du Festival Quartiers Danses (du 6 au 15 septembre).