(Québec) C’était soir de première, mardi, dans la capitale nationale, pour la création de SLAM !, spectacle-ovni piloté par Robert Lepage, fusionnant les arts du cirque à l’art guerrier (simulé) de la lutte. Un maillage réussi, empreint d’humour, qu’il ne faut surtout pas prendre au sérieux.

Slam ! On n’aurait pu choisir meilleure onomatopée pour qualifier cette nouvelle offrande d’Ex Machina et du metteur en scène Robert Lepage créée avec le collectif FLIP Fabrique. Un spectacle de 90 minutes où huit interprètes se tapent dessus – on simplifie –, qui fait grimacer sur scène comme dans la salle, on ne voit pas ça tous les jours…

Mais quelle mouche a piqué Robert Lepage pour qu’il se lance dans cette aventure ? On le savait amateur de lutte, il présente même maintenant de vrais galas de lutte au Diamant, mais de là à créer un spectacle qui mêle les codes de la lutte à ceux du cirque, il y a un pas… qu’il vient de franchir.

Curieux et touche-à-tout, Robert Lepage a exploré à peu près tous les arts de la scène. Le théâtre, la danse, la marionnette, l’opéra, le cirque… Sauf un : la lutte. « Ce sont des mondes qui se ressemblent, nous a confié le metteur en scène, il y a quelques jours. Que ce soit des athlètes de lutte ou des circassiens, ce sont des personnages plus grands que nature. »

Lepage a fait équipe avec le collectif de cirque de Québec FLIP Fabrique pour créer des tableaux vivants parfois hilares, parfois baroques, souvent absurdes, mais toujours distrayants. Que ce soit dans l’arène ou à l’extérieur – comme avec ces deux commentateurs qui s’expriment dans un charabia incompréhensible (bien vu, au fond, on s’en fout un peu de ce qu’ils ont à dire !).

Ne cherchez pas l’histoire ou le fil conducteur dans SLAM ! Il n’y en a pas. L’erreur serait d’intellectualiser ou de chercher un sens caché, un sous-texte, une métaphore, un deuxième niveau de lecture… Lepage nous a avertis : « Notre âge mental baisse. C’est à prendre pour ce que c’est. »

Ce que c’est ? Le spectacle commence par des combats. Baby Face contre Strong Man. Highlander contre Superhéros. Amazonia contre Pretty Cowgirl. On est à fond dans les stéréotypes et les clichés. Rappelez-vous les lutteurs de la défunte WWF : Macho Man Randy Savage, Jake « The Snake » Roberts, Rowdy Roddy Piper… On ne fait pas dans la subtilité.

PHOTO EMMANUEL BURRIEL, FOURNIE PAR EX MACHINA/FLIP FABRIQUE

Deux des interprètes de SLAM ! en tenue de combat, avec des masques mexicains de lucha libre

On peut parler d’une mise en bouche, parce que les combats s’espacent et entre deux d’entre eux, de petites saynètes de cirque s’insèrent dans le programme. Ici, les « fans » d’un athlète de lutte font des acrobaties sur une barrière de sécurité, là, des « spectateurs » jonglent avec des bâtons de barbe à papa…

Le numéro qui a le plus fait réagir le public : le (vieux) concierge qui installe un fil mou au-dessus de l’arène de lutte avant de faire un numéro de haute voltige à couper le souffle.

Réaction timide du public

Parlant de la réaction du public, on se serait attendu à une plus grande participation des spectateurs. Après tout, une partie de la clé du succès de ce spectacle repose sur la réaction du public (euphorique, consterné, dégoûté, horrifié, etc.), qui réagit à un lutteur qui domine son adversaire, qui triche ou alors à une mauvaise décision de l’arbitre. Les créateurs de SLAM ! le considèrent (le public) comme un personnage à part entière.

Sont-ce les rires enregistrés qui émanent de la scène qui découragent les spectateurs de s’exprimer plus avant ? Ou la nature même du public (nous ne sommes pas aux États-Unis…) ? Peut-être que l’équipe de création devrait laisser tout l’espace au public juste pour voir. Peut-être même laisser les interprètes s’approcher des spectateurs… Car le but est de s’assurer que la catharsis des interprètes sur scène gagne la salle. On vise ici un défoulement collectif, non ? Ce n’est pas (encore) le cas.

Durant les apartés de cirque, quelques vignettes se démarquent, notamment parce qu’elles sont synchronisées avec un écran qui démultiplie les mouvements des artistes. Une des belles surprises de SLAM !. Imaginez l’effet d’un acrobate qui fait quatre saltos arrière ou alors les figures d’une contorsionniste, dont les mouvements multipliés créent de sublimes visuels. On en aurait pris plus.

À mesure que le spectacle progresse, les combats – qui incluent la fameuse prise du sommeil, nous vous en remercions – deviennent de plus en plus circassiens.

On a bien voulu montrer aux non-initiés comment ça se passe (en lever de rideau), mais maintenant, il faut passer aux choses absurdes. Ici une lutteuse s’amuse à faire craquer tous les os de son adversaire (contorsionniste) avant de la jeter (littéralement) dans une poubelle. Là, un lutteur étrangle l’arbitre avec la corde de son diabolo, fait de même avec son adversaire, et se met à jouer avec son appareil. Avec un, deux, trois diabolos.

Un spectacle pour la famille ?

Est-ce un spectacle pour toute la famille ? Robert Lepage nous jure que oui. Tout y est tellement caricaturé, grossi. Ça ne se peut juste pas. En même temps, ça se passe sous nos yeux. C’est le pacte tacite conclu entre le public et les performeurs. Idem pour le cirque. On y croit, même si leurs performances nous semblent improbables… presque truquées… Il y a des similitudes.

Ce spectacle risque d’être transformateur pour FLIP Fabrique. Son directeur artistique, Bruno Gagnon, qui a dû travailler fort avec ses acrobates pour qu’ils « acceptent de se faire mal » (ce qu’ils évitent à la base en cirque), admettait il y a quelques jours qu’il y aurait certainement un avant et un après. « Tout est réfléchi, chaque instant est pensé, à travers la technique, le son, l’image, le jeu… », nous confiait-il, enthousiaste.

Le public de Québec, maintenant habitué aux soirs de galas de lutte programmés au Diamant, nous a paru conquis par la proposition d’Ex Machina et de FLIP Fabrique, qui se conclut par une scène jubilatoire où le plancher de l’arène de lutte est remplacé par un trampoline. Reste à voir comment le public montréalais réagira. Une histoire à suivre.

Consultez le site du Diamant de Québec, où se déroule l’évènement jusqu’au 9 mars Consultez le site de la Tohu, où se déroule l’évènement du 19 mars au 7 avril
SLAM !

SLAM !

D’Ex Machina et de FLIP Fabrique
Mise en scène de Robert Lepage

Jusqu’au 9 mars au Diamant de Québec.
Du 19 mars au 7 avril à la Tohu de Montréal.

7,5/10