Connaissez-vous les Mambo Kings, Will Charmer et Nat King Pole ? Si la réponse est non, c’est probablement parce que les drag kings sont beaucoup moins visibles que leurs consœurs drag queens, comme Mado Lamothe, Rita Baga, Barbada, Gisèle Lullaby et Mona de Grenoble. Afin de remédier à la situation, La Presse a demandé à Rock Bière et RV Métal, les deux kings de l’heure au Québec, de démystifier le mouvement.

Pour la deuxième année consécutive, le spectacle d’envergure MajestiX, célébrant le meilleur de la drag locale sous toutes ses formes, sera animé par le tandem Bière et Métal, ce samedi sur l’Esplanade du Parc olympique. Une invitation qui a ravi et surpris le duo. « Les kings sont invisibilisés dans la communauté drag et dans les médias, peut-être parce qu’ils créent encore un malaise », suggère Geneviève Labelle, alias RV Métal.

Notre drag est très politique. On incarne des hommes parfois toxiques. On rit du patriarcat et des gars qui tripent sur les moteurs et le cuir. Il y a peut-être un aspect critique qui fait en sorte qu’on est moins grand public que certaines queens.

Geneviève Labelle

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« On n’a pas évolué au même rythme et on doit encore se faire connaître du grand public », dit Mélodie, alias Rock Bière.

Son acolyte Mélodie Noël Rousseau, alias Rock Bière, intervient en disant qu’ils font aussi des numéros hautement divertissants sur de grands classiques rock et que le public cherche une drag de plus en plus diversifiée.

Cela dit, les portes des bars LGBTQ+ ont longtemps été fermées aux kings. « On n’a pas évolué au même rythme et on doit encore se faire connaître du grand public », dit Mélodie.

En effet, elle entend encore le public affirmer qu’il n’a jamais entendu parler des drag kings ou que les kings sont ennuyants, sauf Rock et RV. « Il faut donner la chance aux gens, les booker pour qu’ils se bâtissent une garde-robe et qu’ils se fassent les dents, ajoute Mélodie. Plusieurs drag queens ont eu plus d’une chance avant de devenir qui elles sont aujourd’hui. »

L’éducation drag

Dès le XVIIe siècle, le théâtre japonais kabuki permettait aux femmes d’interpréter des rôles d’hommes. Le théâtre et l’opéra occidentaux ont également vu plusieurs comédiennes jouer des personnages masculins. On les appelait male impersonators, plus ou moins les ancêtres des drag kings. « C’était déjà politique de se travestir en homme, car elles le faisaient pour accéder à des rôles et des droits », dit Mélodie.

À partir des émeutes de Stonewall, en 1969, on a commencé à voir des drags, soit des personnes qui faisaient des spectacles et qui étaient plus directement reliées à la culture queer. C’est l’aspect performatif sur scène et la queerness qui créent une distinction avec la personnification masculine.

Geneviève Labelle

L’expression « drag king » est apparue en 1972 et les artistes qui pratiquaient cette discipline ont vite été associées au féminisme radical, en raison du refus de certaines femmes d’être écrasées par les stéréotypes de genre. « Au Québec, le milieu francophone a pris un certain retard sur le milieu anglophone, parce que le mouvement féministe radical franco trouvait que c’était quasi un affront de personnifier les hommes, résume Mélodie. À l’inverse, les queers anglos aimaient explorer tout ça. »

De New York à Montréal

Si les pratiques des drag kings se sont raffinées dans les bars underground de New York, Londres et San Francisco au début des années 1990, Montréal a également vu apparaître les Mambo Kings à la même époque. « C’est un collectif de lesbiennes du Plateau Mont-Royal qui performaient durant les soirées Meow Mix, explique Geneviève. Il y avait beaucoup de groupes de kings. Comme si l’aspect communautaire était plus important que d’être la star du show. »

Quelques drag kings, comme Nat King Pole, ont ensuite émergé en solo, mais sans atteindre le statut de vedette.

Au cours des dix dernières années, les queens se sont vraiment développées et ça nous a élevés d’une certaine matière. On veut suivre la vague.

Mélodie Noël Rousseau

Même si on est loin du tsunami des queens, les kings attirent de plus en plus l’attention. En 2017, Will Charmer a été le premier drag king à prendre part au concours Drag-Moi. L’année suivante, deux kings ont participé au concours remporté par Rock Bière. Un an plus tard, RV Métal s’imposait à son tour. « En 2020, plusieurs drag kings ont auditionné et notre fils, Walter Ego, a gagné la couronne », s’enthousiasme Mélodie.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le spectacle MajestiX aura lieu le samedi 12 août, de 17 h à 23 h, sur l’Esplanade du Parc olympique.

RuPaul’s Drag Race pour les kings ?

Phénomène mondial depuis 15 ans, l’émission RuPaul’s Drag Race, et ses nombreuses franchises à travers le monde, a propulsé quantité de drag queens au statut de vedettes internationales. Que se passerait-il si les kings étaient admis dans la compétition ? « Landon Cider, le meilleur drag king de la planète, rappelait qu’on partage les mêmes scènes et qu’on joue dans les mêmes soirées, alors pourquoi les kings ne pourraient pas participer à la même compétition ? demande Geneviève. Ça prouverait qu’on est au même niveau. »

Sa complice est du même avis. « Drag Race crée un lien direct avec le public, dit Mélodie. C’est possible de faire compétitionner des queens et des kings. On l’a fait avec Drag-Moi. J’imagine qu’il faudrait adapter Drag Race et qu’il y aurait une transition un peu inconfortable au début, mais ce serait intéressant. »

Intéressant, mais est-ce plausible ? « RuPaul Charles a déjà dit qu’il n’y aurait jamais de drag kings sur son show, parce que faire du drag king, ce n’est pas subversif ni dangereux, dit Geneviève. Alors, ça se peut que les kings ne veuillent pas participer à quelque chose qui nous dénigre d’emblée. »

MajestiX, le samedi 12 août, de 17 h à 23 h, sur l’Esplanade du Parc olympique

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