La nouvelle mouture opératique de la pièce Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Michel Tremblay a connu un triomphe au Palais Montcalm samedi après-midi en présence du célèbre romancier et dramaturge.

Aurait-on imaginé entendre chanter à l’opéra des phrases comme « Ch’tannée de ramasser ta marde » ou « On se crosse dans ce temps-là » ? Les dernières créations lyriques québécoises auxquelles nous avons assisté (Yourcenar – Une île de passions, La beauté du monde, L’orangeraie…) étaient écrites dans un français international, ce qui est évidemment hors de question quand il s’agit du créateur du théâtre en joual, dont la poésie semble décuplée à l’opéra.

Le compositeur Christian Thomas est parvenu à créer un livret dont la mise en musique semble aller de soi. Et cela dès l’Introït, impressionnant tableau choral où les 11 personnages discutent de la météo (« Mon Dieu qu’y fait beau ! »), des propos en apparence anodins, mais qui cachent, comme souvent chez Tremblay, un mal-être profond. Ici, c’est la musique, tourmentée, qui permet de saisir l’ironie tremblaysienne.

Car Thomas a ce don : mettre la musique au service du texte. Chaque scène reçoit l’« habillage » sonore idéal, les affects du texte passant directement à l’orchestre et dans les voix.

Sur des balcons en fer forgé habilement disposés par le scénographe Jean Bard sur la scène face aux Violons du Roy, expertement menés par le chef Thomas Le Duc-Moreau, les chanteurs, dirigés par le metteur en scène Alain Zouvi, ont chacun leur propre moment dans les 14 parties de la messe, une cérémonie réarrangée de manière très personnelle par Tremblay (l’ordre est changé et certaines parties ne sont jamais réunies dans une vraie messe).

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

Des balcons en fer forgé sont notamment utlisés par le scénographe Jean Bard en guise de décor.

Mais ces choix ne sont pas anodins. Le Kyrie (une prière de supplication) est par l’exemple l’occasion pour ces personnages découragés d’implorer d’avoir pitié d’eux. L’Exultate (« Exultez ») voit ensuite le jeune couple joué par la soprano Magali Simard-Galdès et le ténor Jean-Michel Richer se laisser aller à leurs émois amoureux.

Le Dies iræ (« Jour de colère ») montre quant à lui Mireille (la soprano Chantal Parent) laisser sortir le méchant face à son père infirme (la basse Alain Coulombe), qu’elle doit nourrir, laver, et même plus…

Dans le Recordare (« Souviens-toi »), c’est Rose (la contralto Priscilla-Ann Tremblay) qui se remémore agréablement l’enfance de son petit Mathieu (le baryton Patrice Côté), qu’elle ne comprend plus depuis qu’il s’est révélé homosexuel.

Il y a aussi Jeannine et Louise (la mezzo-soprano Ariane Girard et la soprano Jessica Latouche), deux lesbiennes dont l’amour vacille, mais aussi Yvon et Gérard (le ténor Dominic Lorange et le baryton Dominique Côté), deux gais dont l’un est rongé par la maladie. Et la Veuve (la soprano Lyne Fortin), seule, qui regrette son mari récemment décédé.

Une œuvre sans concession

L’ensemble peut a priori sembler décousu, mais on s’aperçoit vite que ces personnages (dont certains se font parfois doubler telle réplique par un autre, étranger mais si proche) partagent beaucoup plus que le fait de regarder la pleine lune sur leur balcon. Quelque chose comme une commune humanité.

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

Michel Tremblay a divisé la messe au cœur de sa pièce en 14 parties, chacune mettant de l’avant un membre différent de la troupe.

Sur le plan vocal, Lyne Fortin est naturellement au-dessus de la mêlée, mais Chantal Parent et Priscilla-Ann Tremblay impressionnent aussi par leur voix ample et leur investissement dramatique, même si la seconde a tendance à avoir une ligne vocale un brin trop statique.

Principalement actif en comédie musicale, le ténor Dominic Lorange est pour sa part moins à l’aise dans le style lyrique, même s’il se distingue par la crédibilité de son jeu, qualité qui était moins manifeste chez le couple Girard-Latouche dont on peinait à sentir l’affolement dans le Lux æterna.

Beaucoup de spectateurs avaient le « motton » dans la gorge au sortir de cette œuvre sans concession. C’est peut-être le propre des grandes œuvres : nous révéler à nous-mêmes, dans toute notre complexité. Et notre beauté.

Il reste deux représentations, le 31 juillet et le 2 août (19 h 30).