Avons-nous passé rien d’autre que du bon temps, pour paraphraser ces poètes de Poison, à la première de Rock of Ages, la populaire comédie musicale célébrant le rock de la décennie 1980 ?

Comme la fille dans Don’t Stop Believin’ de Journey, Sherrie Christian (Lunou Zucchini) quitte son bled afin de tenter sa chance ailleurs. Elle échouera d’abord dans l’odeur d’urine du Bourbon Room, un bar fictif calqué sur le mythique Whisky a Go Go de la Sunset Strip de West Hollywood, et s’éprendra du mignon Drew Boley (Jordan Donoghue), qui lui aussi rêve de gloire, pendant qu’il ramasse des bouteilles vides.

Le problème ? Le problème, c’est que ni Sherrie ni Drew ne savent qu’ils sont dans la jungle et que leurs rêves risquent de mourir, s’ils ne se méfient pas des vautours. Le Bourbon Room lui-même pourrait mourir sous les boulets de démolition, alors qu’un promoteur immobilier allemand manigance afin d’assainir un des bouts de rues en Amérique de Nord où le plus de péchés ont été commis.

Créée à Los Angeles en 2005, avant de connaître le succès sur Broadway à partir de 2009, puis d’être portée au grand écran en 2012 avec des résultats presque aussi pénibles que la voix actuelle de Vince Neil, la comédie musicale Rock of Ages, mise en scène par Joël Legendre, faisait surgir jeudi soir sur la scène du Théâtre St-Denis le plus généreux pullulement de franges, de bas résille et de jeans serrés depuis la dissolution du groupe Nuance.

Parlant de nuance : la production originale ne brillait pas par la finesse de son humour et sa contrepartie québécoise s’engouffre dans une semblable vase. Alors que le prénom du personnage de la protestataire Régina rimait en anglais avec un mot désignant une partie du système reproducteur féminin, c’est son nom de famille qui, en français, rime avec une expression vernaculaire typiquement québécoise, désignant la même partie du corps.

Blagues de vomi, blagues de totons, blagues de verges. Les textes d’Olivier Berthiaume, selon le livret de Chris D’Arienzo, reposent sur un nombre considérable de facilités, que vient souligner une mise en scène qui opte elle aussi pour la même avenue. Quand le méchant allemand n’est pas affublé d’une moustache hitlérienne, Joël Legendre génère quelques sourires bon marché en déguisant le comédien Normand Carrière en effeuilleuse.

Mais le problème tient moins à la grossièreté des textes – on est capable d’en prendre – qu’à une indécision dans le ton, qui oscille entre la grosse farce et le clin d’œil, sans que l’on sache toujours s’il faut rire au premier ou au second degré. Ce choix de constamment briser le 4mur – Rock of Ages est une sorte de métacomédie musicale dans laquelle les personnages n’ignorent pas qu’ils sont des personnages de comédie musicale – se transforme aussi parfois en béquille.

Il ne suffit pas non plus de se moquer de la minceur de son intrigue, aussi substantielle que celle d’un vidéoclip de Whitesnake, pour entièrement la dédouaner. À force de répéter, par le biais du personnage de maître de cérémonie Loony, à quel point le spectacle contient volontairement des clichés ainsi que quelques longueurs, Rock of Ages finit presque par nous en convaincre. Chose certaine : le destin amoureux de Sherrie et Drew, ainsi que celui du Bourbon Room, ne pourrait davantage nous indifférer.

Air guitar inévitable

La rose de Rock of Ages, contrairement à celle de Poison, ne comporte donc pas qu’une seule épine. Mais comme c’est le cas de bien des comédies musicales de type jukebox, son répertoire est composé d’un tel barrage de hits qu’il faudrait avoir laissé son cœur de rockeur à la maison pour ne pas plaquer au moins quelques accords de air guitar.

Puisant principalement dans le métal peroxydé des années 1980, le spectacle greffe aux grosses tounes de Twisted Sisters, Quiet Riot et Warrant des tubes associés au début de la même décennie, signés REO Speedwagon, Journey et Foreigner. Rock of Ages devrait d’ailleurs être précédé d’un traumavertissement : vous pourriez ressortir du Saint-Denis avec, prisonnière de votre caboche, la pire chanson de l’histoire de l’humanité, We Built This City de Starship.

La distribution, sans faille, sauve elle aussi la mise, à commencer par Tommy Joubert, dans le rôle du narrateur Loony, qui s’adresse au public avec une intensité quelque part entre Sam Kinison et Jean-Marc Parent. Rémi Chassé, seul authentique rockeur parmi les interprètes, campe un Stacee Jaxx savoureusement méprisable, hybride entre le complexe christique de David Lee Roth et l’atrophie cérébrale de Bret Michaels.

L’attachante et très en voix Lunou Zucchini parvient quant à elle à donner plusieurs dimensions à un personnage archétypal et Jordan Donoghue a non seulement la gueule de l’emploi, mais aussi l’organe lui permettant de se mesurer à certains refrains qui sollicitent vivement les cordes vocales.

Mais il n’y a rien dans Rock of Ages qu’un très bon spectacle hommage au rock de la décennie 1980 ne pourrait pas vous offrir, et pour beaucoup moins cher. Il est fort possible que vous n’en gardiez, le lendemain, pas plus de souvenirs que les membres de Mötley Crüe de l’enregistrement de leurs plus grands albums.

Rock of Ages

Rock of Ages

Comédie musicale

Théâtre Saint-Denis, Jusqu’au 6 novembre

6/10