Alors que des détenteurs de billets pour le concert d’Arcade Fire à Montréal ont pu se faire rembourser dans les jours suivant des révélations du média américain Pitchfork sur le leader de la formation indé, d’autres multiplient les tentatives… en vain. Résultat ? La colère s’accentue contre le promoteur evenko et le géant de la billetterie Ticketmaster.

Les allégations d’inconduites sexuelles contre le chanteur Win Butler ont généré une vague de demandes de remboursement pour l’arrêt montréalais de la tournée WE, au Centre Bell le 3 décembre. C’était avant même la défection de Beck, qui devait participer à la tournée nord-américaine du collectif rock originaire de Montréal.

Maude Sills-Néron, comme bien d’autres, se voit mal festoyer en compagnie de Win Butler après que quatre personnes eurent déclaré avoir subi des inconduites sexuelles de la part du chanteur principal d’Arcade Fire. « Je ne veux pas applaudir un potentiel agresseur », dit-elle.

La jeune femme raconte avoir contacté Ticketmaster à quatre reprises depuis le début de septembre pour obtenir un remboursement. Elle a envoyé une demande à evenko plus récemment. « Ça reste des allégations, mais ça me fâche qu’il n’y ait pas eu de réponse du groupe. Et Ticketmaster fait comme si de rien n’était. Je trouve ça très insultant pour les personnes qui se sont confiées dans les médias. »

Dans une pétition en ligne lancée jeudi, Mme Sills-Néron reproche à Ticketmaster « de ne pas respecter les acheteurs qui ne veulent plus encourager Arcade Fire à la lumière [des] nouvelles informations ». « Le manque de réponse du groupe et le silence des promoteurs impliqués suggèrent une minimisation des allégations », écrit-elle dans sa lettre, appuyée par une quarantaine de signataires au moment de publier.

Consultez la pétition en ligne

Une pétition similaire, en anglais, a récolté quelque 200 signatures, tandis que des clients dépités de partout dans le monde expriment leur mécontentement contre Ticketmaster ou Live Nation, producteur de la tournée WE, sur les réseaux sociaux.

Sur papier, les politiques d’achat du service de billetterie et du promoteur evenko sont claires : les ventes de billets sont définitives, sauf en cas d’annulation. Cela dit, dans certaines « circonstances limitées », les « fournisseurs d’évènements » — Live Nation, dans ce cas-ci — peuvent autoriser des remboursements selon leur bon vouloir.

La Presse a pu confirmer qu’au moins cinq personnes ont réussi à obtenir un remboursement après avoir envoyé un simple courriel au promoteur evenko quelques jours après la publication de l’article-choc de Pitchfork.

Ce « deux poids, deux mesures » choque d’autant plus les détenteurs de billets qui n’obtiennent pas une réponse satisfaisante.

Plus curieux encore : deux clientes qui ont transmis par courriel une demande de remboursement à evenko à la même date, soit le 31 août 2022, ont obtenu deux réponses différentes. L’une s’est fait appeler et a pu récupérer son argent aisément, l’autre a reçu un message automatisé, sans autre suivi.

« Les politiques énoncées par les fournisseurs d’évènements nous interdisent généralement d’émettre des échanges ou des remboursements après l’achat d’un billet », indique evenko dans un courriel à La Presse.

Pour les questions relatives au concert d’Arcade Fire, le promoteur nous renvoie à « Live Nation, producteur de la tournée mondiale du groupe ». Il est à noter que Live Nation possède le service de billetterie Ticketmaster et 49 % des actions d’evenko.

Ni Live Nation ni Ticketmaster n’avaient répondu à nos demandes d’information au moment de publier.

« Dans ce cas-ci, la promesse ou l’offre que l’entreprise a faite n’est plus la même, souligne Johanne Brunet, professeure titulaire au département de marketing de HEC Montréal. Ce n’est pas ce que les gens ont acheté, que ce soit en termes de contenu ou en ce qui concerne les problèmes éthiques. »

Pour la spécialiste des industries culturelles, il est clair que ce serait un moindre mal d’offrir une possibilité de remboursement pour les concerts impliquant Win Butler. « Souvent, on dit, dans les bonnes pratiques, qu’il vaut mieux perdre une transaction qu’un client. La clientèle cible d’Arcade Fire est très sensible aux enjeux [d’inconduites sexuelles]. Ce sont des millénariaux, pour la plupart, et ça touche à leurs valeurs. Il y a une forme d’arrogance et de manque de respect. »

Beck passe son tour

Marc Lechasseur était décidé à assister au concert du 3 décembre malgré la polémique. Il y allait d’abord et avant tout pour voir sur scène son artiste fétiche : Beck. « Je n’ai raté qu’un seul de ses spectacles à Montréal depuis 1993. Son dernier album est un de mes préférés. C’est lui qui a motivé ma décision d’acheter des billets. »

Quand le mélomane a appris que Beck annulait sa participation à la tournée, il a aussitôt écrit à evenko pour demander un remboursement des trois billets qu’il avait achetés pour plus de 500 $. « Je n’ai jamais eu de réponse. »

M. Lechasseur raconte avoir ri jaune en recevant, un peu plus tard, un courriel annonçant l’artiste qui remplacerait Beck.

Le message faisait l’apologie de Boukman Eksperyans, le groupe par excellence de tous les temps ! La phrase la plus drôle au monde, à la fin, c’était : "Vos billets sont toujours valides. Bon spectacle !"

Marc Lechasseur

Encore ici, la politique de Ticketmaster est limpide. Celle d’evenko aussi : « Notez que les artistes invités ou la première partie d’un spectacle sont toujours sujets à changement. Votre billet étant valide pour l’artiste en tête d’affiche, nous n’émettons aucun remboursement dans le cas d’un changement d’artistes invités. »

« Je ne considère pas que Beck faisait la première partie d’Arcade Fire, rétorque M. Lechasseur. Je voyais ça comme un programme double. »

« Dans le cas où une prestation de spectacle est différente de celle qui était annoncée, le détenteur de billet pourrait exercer des recours », indique Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur, à La Presse.

À ce stade-ci, Maude Sills-Néron croit qu’il vaudrait peut-être mieux annuler le concert et rembourser tous les spectateurs. À défaut de quoi, craint-elle, les agissements d’un homme devront encore une fois être payés… par d’autres.