(Toronto) L’achat de billets pour des concerts mettant à l’affiche les grands noms de la musique pop devient de plus en plus une loterie pour leurs admirateurs.

En mai, la chanteuse Billie Eilish a annulé son concert prévu au Centre Bell de Montréal. Le mois suivant, c’est la vedette canadienne Justin Bieber qui annonce l’annulation du reste de sa tournée nord-américaine. Quelques semaines plus tard, une panne générale du réseau de Rogers provoque le report du spectacle que devait donner The Weeknd à Toronto. Tout récemment, Shawn Mendes a imité Bieber.

Même si les circonstances échappent souvent au contrôle de l’artiste, les spectateurs qui ont dépensé une forte somme pour acquérir leur billet pour un concert n’ayant pas eu lieu disent ressentir une frustration persistante.

« Aujourd’hui, c’est un investissement et on espère qu’il rapportera gros, dit la journaliste culturelle torontoise Jill Krajewski. C’est comme acheter un billet de loterie. »

Les annulations et les reports ne sont pas un phénomène nouveau dans le secteur du spectacle. Mais avec la hausse du prix des billets et l’inflation galopante, certains fans disent qu’il ne suffit qu’une expérience malheureuse pour les faire hésiter à retourner entendre un concert, particulièrement si celui-ci se déroule à l’extérieur de leur région.

C’est le dilemme que devra résoudre Tracy Smith la prochaine fois qu’elle aura envie d’acheter un billet.

Elle était partie d’Atlanta pour venir entendre The Weeknd lancer sa tournée After Hours til Dawn dans sa ville natale. Elle attendait patiemment dans une file d’attente pour entrer dans l’amphithéâtre quand elle a appris que le spectacle était annulé à cause de la panne qui a affecté le réseau de Rogers.

« Personne ne savait ce qui se passait, se souvient-elle. La file d’attente s’allongeait. »

Les deux billets pour sa fille et elle avaient coûté en tout 800 $ US. À cela, il faut ajouter des dépenses de 2800 $ pour les billets d’avion et la chambre d’hôtel. Si les billets pour le concert sont remboursables, ses autres dépenses sont perdues, car le concert a été annulé le jour même de sa présentation.

Et ce n’est pas un cas isolé.

Eric Alper, un animateur radiophonique et un publicitaire, dit que toutes ces annulations n’aident pas un secteur qui tente de rebondir après la pandémie.

« D’un point de vue du fan, ces annulations constantes laissent un goût amer dans la bouche. Ils n’entendent pas seulement parler de l’annulation d’un concert à Toronto. Ils apprennent sur l’internet que c’est aussi le cas à Barcelone, à Paris et aux États-Unis. Cela entre dans l’esprit des gens. Cela représente un plus grand problème que trois ou quatre spectacles annulés. »

Nicholas Li, un professeur associé d’économie à l’Université du Toronto Metropolitan, est moins convaincu que les promoteurs courent au-delà des ennuis

« Je sympathise avec les gens qui ont vécu cette expérience. Ils doivent être furieux. S’il y a une chose que les consommateurs n’aiment pas, c’est l’incertitude. Mais la demande est si importante qu’on s’inquiète moins de voir des gens être découragés par l’annulation d’un concert dispendieux. »

M. Alper n’est pas aussi sûr.

Il laisse entendre qu’on verra en 2023 l’une ou l’autre de ces tendances : les gens retourneront en masse pour voir des concerts ou ils démontreront un désintérêt pour des évènements incertains.

Il dont l’exemple d’un concert pour lequel il a travaillé. Tous les billets s’étaient écoulés, mais seulement 70 % des acheteurs sont venus y assister.

En 2020, Ticketmaster avait été dénoncé pour son refus de rembourser les concerts qui n’avaient été que reportés et non annulés. Cette décision et l’incertitude qui en découle n’avaient pas été bien accueillies par certains consommateurs. M. Alper craint que cela ait des répercussions sur la vente des billets à l’avenir.

« Pour certains, la nouvelle date annoncée pour un concert ne marchera pas pour eux. Leur situation financière aura changé ou ils auront perdu leur emploi. Ils préféreraient récupérer leurs 1000 $. Et cela serait plus juste si on les remboursait. »

Le monde du spectacle n’a pas besoin de voir sa réputation être ternie par de nouvelles controverses.

Ipsos a publié la semaine dernière une étude à court terme que les Canadiens anticipaient moins dépenser pour leurs divertissements culturels alors que l’inflation atteint un sommet des 39 dernières années.

Selon cette enquête, 25 % des membres de la génération X disent limiter leurs activités culturelles comparativement à 15 % des baby-boomers.

Devant une aussi grande incertitude, Mme Krakewski dit penser aux artistes qui doivent jongler avec la sûreté de leurs admirateurs, l’intérêt de leur maison de disque et la nécessité de payer leurs factures.

« Ils font de leur mieux dans une période précaire pour voyager, sans parler de chanter à l’intérieur d’une salle. Tout le monde roule les dés et espère avoir du bon temps. Il faut rester magnanime si cela ne fonctionne pas. »